Gilles
Verlant
"Un site officiel Gainsbourg, ça l'aurait sûrement
fait marrer, Serge"
Journaliste,
écrivain, animateur radio sur Ouï FM, voix off
sur Canal Plus, concepteur d'émissions TV... Gilles
Verlant multiplie les casquettes. Homme de media passionné,
l'intérêt du Web ne lui a pas échappé.
En tant que biographe de Serge Gainsbourg ("Gainsbourg",
chez Albin Michel), il a piloté la réalisation
du site officiel Sergegainsbourg.com.fr,
une vraie réussite (lire notre
article). Et depuis un an et demi, il partage sa passion
de collectionneur sur le Web avec son site mi-marchand,
mi-base de données consacré aux collectors
(disques, CD, magazines, livres) : Bygcollector.com.
Rencontre téléphonique avec un homme pressé,
mais ralenti dans les bouchons du périph'. Tant mieux,
il nous en dira plus.
(09/04/2001)
Comment
s'est monté le projet de site "officiel"
consacré à Serge Gainsbourg?
Il en était question de puis longtemps.
Mais il fallait que Universal
trouve une bonne excuse pour le faire. L'anniversaire de
la naissance de Serge Gainsbourg (le 2 avril), plus que
les dix ans de sa mort (le 2 mars 1991), était un
peu la date butoir. Mais surtout l'ouverture du site correspond
à la grosse opération de réédition
du coffret "De Gainsbourg à Gainsbarre".
Le plus étonnant, c'est qu'avec Jean-Yves Billet
de Universal, on ne s'attendait pas à tout le battage
médiatique autour des 10 ans de la mort de Gainsbourg...
Toutes ces couvertures de magazines, j'ai été
beaucoup sollicité aussi pour parler de Gainsbourg.
D'ailleurs ce que j'espérais est enfin arrivé.
Le temps est venu de réévaluer et redécouvrir
Gainsnbourg derrière le masque Gainsbarre. Car Gainsbarre
faisait de l'ombre à Gainsbourg. C'est justement
ce que je me suis efforcé de mettre en valeur dans
mon livre, une enquête qui m'a pris plus de 3 ans,
mais aussi dans le site Web.
Dans
quelle mesure vous avez récupéré le
contenu de votre biographie ?
Comme la structure d'un site Web (là en plus, il
y a des thématiques à l'intérieur de
la chronologie) est très différente de celle
du bouquin, il y a eu pas mal de réécriture.
J'ai fait appel à un journaliste, Jean-William Thoury,
qui est allé littéralement faire son shopping
dans le bouquin. En tout, l'écriture et le découpage
ont duré un mois. Puis il y a eu la conception du
site par Ki Communication qui ont fait un travail superbe.
Il
manque l'intégralité des textes des chansons,
on ne peut en lire que des extraits. Est-ce une question
de droits ?
Oui, et c'est le même problème pour les vidéos.
Universal ne peut fournir que les documents audio et vidéo
qui lui appartiennent. Comme les extraits vidéo des
concerts du Zénith et du Casino de Paris... Malheureusement,
on ne pourrait exploiter par exemple les documents que j'ai
réunis sur le coffret DVD vidéo, car il y
a des documents INA, de chaines télé, etc.
Bref, cela générerait des problèmes
de droit sans fin. Quant aux paroles, il y a un problème
éditorial et de droits. D'abord, ça serait
couper l'herbe sous le pied à l'auteur de "Dernières
nouvelles des étoiles", Franck Lhomeau,
qui a fait un travail presque archéologique pour
retranscrire toutes les chansons de Gainsbourg. Et puis,
cela implique de demander la permission à Melody
Nelson, la boîte d'édition où sont déposés
tous les textes de Gainsbourg. Donc on peut citer des parties
de chansons mais pas les reproduire en intégralité.
Est-ce
que vous allez faire évoluer le site ?
J'en serais ravi. Je suis en train d'en discuter
avec Jean-Yves Billet. Après, je pense que c'est
une question de budget. L'ambition de Universal est d'avoir
une sorte de rédacteur en chef "guest star"
sur le site, quelqu'un de son entourage qui viendrait raconter
Serge Gainsbourg à sa façon en images, textes,
vidéos. Quant à moi, même si j'ai promis-juré
que la nouvelle version de ma biographie de Gainsbourg était
définitive, je continue d'amasser des informations
supplémentaires, qui pourraient servir pour le site.
Ce serait génial de faire aussi une rubrique dédiée
aux collectionneurs, avec une discographie intégrale.
Je ne parle pas de la discographie qui est actuellement
sur le site, mais une base énorme de tous les collectors
Gainsbourg : éditions dans différents pays,
pochettes, variantes... On pourrait aussi élargir
aux disques des interprètes de Gainsbourg, voire
aux reprises et "sampling". Tenez, l'autre
jour, j'ai reçu un disque d'un groupe de hard-rock
belge de Liège, ils ont fait une reprise des "Sucettes"
! Le genre de chose qui pourrait amuser les collectionneurs.
Selon
vous, qu'est-ce qu'il en aurait pensé du site Web,
Gainsbourg ?
Je
pense que ça lui aurait fait plaisir. Vous savez,
il adorait quand il voyait des articles, des bouquins sur
lui. Il a trop souffert à ses débuts de ne
pas être reconnu, par le public et les médias.
On parle aujourd'hui du "Poinçonneur des
lilas" comme d'un succès, mais à
l'époque, il ne vendait pas de disques. Même
après, dans les années 70, il y a eu une période,
où on l'a considéré comme un "has
been". Quand on pense que "L'homme à
la tête de chou", un de ses meilleurs albums
ne s'est vendu qu'à 18 000 exemplaires. C'est aussi
pour ça qu'à l'époque Gainsbarre, on
le voyait partout, il rattrapait aussi le temps perdu. Toute
reconnaissance médiatique lui faisait plaisir. C'est
pour ça que je pense que ça l'aurait fait
marrer...
Comment
vous l'avez rencontré ?
J'organisais des concerts de reggae en Belgique et il
est venu se produire le 5 janvier 1980 à Bruxelles.
Il venait de triompher avec "Aux armes etc".
Et il a tellement eu de succès qu'on a fait deux
concerts le même soir, à 19h et 21h. Il se
trouve que c'était aussi le lendemain du fameux concert
annulé à Strasbourg par les paras. C'était
un des plus beaux jours de ma vie, de pouvoir lui serrer
la pince dans les loges. C'était mon héros
depuis l'adolescence. J'étais aussi journaliste et
animateur d'une émission de télé rock
en Belgique. Trois mois plus tard, je l'ai donc revu, cette
fois-ci chez lui, rue de Verneuil, pour l'interviewer sur
"Evguénie Sokoloff", son roman.
A l'époque, Jane Birkin habitait encore avec lui.
D'ailleurs j'ai rencontré Jane juste après
leur rupture par la suite. J'ai fait aussi la connaissance
du directeur artistique Philippe Lerichomme, avec lequel
j'ai eu une bonne relation. Vers 1985, je lui ai proposé
d'écrire une biographie, une véritable enquête
de fond, à "l'américaine" et il
a accepté. A partir de ce moment-là, on s'est
beaucoup vu, pour des interviews de fond, jusqu'à
trois mois avant sa mort... Mon meilleur souvenir de Gainsbourg,
c'est justement toutes ces heures passées avec lui,
dans l'atmosphère feutrée de sa maison. Il
devenait excellent en interview, après la première
heure. Alors il fallait préparer un sacré
paquet de questions à l'avance ! Ce qui m'a le plus
marqué chez lui, c'est sa générosité,
sa gentillesse. En fait, il était la plupart du temps
déprimé. Je ne l'ai connu que séparé
de Jane... Il n'a eu que des moments brefs de rémission,
de bonheur avec Bambou... Dans mon bouquin et sur le site,
j'ai tenu à décrire minutieusement ce qu'il
a vécu dans les années 80 : une descente aux
enfers. Vanessa Paradis m'a dit un jour qu'elle avait parfois
envie de le prendre dans ses bras parce qu'elle le voyait
tellement malheureux. Et je peux la comprendre, je l'ai
ressenti aussi, mais de la part d'un journaliste, ça
ne se fait pas !
>>
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