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"Dictature
signifie corruption et autisme par rapport aux revendications sociales" |
Comment s'est passée votre expérience professionnelle
en Chine ? Yidir Plantade C'était très intéressant.
J'occupais un poste en marketing commercial, j'ai donc pu observer les techniques
de négociation en entreprise des Chinois. Pourquoi vous intéressez-vous
à la Chine ? La Chine est un grand pays, sous tous les aspects
: historiques, philosophiques, artistiques, démographiques, économiques...
Aujourd'hui en pleine mutation, ce pays-continent est sans doute un des endroits
du monde les plus passionnants à étudier. Parlez-vous
chinois ? J'ai étudié le chinois à Hong Kong
et à Paris, mais la meilleure école reste sans aucun doute la rue
chinoise ! Depuis mon retour en France, mon mandarin se rouille quelque peu...
Vous dites que les employés chinois ne sont pas travailleurs,
cela paraît incroyable
En fait, ils sont comme tout le monde !
Si on les traite très durement, comme c'est le cas dans certaines usines,
ils travaillent comme des fous. Mais lorsqu'ils ont l'occasion de ne rien faire,
comme on le constate dans pas mal d'entreprises publiques et d'administrations,
je peux vous assurer qu'ils peuvent se montrer feignants comme des couleuvres.
Ce n'est pas spécifique aux Chinois, je pense que tous les employés
du monde adoptent la même attitude.
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"Le
droit du travail existe, mais il n'est pas appliqué" |
Le droit du travail est-il véritablement inexistant en Chine ?
Comme souvent en Chine, il y a un fossé entre la théorie
et la réalité. La Chine est entrée dans un processus de création
de règles de droit, mais ne les applique pas encore et ce dans de nombreux
domaines, y compris la législation sociale. Par exemple, aujourd'hui, les
cotisations sociales sont censées représenter 40 % d'un salaire.
Or, beaucoup d'entreprises, publiques comme privées, n'offrent quasiment
aucune garantie sociale à leurs salariés ! Les conditions de
travail dans les mines de l'intérieur du pays, par exemple, sont effroyables.
Surtout dans les mines privées, souvent illégales et appartenant
à des nababs locaux. Or, la mine est l'un des secteurs supposés
être parmi les plus régulés par l'Etat. En d'autres termes,
le droit du travail existe, mais il n'est pas appliqué. Cependant, il faut
noter que quelques avocats spécialisés commencent à apparaître
dans les grandes villes industrielles et certains salariés se rebiffent
et cherchent à voir leurs droits appliqués. La Chine n'est-elle
pas au bord de l'explosion sociale ? "Explosion sociale"
est un terme sans doute trop fort. Certains intellectuels américains et
européens (comme Guy Sorman) avancent cette thèse. Il y a d'évidentes
contradictions sociales extrêmement sensibles, notamment dans le monde rural,
qui voit son niveau de vie se dégrader à grande vitesse par rapport
à la côte industrialisée. On a dénombré l'année
dernière 70 000 manifestations diverses, parfois très violentes
et généralement à caractère social. Cependant, ces
actions sont très désorganisées, pas du tout coordonnées
à l'échelle nationale et ne concernent généralement
que des questions locales. On ne trouve pas encore les germes d'une contestation
globale de la mainmise du parti sur l'Etat. Selon vous, le communisme
est-il un atout ou un frein pour la Chine ? Le communisme n'est plus vraiment
d'actualité en Chine. On parle de "socialisme avec des caractéristiques
chinoises" ou de "socialisme de marché". En gros cela signifie
: nous faisons des affaires et laissons la population s'enrichir, mais le parti
garde le contrôle de tous les rouages de la société. On dit
parfois que cet état dictatorial permet à la Chine de faire des
réformes radicales. Ce que l'Inde démocratique ne peut pas se permettre,
par exemple. Mais sur le long terme, dictature signifie corruption et autisme
par rapport aux revendications sociales. C'est donc plutôt un facteur d'instabilité.
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"Les
retombées économiques de l'obséquiosité politique
chiraquienne (envers la Chine) se font attendre" |
Dans votre livre vous remettez en cause la "sino-béatitude"
et pourtant nos politiciens sont toujours aussi obséquieux vis-à-vis
des Chinois. Pensez-vous que dérouler le tapis rouge permet réellement
de décrocher des contrats ? Très bonne question. Justement,
l'obséquiosité n'a jamais garanti de bonnes relations économiques
avec la Chine. George W. Bush, par exemple, est assez froid avec la Chine
et cela ne l'empêche pas de vendre quantité de Boeing, ni d'ailleurs
de placer peut-être des centrales nucléaires. La France, elle, n'est
que le 15ème fournisseur de la Chine. Bref, les retombées économiques
de l'obséquiosité politique chiraquienne se font attendre pour la
France. Quelle est la principale difficulté pour un entrepreneur
étranger en Chine ? Le plus difficile est de comprendre l'environnement
juridico-économique. Les normes et les références en vigueur
ne sont pas forcément les mêmes qu'en Occident. Souvent, on se laisse
tromper par le côté "occidental" des tours de Shanghai
ou des avenues de Pékin. Il faut accepter une part d'incertitude lorsque
l'on signe un contrat, par exemple. Il faut garder à l'esprit qu'un fournisseur
peut vous "tester" et tenter de vous "entuber" pour faire
des profits à court terme. Cela est dû à l'état encore
un peu "sauvage" du capitalisme chinois. Lequel ressemble, par certains
aspects, au capitalisme de la première révolution industrielle en
Europe. Il faut aussi comprendre le phénomène des "guanxi"
: les réseaux de relations. Il est essentiel de savoir qui est qui, qui
est en contact avec qui et qui est protégé par qui. La protection
par de puissants personnages est très importante en Chine, il ne faut donc
pas essayer d'affronter des gens qui ont de meilleures "guanxi" que
soi-même. Quelle est l'anecdote dans une entreprise en Chine qui
vous a le plus marqué ? Outre les employés qui se raclent
la gorge et crachent dans leur poubelle toutes les 10 minutes, je dirais que les
méthodes parfois peu orthodoxes employées par certains directeurs
des achats m'ont étonné : ils ont coutume de prélever pour
eux-mêmes 10 % du prix des marchandises qu'ils achètent pour
leur entreprise. Comment avez-vous réussi à obtenir autant
d'exemples concrets dans les entreprises chinoises ? Deux sources principales
: la presse, tout d'abord chinoise et dans une moindre mesure anglo-saxonne. Puis
surtout, les discussions avec des expatriés. Dans un bar, après
trois bières, les gens vous disent des choses sur leurs mésaventures
qu'ils cherchent d'habitude à cacher.
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"En
faisant des affaires en Chine on fait plus de bien aux Chinois que de mal" |
Faut-il payer des pots-de-vin pour s'installer en Chine ? Il
n'y a pas de règle absolue. Pour s'installer dans une ville très
"évoluée" comme Shanghai, il n'est absolument pas nécessaire
de payer des pots-de-vin. Par contre, dans des endroits plus reculés ou
dans des secteurs nécessitant des licences spéciales, délivrées
par une ou plusieurs administrations, on peut être amené à
devoir effectuer quelques "dons". Vous dites qu'un employé
s'est fait construire une usine avec l'argent d'un entrepreneur étranger
: comment est-ce possible ? L'employé était le directeur
de l'usine, dont l'actionnaire était le fond d'investissement américain
Asinco. Il a donc maquillé toute la comptabilité pour "siphonner"
les fonds et construire sa propre usine. Evidemment, il l'a fait avec la complicité
des autres dirigeants de l'usine. Les brevets sont-ils maintenant respectés
en Chine ? La législation est en place, depuis l'entrée
de la Chine à l'OMC en décembre 2001. Mais l'application en est
pour le moment très parcellaire. Le piratage se poursuit toujours à
échelle industrielle. Cependant, on estime que les grandes entreprises
chinoises se feront elles-mêmes copier. Cela commence à être
le cas. Et le phénomène sera avéré lorsque la lutte
contre le piratage industriel et la contrefaçon sera renforcée.
Mais pour le moment, selon la chambre de commerce américaine et le cabinet
Price Waterhouse Coopers, la protection de la propriété industrielle
et intellectuelle reste de loin le souci numéro un des investisseurs étrangers.
Pour faire du business en Chine, il faut une certaine dose de cynisme
: le mauvais traitement des travailleurs et la répression des citoyens
ne rebutent-ils pas les Occidentaux ? Effectivement, on peut se poser
la question du cynisme. Surtout quand on voit des investisseurs faire "ami-ami"
avec des dirigeants connus pour leur corruption. Cependant les investissements
en Chine enrichissent le pays et bénéficient, bon an mal an, à
la population chinoise. Donc au final, on peut dire qu'en faisant des affaires
en Chine on fait plus de bien aux Chinois que de mal, si tant est que ces notions
aient un sens en affaires.
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"Le
'capitalisme de copains' est un phénomène pan-asiatique" |
S'il y avait un seul conseil à retenir, avant de partir faire
des affaires en Chine, quel serait-il ? Trois choses : apprenez
le Chinois, tenez-vous toujours sur vos gardes (on peut vous poignarder dans le
dos à n'importe quel moment) et ayez TOUJOURS un plan de sortie, de retraite,
avant d'entamer quoi que ce soit. Dans quels domaines y a-t-il le plus
d'argent à gagner en Chine ? Si je le savais je serais en
train de le faire, au lieu de "chatter" avec vous. Vous parlez
beaucoup des mauvais côtés de l'économie chinoise, quels sont
ses principaux atouts ? Bien évidemment, ses atouts sont l'alliance
d'une productivité en hausse et de coûts salariaux très bas.
La naissance d'une classe moyenne de consommateurs peut agir comme un futur moteur
de l'économie chinoise, bien que cela se fasse attendre. Le taux d'épargne
élevé des ménages est également très appréciable.
Mais il faudrait que les entreprises privées aient accès plus facilement
aux prêts bancaires, au détriment d'entreprises publiques souvent
inefficaces. L'investissement actuel dans la recherche est également un
atout potentiel pour la Chine. Mais pour le moment l'Inde la devance dans la course
à l'économie de la connaissance. Quelles sont les principales
qualités des travailleurs chinois ? Les travailleurs chinois
apprennent vite et sont (généralement) perfectionnistes. Ils ont
très peur de la critique et cherchent donc toujours à faire pour
le mieux. De plus, leur formation confucéenne, basée sur l'apprentissage
par coeur et la récitation, leur permet d'intégrer beaucoup de choses
en peu de temps. Le problème, c'est que cette culture constitue en même
temps un frein à l'innovation personnelle. D'autres pays d'Asie
présentent-ils les mêmes caractéristiques que celles décrites
dans votre livre ? D'une certaine manière, le Japon. Ce pays est
démocratique, plus riche que les pays européens, mais continue à
présenter certaines caractéristiques similaires. Le "capitalisme
de copains" est un phénomène pan-asiatique. Les grands groupes,
les grandes familles, s'allient avec certains pans de l'Etat, de la politique,
de la haute administration. Et tout ce beau monde gouverne en fonction de ses
intérêts.
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"Avec
22% de la population mondiale, la Chine ne produit que 4% du PIB de la planète" |
A quoi ressemblera la Chine économique et politique dans
10 ans ? Politiquement, pas de changement majeur à l'horizon
: réformes économiques de plus en plus timides (en tout cas sous
la présidence Hu) et prolongement de la mainmise du parti sur l'Etat. La
presse, par exemple, est victime de répression depuis un an et on va vers
de plus en plus d'autocensure. Quels sont les pays qui vont pouvoir
rivaliser avec la Chine dans quelques années : l'Inde, le Brésil...? L'Inde
est bien placée dans la course à la croissance. Du moins, c'est
le pari que font les Etats-Unis. Ils souhaitent l'émergence d'une Inde
forte, pour faire contrepoids en Asie à une Chine de plus en plus riche
et nationaliste. Le Brésil adopte une attitude plutôt conciliante
à l'égard de la Chine. Mais il ne faut pas se leurrer : dans les
25 ans à venir, le pays qui continuera à défier la Chine
sera les Etats-Unis. Il faut relativiser la puissance chinoise. Avec 22 %
de la population mondiale, la Chine ne produit que 4 % du PIB de la planète,
c'est-à-dire la même chose que des petits pays comme la France ou
la Grande Bretagne. L'Inde est encore plus loin derrière et avance plus
lentement. La Russie vit sous "perfusion" gazo-pétrolière.
Le Brésil, bien qu'en forte croissance, semble davantage s'orienter vers
un statut de puissance régionale que de puissance globale. Bref, au final,
on assistera pendant encore un certain temps à une course à l'échalote,
avec la Chine courant derrière les Etats-Unis. Combien y a-t-il
de Chinois en Chine ? Les experts les plus avertis avancent le chiffre
de 1,4 milliard de Chinois, en prenant en compte les "enfants cachés"
du monde rural. Si vous vouliez créer une entreprise, dans quel
pays voudriez-vous l'implanter ? Hong-Kong ou les Pays-Bas. Les Pays-Bas
allient stabilité juridique et législation favorable à l'investissement,
ainsi que flexibilité du travail.
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"Un
urbain Chinois gagne 1 500 euros par an" |
Les salaires et donc les prix vont-ils rattraper ceux de l'Europe
un jour en Chine ? Un jour peut-être, mais lointain.
A l'heure actuelle, un urbain Chinois gagne 1 500 euros par an : c'est le revenu
d'un membre de la classe moyenne des villes de la côte. Vous voyez donc
l'étendue du rattrapage à faire pour atteindre les salaires européens.
Avez-vous une idée de la proportion d'entrepreneurs qui reviennent
"bredouilles" ou ruinés de l'eldorado chinois ? Je ne
peux pas donner de proportion exacte. Cependant, certaines études donnent
des pistes. En fait, peu de gens reviennent réellement ruinés. La
plupart perdent beaucoup d'argent pendant des années, avant de comprendre
"comment ça marche". Si vous lisez les études de la Chambre
de commerce américaine, vous constatez qu'en moyenne, il faut 10 ans de
pertes pour arriver à faire des bénéfices. Et cela sans compter
les investissements de départ. On peut donc atteindre le point d'équilibre,
mais le coût d'entrée sur le marché chinois est extrêmement
lourd. Comment est-on accueilli en Chine en tant qu'Européen
? L'Européen est plutôt bien reçu. Les Chinois sont
globalement des gens très accueillants et curieux de l'étranger.
Ils vont donc généralement rechercher votre compagnie, vous poser
beaucoup de questions, parfois indiscrètes. Il y a aussi du racisme, mais
pas plus qu'ailleurs. Il s'exprime surtout contre les Noirs et les autres Asiatiques.
Dans l'entreprise, l'Européen est généralement plutôt
respecté, on le considère un peu comme un "expert étranger".
Cependant, dans les relations commerciales, on peut aussi le considérer
comme un "pigeon à plumer". Le pire est de jouer à l'Occidental
arrogant. C'est la meilleure recette pour se faire détester. Que
pouvons-nous apporter à la Chine en tant qu'Européens ? Les
Européens et les Occidentaux, en général, apportent à
la Chine, depuis plus de 20 ans maintenant, des transferts de technologie. Souvent
contre leur propre volonté, d'ailleurs (copie industrielle) ! C'est ce
rattrapage technologique accéléré qui nourrit en partie l'expansion
chinoise. Sinon, en terme de culture, il y a beaucoup d'échanges dans le
domaine artistique. Mais de façon générale, les Chinois sont
davantage fascinés par les Etats-Unis que par l'Europe.
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"Il
y a un marché à prendre en Afrique (...) où les produits
chinois sont tout indiqués" | Avez-vous
lu l'ouvrage "La Chine sera-t-elle notre cauchemar" de Philippe Cohen
? Qu'en pensez-vous ? Je l'ai lu et je pense que sa problématique
est intéressante. Cependant, je ne partage pas sa vision cauchemardesque
du libéralisme économique. A l'en croire, on pourrait presque penser
que les Chinois vivaient mieux au temps du maoïsme pur et dur.
Comment
vous êtes-vous partagé le travail avec votre oncle ? J'ai
apporté la matière, les anecdotes, il a apporté sa touche
journalistique et sa connaissance du milieu économique français.
Yidir, c'est un nom chinois ? Non, c'est un nom kabyle.
Il existe en Algérie une communauté chinoise, petite,
mais qui a pignon sur rue, même dans les petites villes de Kabylie. Qu'est-ce
qui pousse les Chinois à s'implanter là-bas ? Les Chinois
s'implantent dans toute l'Afrique. Ils jouent actuellement le rôle des Libanais
ou des Grecs du siècle dernier. Leurs entreprises y nouent de plus en plus
de contrats juteux, surtout dans le bâtiment et les télécommunications.
Il y a un marché à prendre en Afrique, où les gens sont affamés
de produits de consommation à bas coûts : les produits chinois sont
tout indiqués pour ce type de demande.
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Titre : "La face cachée de la Chine" |
Parution : 12 janvier 2006 | Pages 279 pages |
Format : 15 x 22 |
Prix : 20 euros |
Editeur : Bourin |
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