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Juin 2006

Michel Bozon : "Il faut en passer par toute une série de rencontres avant de trouver le bon partenaire"

Comment se forment les couples ? Qui rencontre qui, où, et pourquoi ? Le sociologue Michel Bozon étudie depuis de nombreuses années les mystères des rencontres amoureuses. Il a repondu à vos questions le 7 juin.

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Comment a été menée votre étude (échantillon, entretiens...) ? Les gens sont-ils pudiques ou répondent-ils facilement ?

Michel Bozon Il s'agissait d'une enquête par questionnaire, associée à une enquête par entretien. Le thème de la formation des couples est un de ceux sur lesquels les gens parlent le plus facilement, avec le plus de plaisir, dans la mesure où ils en ont déjà beaucoup parlé en couple.

 

"Les hommes et les femmes ne sont pas touchés de la même manière par l'apparence de leur partenaire"

Les qualités recherchées par les hommes et les femmes chez leur partenaire sont-elles différentes ? Ont-elles évolué ?

Les hommes et les femmes ne recherchent pas exactement un profil de partenaires, ils reconnaissent et évaluent des personnes qu'ils rencontrent. Le regard des hommes sur les femmes est très différent du regard des femmes sur les hommes. Les uns et les autres ne sont pas touchés de la même manière par l'apparence de leur partenaire. On peut dire que les hommes sont plus directement émus et charmés. Ils sont très sensibles à la présentation et à l'aspect physique des femmes, qui renvoient à des rôles traditionnels attribués aux femmes de représentation et de médiation entre les personnes. Les femmes quant à elles, ne sont pas du tout indifférentes au physique des hommes, mais elles ont un regard plus réaliste sur ce qu'il signifie : il leur évoque plutôt des qualités sociales et psychologiques, voire professionnelles. Cette manière traditionnelle d'évaluer les partenaires selon le sexe ne se transforme que lentement. Par exemple, les femmes accordent toujours beaucoup d'importance à ce que l'homme soit plus grand qu'elles. Cette différence de taille les rassure sur sa capacité à être "l'homme du couple", celui qui donne un statut au couple.

 

Les couples se forment-ils en fonction de leurs catégories professionnelles ? Un homme préfèrera-t-il plutôt une femme moins "élevée" que lui dans ce domaine ?

Au moment où les couples se forment, les hommes ne pensent guère à la situation sociale de leur partenaire. D'ailleurs beaucoup de rencontres ont lieu à un moment où le partenaire est encore en cours d'études, ou vient juste de commencer sa vie professionnelle. Et pourtant, on s'aperçoit que les hommes et les femmes, alors qu'ils n'y ont pas spécialement pensé, proviennent de milieux sociaux très proches. C'est un de ces paradoxes que la sociologie de la formation du couple essaye d'éclaircir. Pour dire vite, il y a deux raisons pour lesquelles les hommes et les femmes de milieux sociaux proches se retrouvent ensemble. Il y a d'abord le fait que la sociabilité et les loisirs rassemblent généralement des personnes qui ont les mêmes goûts culturellement et socialement, et donc les mêmes origines sociales. D'autre part, chacun valorise un certain type de qualités chez un partenaire, qui indiquent, en gros, ceux avec qui l'on peut parler. Certaines femmes souhaiteront un partenaire qu'elles veulent "intelligent", d'autres voudront rencontrer un homme "sérieux", "solide". Ces femmes n'appartiennent pas aux mêmes milieux sociaux.

 

Le choix d'un conjoint ne dépend pas seulement de déterminismes sociaux : le modèle parental ou d'autres éléments du parcours personnel des individus entrent en jeu. Comment prenez-vous en compte ces éléments ?

Une des grandes évolutions de l'amour et de la formation du couple à notre époque est qu'il dépend de moins en moins des injonctions et des contrôles des générations adultes, et en particulier des parents. Il est vrai que dans certains milieux sociaux et culturels, ces contrôles peuvent jouer encore un rôle important. Mais dans l'ensemble, on peut dire que l'influence directe des parents est devenue secondaire. Cela ne signifie cependant pas que le parcours personnel des jeunes soit devenu une improvisation libre. Par exemple, tous les jeunes passent aujourd'hui par une carrière scolaire de plus en plus longue où ils apprennent à reconnaître et à rencontrer des individus de l'autre sexe. Ces parcours scolaires impliquent parfois des migrations géographiques qui permettent de renouveler l'entourage initial et de faire de nouvelles rencontres. Mais ces rencontres ne se déroulent pas dans un vide social : les premières rencontres sexuelles peuvent éventuellement associer des partenaires assez dissemblables, mais la formation du couple, l'installation à deux, concernent généralement des partenaires assez proches et qui, "par miracle", plaisent généralement aux parents.

 

"L'influence directe des parents est devenue secondaire"

Que pouvez-vous nous dire concernant les différences d'âge ?

Dans les couples, la femme est généralement la cadette. C'est une tendance ancienne et qui ne se réduit pas dans la période actuelle. C'est une chose difficile à expliquer, car il y a autant d'hommes que de femmes dans nos sociétés : il n'y a pas de raisons statistiques pour que les femmes choisissent des hommes plus âgés ou inversement. Alors comment l'expliquer ? On s'aperçoit que ce sont les femmes les moins diplômées et dans les situations les plus difficiles qui valorisent le plus l'écart d'âge avec un futur conjoint, qui idéalisent le plus l'homme plus âgé et qui, par conséquent, dévalorisent le plus, voire méprisent les "jeunes". L'âge du futur conjoint a moins d'importance pour des femmes qui ont fait beaucoup d'études. Et si on interroge les hommes, en se limitant aux hommes jeunes, on s'aperçoit qu'ils accordent très peu d'importance à l'âge des femmes. En réalité, ce que les femmes les moins dotées recherchent chez un homme, c'est un statut, dont l'âge est porteur, et qui leur permet d'acquérir une indépendance à l'égard de leur famille d'origine. Une expression souvent employée par les femmes est qu'elles recherchent un homme qui ait de la "maturité". La maturité, ce n'est pas une affaire physiologique ou biologique, c'est une indépendance, une autonomie, un statut professionnel, une "avance" que l'homme a déjà pris.

 

Pensez-vous que le coup de foudre existe vraiment ?

La manière dont les jeunes hommes et femmes décrivent la toute première impression produite par leur nouveau partenaire correspond assez rarement à ce que l'on peut appeler un coup de foudre. A peine 15 % des personnes interrogées reconnaissaient un sentiment aussi fort que le "love at first sight" [coup de foudre]. Pour la plupart, les sentiments sont beaucoup plus progressifs et s'élaborent au cours de la fréquentation commune. Pour revenir au coup de foudre, tout de même, nous nous sommes aperçus qu'il était plus fréquent lorsque les intéressés s'étaient rencontrés dans un lieu public, lorsque la rencontre semblait inattendue, sans aucune préparation.

 

Quelle est la durée moyenne de la cohabitation d'un couple avant le mariage ?

Une caractéristique des couples qui se forment à l'époque contemporaine est qu'ils ne débutent plus par le mariage. A notre époque, presque tous les couples connaissent une période de cohabitation et, de plus en plus, ils se mettent à avoir des enfants sans s'être mariés. Plus d'un premier enfant sur deux naît en dehors du mariage aujourd'hui. Et il y a de plus en plus de couples qui ne se marient plus du tout. On peut notamment remarquer que le Pacs instauré il y a seulement quelques années a un succès qui est croissant et qui ne concerne que pour une toute petite partie des couples homosexuels. Pour revenir à la question de la durée de la cohabitation avant le mariage, on peut dire qu'elle est en allongement permanent.

 

Pourquoi sommes-nous souvent attirés par le même type de personnes ?

Aujourd'hui, nous ne passons plus forcément notre vie avec le premier amour. La vie amoureuse et conjugale est devenue une trajectoire. Une suite d'histoires avec des personnes différentes. C'est un peu la même chose que dans le domaine de la vie professionnelle où nous ne restons pas toute notre vie dans le même emploi. Mais sommes-nous toujours attirés par le même type de personnes ? Il y a assurément des cas de répétition parfois liés à la culture reçue dans le milieu d'origine. Mais il y a aussi souvent des cas d'affinement progressif des choix. Par exemple en commençant par des conjoints assez éloignés de soi, ou de son milieu social pour revenir à des conjoints plus proches, ou inversement.

 

"A peine 15 % des personnes interrogées reconnaissaient un sentiment aussi fort que le "love at first sight"

Quelles évaluations faites-vous de l'évolution de ces choix de couples ces 20 dernières années depuis vos enquêtes ?

Cela fait plus de 20 ans que nos enquêtes ont été faites et l'INED est en train de réfléchir au renouvellement de ces enquêtes. Beaucoup de choses ont changé depuis 20 ans. Les études sont de plus en plus longues, pour les garçons et pour les filles. On rentre plus tard dans la vie professionnelle, avec des phases de précarité initiale de plus en plus longues. Dans le même temps, les contacts se font maintenant "en temps réel", de manière instantanée. Il s'est créé ainsi une véritable sociabilité électronique, dont témoigne par exemple ce chat. Mais est-ce que les nouvelles formes de contact, par exemple par Internet, ont véritablement modifié le contenu des rencontres et les goûts que l'on peut avoir pour tel ou tel type de personne ? Ce n'est pas sûr. Après tout, il faut bien se rencontrer dans la "vraie vie". Ce qui a véritablement changé, ce serait plutôt qu'il faut en passer par toute une série de rencontres avant de trouver le bon. Le prince charmant, les femmes en parlent encore, mais on a de plus en plus souvent plusieurs "hommes de sa vie".

 

Qu'en est-il des mariages mixtes (du point de vue de la nationalité) : certaines classes sociales sont-elles plus portées à faire ce genre de rencontres voire de mariages ?

Les mariages mixtes ne sont pas une nouveauté en France : il y a eu historiquement de très nombreux mariages avec des Polonais, Italiens, Espagnols…Il y en a aujourd'hui beaucoup avec des Portugais, et des Maghrébins. Dans la mesure où le marché matrimonial reste très homogame, c'est-à-dire qu'il associe des conjoints proches socialement, et dans la mesure où les immigrants sont plus souvent de milieux populaires et modestes, les mariages mixtes sont plus fréquents dans ces milieux.

 

Avez-vous des éléments de comparaison avec d'autres pays ? Les Français sont-ils moins ouverts dans le choix de leurs partenaires que d'autres nationalités ?

Le fait que les choix matrimoniaux soient très homogames en France est un indicateur parmi d'autres de la rigidité de notre structure sociale. Les études comparatives ne sont pas très nombreuses et elles montrent à peu près toutes que les sociétés se reproduisent sans grand changement. Ce sont peut-être les migrations qui introduisent le plus de renouvellement. Mais on l'a vu, même les mariages entre migrants et personnes d'origine locale unissent généralement des individus proches.

 

"La vie amoureuse et conjugale est devenue une trajectoire. Une suite d'histoires avec des personnes différentes"

1983 [NDLR, date de l'enquête] ça commence à dater ! La situation a sûrement beaucoup évolué, avez-vous ou allez-vous mener de nouvelles enquêtes ?

Des chercheurs sont déjà en train de travailler à l'INED sur une nouvelle enquête, qui pourrait avoir lieu 25 ans après la dernière. Il faut se souvenir que notre enquête s'était elle-même déroulée 25 ans après "le choix du conjoint", première enquête menée en 1959 sur ce sujet, par Alain Girard. Donc nous aurons d'ici quelques années à peine de tout nouveaux résultats sur cette question qui suscite toujours d'aussi grandes interrogations

 

Michel Bozon Le chat est une expérience nouvelle pour moi, mais je suis sûr que les jeunes chercheurs qui travaillent sur la nouvelle enquête seront eux de vrais professionnels de ces nouveaux modes de communication.

 

En savoir plus La présentation du livre

Le livre sur le site de l'INED (introduction et sommaire en PDF)

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