Quel avenir pour la RGPP ?

La révision générale des politiques publiques, qui aboutira à la fin du quinquennat à la suppression de 150 000 postes de fonctionnaires, peut être considérée comme la réforme de l’État la plus radicale de toutes celles entreprises sous la Ve République. Mais face aux coûts sociaux, politiques et même militaires qu'elle implique, son avenir n’est pas écrit.

La révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée en 2007 peut être considérée comme la réforme de l'État la plus radicale de toutes celles entreprises sous la Ve République, poussant à réduire pour la première fois la masse salariale des fonctionnaires de 0,25 % en 2012, ce qui constitue réellement un tournant historique. La diminution des effectifs, qui avait été amorcée en 2002, s'est accélérée puisqu'entre 2007 et 2012 environ 150 000 postes de fonctionnaires de l'État auront été supprimés (soit 7 % des emplois de l'État). La méthode elle-même de la réforme est innovante car ce sont des cabinets de consultants privés qui ont dressé les plans conduisant à organiser la fusion des services et des corps. Les réductions d'effectifs se sont donc accompagnées d'un recours systématique à la culture de gestion du secteur privé.

La crise de 2008 est venue justifier après coup une réforme mené au début au nom d'une théorie libérale de la société. La pression budgétaire, le risque généré par la crise grecque, le rôle des agences financières de notation ont vite transformé une politique qui aurait pu être conjoncturelle et connotée de manière idéologique en politique apparemment durable voire en obligation pour tout gouvernement quelque peu responsable. La nécessité de faire passer le déficit public de 7,5 % du PIB en 2009 à 3 % en 2013 (norme européenne garantissant la valeur de l'euro) semble peser sur tous les candidats à l'élection présidentielle de 2012. Cependant, il existe plusieurs manières de redresser l'état des finances publiques. L'avenir de la RGPP n'est donc pas écrit.

Une première question tient aux résultats financiers réels de la RGPP.
Le ministère des Finances évaluait sa portée à 8 milliards d'euros d'économies environ entre 2009 et 2011 sans qu'il soit possible de chiffrer précisément l'ensemble des opérations. Plusieurs rapports parlementaires ont déjà signalé la difficulté d'évaluer la RGPP sur le plan budgétaire car de nombreuses mesures brouillent le résultat global (comme le reversement de la moitié des économies en primes au mérite ou les augmentations sectorielles obtenues par certains corps).

En revanche, les coûts de la RGPP commencent à être bien connus. Les coûts sociaux, tout d'abord, car la pression exercée par la RGPP sur les personnels a débouché sur de nombreux conflits notamment à l'Éducation nationale mais ont aussi provoqué les protestations publiques de corps habituellement très discrets comme les magistrats, les préfets ou les policiers inquiets pour le devenir de leurs métiers ou leurs conditions de travail (faire plus avec moins). Plusieurs enquêtes montrent que les trois quarts des cadres de la fonction publique critiquent les effets de la réforme. Or la démotivation des fonctionnaires peut faire perdre plus que ce que l'on gagne à fusionner les services et à supprimer les effectifs.

Des coûts politiques, ensuite, qui s'avèrent très élevés à l'horizon 2012. Une enquête de l'IFOP du 12 mai 2011 (premier sondage programmatique pour La lettre de l'opinion) nous apprend que seuls 38 % des Français soutiennent le projet de réduire les effectifs de fonctionnaires et que cette mesure est la plus mal considérée de toutes les réformes menées depuis 2007. La fermeture des classes mais aussi des lits d'hôpitaux ou la raréfaction des policiers ont donné un signal négatif aux couches moyennes et populaires qui étaient les plus touchées par la crise. C'est ainsi que l'on peut comprendre pourquoi le Front national défend désormais les services publics alors qu'il a longtemps tenu un discours anti-fonctionnaires.

Enfin, la RGPP a contraint certains choix gouvernementaux notamment dans le domaine militaire. La réduction programmée des effectifs de la Défense (dont presque 100 % des départs à la retraite ne sont pas remplacés) a réduit la disponibilité opérationnelle au moment même où la France était engagée dans trois conflits différents, la seule guerre de Libye coûtant un million d'euros par jour.

Il est donc fort probable que la version originelle de la RGPP sera amendée si Nicolas Sarkozy l'emporte en 2012 et même un peu avant, lors de la campagne. Cependant, la RGPP a fait sentir à toutes les forces politiques que l'avenir ne serait pas nécessairement rose pour les fonctionnaires. On en arrive à la situation paradoxale où tout le monde dénonce la RGPP tout en sachant que les alternatives sont limitées.

Pour le Parti socialiste, qui propose de créer 300 000 emplois-jeunes et 10 000 emplois de policiers et de gendarmes, la situation de 2012 ne sera plus celle de 1997, époque de forte croissance, et encore moins des années 1981-1983. De nombreux recrutements de titulaires paraissent bien difficiles à réaliser au regard de l'état des finances publiques et même si les ressources fiscales augmentent (sans nuire à la reprise)  l'idée d'un grand service public national, demandé par les usagers, sera difficile à mettre en oeuvre.

Le grand danger pour les partis de gauche est précisément d'utiliser des solutions provisoires anti-chômage en recrutant des contractuels mal payés et sans avenir professionnel dont on ne saura plus quoi faire trois ans plus tard alors que les syndicats vont exiger dans le même temps des augmentations de salaires pour les titulaires. L'enjeu, notamment  pour le Parti socialiste, est donc d'inventer une gestion publique de gauche qui demandera des sacrifices aux agents et qui reposera sur une discipline républicaine afin d'éviter les gaspillages.

Les marges de manoeuvre sont en effet très étroites. Il ne sert à rien de proposer d'aller à Bruxelles pour imposer aux autres (et surtout aux Britanniques) un modèle de service public dont ils ne veulent pas. La privatisation des grands services publics en réseau va continuer à produire ses effets, notamment sur la désertification du tissu rural. Les changements opérés dans les régimes de retraite ne seront pas fondamentalement remis en cause. Et il est fort peu probable que la hiérarchie sociale au sein de la fonction publique fasse l'objet d'une grande refonte d'autant plus que la gauche au pouvoir aura besoin des hauts fonctionnaires.

Un chantier néanmoins paraît primordial : celui de la décentralisation. La RGPP a vocation à s'étendre aux collectivités locales car la logique budgétaire est globale et le contribuable est le même en bout de chaîne. Des choix cruciaux devront être faits pour l'avenir. Il s'agit en effet de savoir s'il faut recentraliser afin d'assurer l'égalité de tous dans l'accès aux mêmes services publics dans le cadre d'une mondialisation où une ville moyenne française ne peut rivaliser avec une métropole chinoise ou bien s'il ne faut pas au contraire transférer aux collectivités locales dans le cadre d'une régionalisation poussée de nouvelles compétences et une forme d'autonomie fiscale afin de garantir le maintien des services de proximité, quitte à ce que tous les usagers n'aient pas droit à la même qualité (ce que l'on observe souvent dans des États fortement régionalisés comme l'Espagne ou l'Italie).

Dans le premier cas, la légitimité de la décision sera économique (réduire les coûts dus aux multiples niveaux territoriaux) alors que dans le second elle sera de nature démocratique (écouter les demandes du terrain). Le problème de fond tient à ce que ce choix crée un clivage aussi bien au sein de la droite que de la gauche.