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21/10/2006

Renaud Dély : "La gauche devra être plurielle si elle veut reconquérir le pouvoir"

Modernisation du PS, propositions des candidats à l'investiture socialiste... Le journaliste Renaud Dély a répondu en direct à vos questions sur son livre les "Tabous de la gauche" (Bourin Editeur) et la précampagne présidentielle, le 20 octobre.

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"En étant par principe plus à gauche que les autres, la gauche française se condamne à l'isolement et donc à l'impuissance"

Avez-vous peur pour 2007 ?

Renaud Dély Ma principale crainte pour 2007 consiste dans le risque que, de nouveau, un grand décalage entre promesses électorales et actes du nouveau Président après le scrutin, aggrave encore la crise civique en France. Le populisme de Nicolas Sarkozy bien sûr, mais aussi, dans une moindre mesure, le refus du réel dans lequel se complaît une certaine gauche menacent de provoquer un tel décrochage, dont les conséquences dramatiques sont malheureusement bien connues : rejet des politiques, abstention massive, montée de l'extrême droite, etc.

 

Qu'avez-vous pensé du débat entre les 3 présidentiables du PS ?

Il était sans doute un peu trop figé, un peu trop réglé, un peu trop rigide, mais au total, ce débat a eu le mérite d'inciter les candidats à aborder des sujets de fond. Ce fut un beau moment de politique, austère, mais intéressant. Les prétendants ont eu du mal à se démarquer les uns des autres et ont pris finalement peu de risques. Finalement, seule Ségolène Royal a osé s'attaquer (un peu) à l'un de ces tabous que j'évoque dans mon livre, en écornant le dogme des 35 heures. Espérons que lors des prochains débats, DSK, Fabius et Royal se montreront plus audacieux.

 

N'est-il pas anormal que le premier secrétaire du PS ne soit pas le candidat évident pour 2007 ? Cela ne se passe-t-il pas comme ça dans les autres pays européens ?

En effet, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne, comme dans tous les régimes sociaux-démocrates scandinaves, c'est le patron du parti qui est automatiquement le candidat au pouvoir. On ne peut que s'étonner que François Hollande n'ait pas réussi à s'imposer malgré ses 9 ans de règne à la tête du PS. La situation est encore plus cocasse puisque c'est sa propre compagne qui lui aura d'abord barré une route élyséenne qu'il espérait pouvoir prendre. Mais faisons attention aux clichés. Car en fait, François Mitterrand aura été le seul premier secrétaire du PS à être candidat à une élection présidentielle, en 1974 comme en 1981. En 1965, comme en 1969, et même en 1995, où Jospin priva Emmanuelli, alors patron du parti, de l'investiture présidentielle, ce n'est pas le premier secrétaire qui porta les couleurs du PS. Pas plus, bien sûr, en 1988 et 2002.

 

"Jospin a quand même subi la plus grave raclée de la gauche française depuis les débuts de la Ve République"

Mitterrand est-il à l'origine de la crise de confiance dans la gauche française ?

A mon sens, comme je l'explique dans mon livre, Mitterrand porte en tous cas une grande responsabilité dans cette crise. Il a conquis le pouvoir avec des mots tonitruants, un verbe héroïque, des promesses échevelées, le tout étant sans grand rapport avec le monde réel. Résultat, au pouvoir, la gauche s'est fracassée sur ce mur du réel faute de l'avoir anticipé. L'immense talent de Mitterrand fut à la fois la chance de la gauche, puisqu'il lui octroya le pouvoir et pour longtemps, et son grand malheur, puisqu'il l'empêcha d'ouvrir les yeux plus vite sur le monde qui changeait autour d'elle. Et surtout d'assumer publiquement ces mutations.

 

La gauche de Clinton, Schröder et Blair ressemble plus à la droite française modérée, non ? La gauche française n'a pas donc pas le choix : il faut qu'elle se place beaucoup plus à gauche que les autres !

Je ne crois pas du tout à cette thèse. Il ne s'agit bien sûr pas d'importer et de plaquer en France des modèles étrangers qui ne colleraient pas à notre réalité nationale. Mais pourquoi les rejeter en bloc ? Pourquoi ne pas s'inspirer aussi de solutions qui, après tout, ont satisfait des centaines de millions d'électeurs. Je vous rappelle que Clinton, Schröder et Blair ont une particularité par rapport à la gauche française, c'est qu'eux, au moins, ont gagné plusieurs élections consécutives, deux pour les deux premiers et même trois pour Blair. Les peuples allemands, anglais et américains sont-ils forcément plus bêtes que les électeurs de gauche français ? D'autant qu'en étant par principe plus à gauche que les autres, la gauche française se condamne aussi à l'isolement et donc à l'impuissance. On l'a vu avec le "non" de gauche au référendum sur la Constitution européenne. La gauche était seule sur cette ligne. Résultat, l'Europe est en panne depuis et la gauche française n'y a pas gagné la moindre influence supplémentaire sur la scène internationale, bien au contraire. A vouloir avoir raison tout seul contre les autres, on finit pas avoir souvent tort.

 

Vous êtes dur : le bilan de Jospin n'est pas honteux !

En effet, je ne le qualifierais pas de "honteux". Dans le livre, je distingue d'ailleurs deux périodes : de 1997 à 2000, il y a eu de vrais efforts pour mettre en œuvre un réformisme authentique, réaliste mais ambitieux, honnête mais volontaire. Puis, le gouvernement Jospin s'est malheureusement perdu dans une approche catégorielle, voire électoraliste, de la société française. Et il a perdu de vue l'évolution d'ensemble de couches entières de la population : les classes populaires paupérisées notamment par les 35 heures, la crainte de l'insécurité pour une frange croissante de Français, etc. Résultat, le pays a changé plus vite que le logiciel jospiniste. Et au final, celui-ci a quand même subi la plus grave raclée de la gauche française depuis les débuts de la Ve République. Si son bilan n'était pas honteux, il devait quand même être sacrément perfectible, non ?

 

"Ségolène Royal rassemble "prolos" et "bobos" parce qu'elle a osé s'attaquer à quelques tabous de la gauche"

La personne à gauche qui semble le mieux rassembler les Français, c'est Ségolène Royal. Etes-vous aussi de cet avis ?

Aujourd'hui, elle semble en effet en tête, à mon avis pour deux raisons. Sans préjuger de ses capacités à réussir, elle incarne d'abord quelque chose de neuf sur une scène politique où les Français en ont marre de voir s'accrocher toujours les mêmes vieilles badernes, parfois même usées avant l'âge (songez que Jacques Chirac n'exclut pas, à l`heure actuelle, une 5e candidature consécutive !). En outre, Ségolène Royal rassemble effectivement large, et notamment, pour faire court, "prolos" et "bobos" qui sont deux composantes essentielles de l'électorat de gauche, parce qu'elle a osé s'attaquer à quelques tabous de la gauche sur la sécurité, le modèle éducatif français ou le travail. Peut-être ne trouvera-t-elle pas les remèdes, mais au moins a-t-elle eu l'audace de mettre le doigt sur certains maux de la société française que ses camarades refusaient même d'évoquer. A mon avis, c'est pour cela qu'elle bénéficie, pour l'heure, d'une audience assez forte dans l'opinion.

 

La "gauche plurielle" est-elle aujourd'hui possible? A-t-elle a un sens ?

La gauche devra être plurielle si elle veut reconquérir le pouvoir. Le PS ne pourra le faire seul. Et Communistes comme Verts savent qu'ils devront en passer par là pour continuer de survivre politiquement. Mais ce n'est en effet pas vraiment une question de "sens", encore moins aujourd'hui qu'hier, tant ces gauches sont déchirées sur des sujets de fond (Europe, mondialisation, sécurité, etc.). Ce n'est en fait qu'une question d'arithmétique électorale pour bâtir une addition où le PCF, les Verts, le PRG, voire le MRC, ne jouent que le rôle de supplétifs du PS.

 

Les bobos sont devenus les nouveaux boucs émissaires politiques : il ne faut pas pousser !

Je ne pense pas qu'ils soient des boucs émissaires. La gauche doit en tenir compte, c'est grâce à eux qu'elle a conquis en 2001 les mairies de Paris et de Lyon. Mais il est quand même vrai que les "bobos", du fait de leurs positions institutionnelles et de leur influence culturelle, pèsent parfois d'un poids excessif sur le cours et le discours du PS, au risque que celui-ci oublie les autres franges de son électorat.

 

"Le retrait de Lionel Jospin peut aider la gauche à accomplir sa mue"

J'aimerais savoir sur quels domaines la gauche a "perdu le sens du réel" selon vos propres termes : sur quels problèmes n'était-elle plus en phase avec les Français ?

Je pense qu'elle souffre d'abord de cécité quant au cadre dans lequel elle évolue, et dans lequel elle est appelée à gouverner. 17 ans après la chute du mur de Berlin, elle est toujours mal à l'aise dans l'économie de marché et rêve encore d'un autre monde possible. Mais il n'y en a pas d'autre. C'est une lubie. C'est ce monde-là que la gauche française doit penser, gérer, réformer, améliorer et changer, à petits pas. De même, elle peine encore à reconnaître les mérites de la mondialisation ou les atouts de l'Europe. Résultat, pour toute une série de questions (pouvoir d'achat, emploi, délocalisations, formation, éducation), elle se réfugie dans un monde imaginaire où des frontières (pourtant dissoutes) et un Etat (malheureusement très affaibli) sont censés tout résoudre. C'est bien que la gauche française a perdu le sens du réel...

 

Que pensez vous de la non-candidature de Lionel Jospin ? Est-ce une "bonne" ou une "mauvaise" chose pour la gauche, le PS ?

Malgré toute l'estime que l'on peut avoir pour l'homme et son œuvre, je pense que c'est une bonne chose. La candidature de Jospin n'aurait fait que maintenir la gauche française sur un logiciel ancien et dépassé comme je le montre dans mon livre. Son retrait peut aider la gauche à accomplir sa mue.

 

 

"Ne pas décevoir une nouvelle fois les Français après le scrutin est le véritable défi qui se pose à la gauche"

Qui est le plus à même de gagner face à Sarkozy en 2007 ?

C'est évidemment LA question qui se pose à la gauche. Les trois candidats ont des atouts mais j'avoue que je ne pense guère que le discours très classique de Fabius, copie de celui de Mitterrand en 1981, puisse être performant dans une France qui a beaucoup changé depuis 25 ans. Il fait plaisir à la gauche certes, mais je redoute que ce discours ne gagne pas au printemps prochain. Royal ou DSK, s'ils osent quelques novations programmatiques me semblent plus efficaces pour contrer Sarkozy. Mais au-delà de l'élection, comme je l'explique dans le livre, c'est surtout l'ambition de ne pas décevoir une nouvelle fois les Français après le scrutin qui est le véritable défi qui se pose à la gauche. Quant à Sarkozy, finalement, peut-être ses nerfs seront-ils les meilleurs auxiliaires... de sa propre défaite ?

 

Renaud Dély Eh bien je vous remercie de toutes vos questions et j'espère que nous aurons l'occasion de dialoguer de nouveau ensemble d'ici l'élection présidentielle. L'actualité, et en particulier les facétieuses péripéties qui agitent la chronique de la gauche, devrait nous le permettre. A bientôt.

 

En savoir plus La présentation du livre de Renaud Dély

Tous les chats "présidentielle 2007" de L'Internaute

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