Frédéric Teulon : "Il y a une crise générale du recrutement des élites"

Pourquoi un sujet aussi léger après de nombreux ouvrages d'économie très sérieux ?
Frédéric Teulon Enfin quelqu'un qui me suit à la trace. En fait les thèmes de la mobilité sociale et de la crise des élites sont des thèmes très sérieux.

Le people ça marche, vous aviez besoin d'argent ?
"Les FFD" ce n'est pas un bouquin people (à l'exception d'un chapitre). Merci de bien vouloir vous reporter aux onze autres chapitres !

Comment définiriez-vous un "FFD" : ce n'est pas seulement une descendance, ça doit bien être un état d'esprit un peu "pourri gâté", non ?
Définition : c'est une question de position ou de poste obtenus grâce à l'action des parents et non par le mérite personnel (idée de places réservées).

Comment expliquez-vous le phénomène des "FFD" ?
C'est la combinaison de plusieurs phénomènes : médiatisation de la société, crise de l'école, transformation des élites qui ont perdu le sens du bien commun...

"Les "FFD" les plus connus ne sont que la face émergée de l'iceberg."

Ne pensez-vous pas que le phénomène soit minime mais que le simple fait que ces noms soient connus lui donne une visibilité ?
C'est tout le contraire ! Les personnes connues ne sont que la face émergée de l'iceberg.

Est-ce un phénomène récent ou s'est-il accéléré ces dernières années ? Pourquoi ?
La rupture s'est faite au début des années 1970. Un des symboles est le passage de témoin entre Pompidou et Giscard d'Estaing à la présidence de la République. Il y a incontestablement un effet de génération : la génération qui a fait mai 1968 a fait beaucoup de dégâts. Il y a également un effet conjoncture (crise sur le marché du travail).

"Mai 68" et les "FFD" : je ne vois vraiment pas le rapport. Pourquoi dites-vous qu'ils ont fait des dégâts ?
La génération 1968 a détruit l'école (remise en cause des rapports maître/élève, de la discipline, de la sélection...) or le diplôme est la seule bouée de sauvetage pour les "mal nés". Par ailleurs, les élites issues de la génération 1968 ont perdu le sens du bien commun. Leur slogan est devenu : "prends tout et ne lâche rien".

Avez-vous fait des mesures comparatives chiffrées du phénomène avant et après 1970 ?
Oui. Il existe une mesure qui peut être faite au travers des tables de mobilités sociales. Il est possible de comparer les origines sociales des ministres, des députés, des acteurs... dans le temps (pour cela, le "Who's Who" est un instrument très pratique).

Comment avez-vous enquêté : où avez-vous rencontré tous ces "FFD" ?
J'ai enquêté, oui. Mais des "FFD" il y en a partout. Je n'ai pas été chercher très loin. Mon éditeur François Bourin est lui-même un gros poisson (il est le fils de Jeanne Bourin, romancière célèbre).

"La réussite dans les études est elle-même largement conditionnée par l'origine familiale."

Quand on est "FFD", on n'a pas besoin de faire d'études ou bien est-ce plus compliqué que ça ?
Les vrais "FFD" (ceux du show biz) n'ont pas besoin de faire d'études, les relations familiales sont primordiales. Ceci étant dit, les études ne sont pas incompatibles, elles permettent de légitimer des parcours professionnels (cf. le fils Pinault qui a fait HEC, le fils Michelin qui a fait Centrale...). En fait, la réussite dans les études est elle-même largement conditionnée par l'origine familiale.



Certains milieux socioprofessionnels ont-ils une plus forte propension à la co-optation que d'autres ?
Oui, le show-business est tout en haut du hit parade. Le business aussi (mais c'est plus justifié : la survie du capitalisme est en jeu). En politique par contre la transmission des postes est plus compliquée (les électeurs ont leur mot à dire).

Ce phénomène semble également se produire en politique. Pensez-vous qu'il s'agisse d'une particularité française ?
Non, en Belgique ou aux Etats-Unis le phénomène est encore plus accentué (par exemple le cas Bush, un cas inimaginable en France).

Certains députés se refilent pourtant des circonscriptions de pères en fils, non ?
Oui, il existe des traditions locales (cf. la famille Baudis).

On revient un peu à l'Ancien régime : nos élites sont-elles les nobles des temps modernes ?
On peut le dire de cette façon. Bourdieu parlait de la "noblesse d'Etat" à propos des hauts fonctionnaires...

Votre histoire de fils et fille de, c'est un peu "pipo" parce que sous l'Ancien régime, c'était carrément un principe de gouvernement. Qu'en pensez- vous ?
Problème, je ne comprends pas. La crise actuelle de recrutement des élites est un principe de gouvernement. La grande différence c'est que sous l'Ancien régime, les élites appliquaient le principe "noblesse oblige". Elles avaient des privilèges mais elles étaient prêtes à aller mourir sur les champs de bataille.

Quel est le pire "FFD" selon vous ? Je veux dire celui qui doit le plus à son père ou à sa mère sa place actuelle ?
Il est possible d'aller voir du côté de Johnny Halliday...

Pourquoi Johnny ? Ne soyez pas si mystérieux où on n'ira pas acheter votre livre.
Tant pis pour vous. Dans ce cas vous n'aurez pas la clé de cette énigme.

Est-ce que votre livre vous a valu des réactions hostiles ?
Oui, notamment de la presse de gauche, comme Le "Nouvel Observateur" (normal, Sara Daniel a été placée par papa comme journaliste).

Cela veut dire qu'aujourd'hui il n'est plus possible d'échapper aux déterminismes sociaux : sans capital social (relations) point de salut ?
Les déterminismes sociaux sont très forts. Il est possible néanmoins de les atténuer et heureusement il y a des contre-exemples.

"La transparence, les concours et la mise en concurrence des CV sont les solutions pour lutter contre ces déterminismes sociaux."

Comment lutter contre ces "pistons" et rétablir l'égalité des chances, valeur centrale de la République?
Réponse : la transparence, les concours avec des épreuves non socialement discriminantes, la mise en concurrence des CV.

En gros, combien de familles nous dirigent, nous emploient et nous "cultivent" ? Vous avez des chiffres ?
Oui, encore une fois, la lecture de l'ouvrage vous ferait du bien (pour votre culture personnelle). Un des thèmes centraux du bouquin est de montrer que la France est aujourd'hui gouvernée par 500 familles et la liste de ces familles est donnée en annexe.

Quel métier faisaient vos parents, si ce n'est pas indiscret ?
C'est très indiscret... Je ne suis pas un FFD, mais le livre n'est pas basé sur l'idée de revanche sociale (un thème trop ravageur).

Si vous avez la possibilité d'aider votre fils ou votre fille à réussir dans son métier, le ferez-vous ?
Oui, mais le problème n'est pas là. Il est normal que les parents aident leurs enfants. Ce qui n'est pas normal c'est qu'il n'existe plus aujourd'hui de limites qui empêchent les parents d'aller trop loin (cf. Alain Minc qui téléphone au directeur d'HEC parce que son fils a été collé au concours...).

Etes-vous frustré de ne pas faire partie de ces 500 familles ?
Non, mais apparemment cela vous pose problème. Je verrai si je peux vous intégrer dans une édition ultérieure...

Votre livre est-il dû à une certaine jalousie ?
Réponse déjà donnée : ce n'est pas un livre basé sur la revanche sociale ou sur la jalousie. C'est une réflexion sur la crise des élites et non une psychanalyse individuelle.

Les "FFD" méritent-ils quelques fois une renommée indépendamment de leur nom de famille ?
Oui, il y a toutes les situations. Par exemple, Romane Bohringer ou "M" sont à mon avis meilleurs que leurs parents et ont en grande partie réussi par eux-mêmes.

"Le blocage social finit toujours par se dénouer dans une crise politique très grave."

Au-delà du sentiment d'injustice que ces faits peuvent provoquer, y a-t-il selon vous des conséquences économiques tangibles ?
Oui, le blocage social de toute société finit toujours par se dénouer dans une crise politique très grave (cf. 1789).

Les "FFD" sont-ils incompétents parfois ? Je trouve cette idée assez déprimante : ça signifierait vraiment la faillite du système d'éducation.
C'est souvent le cas. Chacun peut le constater dans son milieu professionnel.


Les "FFD" sont-ils forcément illégitimes quand ils sont "placés" ?
Non. Tout dépend des cas. Lorsque le fils du boulanger reprend l'affaire familiale cela ne dérange personne. Lorsque le fils d'un député devient député c'est une autre affaire.

Mais n'y a-t-il pas des générations spontanées, comme les fondateurs de start-up lors de la Bulle Internet, comme vous le dîtes dans "Le Casse du Siècle" ?
Beaucoup de fondateurs de start-up ont financé leur affaire avec l'argent de leurs parents (cf. Laurent Tapie fondateur de free-goal.com).

J'ai vu des fautes dans votre glossaire. Notamment sur la famille "de Brantes". Vous écrivez des choses incohérentes. Votre livre est-il vraiment sérieux ?
Le jour où vous serez plus précis je pourrai répondre à vos questions.

Au sujet des Brantes, c'est simple : tantôt Guy de Brantes est marquis, tantôt il ne l'est pas. Tandis que Marina de Brantes, une fois elle est "responsable d'associations caritatives", une autre elle est "présidente d'associations culturelles et humanitaires". Ce n'est pas à un universitaire que je vais apprendre que les mots ont leur importance. Si ?
Guy est marquis, mais un principe d'exposition de base consiste à éviter les répétitions inutiles. Une association humanitaire est une association caritative...

Vous parlez de "révélations" dans votre présentation : quelle est la plus grosse révélation de ce livre ?
C'est un secret partagé entre l'auteur et ses lecteurs !

"Il y a une crise générale du recrutement des élites dans tous les pays développés."

Certains pays échappent-ils au système des FFD ?
Non, il y a une crise générale du recrutement des élites dans tous les pays développés.

Les universités d'élite n'empêchent-elles pas les enfants de la classe moyenne d'intégrer ces écoles à moindre coût, ce qui empêche un certain renouvellement ?
Oui, le recrutement des Grandes écoles s'est fermé.

Vous avez un autre projet de livre en cours ?
Oui, sur la discrimination positive, chez le même éditeur.

La méritocratie ça ne marche vraiment plus en France ?
Non, j'ai écrit 240 pages sur ce constat !

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	Titre : "Les FFD : La France aux mains des fils et filles de"
	Parution : Mars 2005
	Pages : 368
	Format : 160x240
	Prix : 20€
	Editeur : Bourin Editeur
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