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Photo © L'Internaute
Magazine
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L'Islam contient-il une dimension intrinsèquement
politique, comme on l'entend souvent ?
Il y a beaucoup
d'ignorance sur cette question entretenue par les médias
occidentaux, mais aussi par la propagande des milieux fondamentalistes
musulmans. Tout comme l'Evangile, le Coran n'a aucune disposition
relative à l'organisation du pouvoir politique. Il contient
des prescriptions alimentaires et des règles de mariage
et de succession, mais rien qui concerne l'organisation
des pouvoirs. La Théorie du Califat a été construite par
des religieux et des politiques sur le double modèle byzantin
et perse qui régnait à l'époque.
En revanche, ce
que l'on oublie c'est que le pouvoir en Islam a toujours
été aux mains de civils qui, eux, ont exercé leur contrôle
sur les docteurs de la loi musulmane, et non l'inverse,
comme dans l'Europe chrétienne où l'Eglise ultra-puissante
a dominé le pouvoir politique laïque jusqu'aux guerres de
religion. La problématique véritable en Islam n'est donc
pas dans la séparation du politique et du religieux, mais
dans l'établissement de la liberté définitive d'exégèse
du texte coranique, notamment par rapport aux différentes
écoles qui ont solidifié depuis des siècles une doctrine
canonique (la sharia).
Mais, au XIXe siècle,
il y a déjà eu un grand mouvement de réforme religieuse
qui s'est prolongé jusqu'au milieu du XXe siècle. Ce mouvement
a eu les ailes coupées et a été arrêté par les encouragements
donnés aux différentes formes de fondamentalismes en Islam,
dans le cadre de la Guerre froide. Certains Etats ont financé
avec la bénédiction des Etats-Unis ce retour du fondamentalisme
le plus crû pour barrer la route à l'extension des idées
communistes ou nationalistes radicales.
Certes, on ne peut unilatéralement lier
terrorisme et Coran mais comment expliquez-vous que tant
d'attaques terroristes soient faites au nom de l'Islam ?
Bonne question. Le terrorisme n'est pas
un phénomène nouveau dans l'histoire de l'humanité. La Russie
et les pays balkaniques ont été secoués par le terrorisme
des groupes anarchistes, nihilistes et nationalistes durant
la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Dans les
années 60, les groupuscules radicaux se réclamant du marxisme
ont sévi en Europe occidentale et au Japon (Bande à Baader
allemande, Brigades rouges italiennes, Action directe française,
Armée rouge japonaise). Personne n'a jamais songé à envoyer
des armées envahir ou bombarder les pays où ils sévissaient
; personne non plus n'a affirmé que les livres phares de
Marx, Le Capital ou le Manifeste du Parti communiste
étaient responsables de ces actions criminelles, même si
les terroristes se réclamaient de ces textes.
Il faut aussi constater que le terrorisme
qui se prévaut de l'Islam sévit bien plus dans les pays
musulmans eux-mêmes qu'à l'extérieur. Egypte, Indonésie,
Turquie, Maroc, Algérie, Arabie saoudite, plus récemment
le Liban, sont tous frappés de ce fléau, dont les causes
sont multiples et qui expriment des malaises graves de société
et des sentiments exacerbés d'humiliation, notamment après
l'invasion de l'Irak et de l'Afghanistan, qui font remonter
les rancurs de la période coloniale où tous ces pays
ont été colonisés. Le fait que beaucoup des gouvernements
de ces pays soient aussi dociles vis à vis de la puissance
américaine, est un facteur additionnel.