Focus
Octobre 2007
Pourquoi la Belgique risque vraiment d'imploser
L'histoire politique de la Belgique n'a jamais été simple. Institutions complexes, réformes constitutionnelles à répétition, imbroglio entre échelons administratifs : le pays a toujours connu des tensions entre communautés linguistiques. Depuis le 10 juin, la crise politique fait même craindre "la fin de la Belgique". Un scénario plus que probable, selon Jean-Yves Camus, chercheur à l'Iris.
L'illusion de la sortie de crise
Depuis les élections du 10 juin, dont sont sortis vainqueurs les chrétiens-démocrates flamands, la Belgique est sans gouvernement. Pour la première fois, plus de 60 % des Flamands ont voté pour des partis demandant davantage d'autonomie. A leur tête, Yves Leterme, ancien ministre-président de la Flandre, qui déclarait récemment dans un entretien accordé à "Libération", en parlant des trois communautés linguistiques : "Que leur reste-t-il en commun ? Le Roi, l'équipe de foot, certaines bières ".
La partition de la Belgique : "juste une question de temps"
Pour Jean-Yves Camus, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), citant le leader wallon Elio di Rupio, "il ne faut pas se faire d'illusion, tôt ou tard la Flandre se sentira assez forte pour voler de ses propres ailes". Economiquement, en effet, la région flamande est prospère, et développe pour cette raison, selon Jean-Yves Camus, "un égoïsme économique et social" : les Flamands ne veulent plus payer pour la Wallonie, région en crise de désindustrialisation. A ces raisons économiques s'ajoutent des raisons plus culturelles, "la Flandre ayant longtemps été victime d'un certain snobisme francophone, qui a créé ressentiment à l'égard de ce qui est français, francophone, wallon " selon Jean-Yves Camus. Pour le chercheur, les Flamands répondent aujourd'hui par l'arrogance : "en témoigne le petit jeu d'Yves Leterme qui a chanté la Marseillaise quand on lui a demandé quel était l'hymne national belge Je ne peux pas croire qu'il ne connaisse pas la Brabançonne, c'était de la provocation".
Mais ce n'est pas pour tout de suite...Cette culture du compromis ferait-elle défaut aujourd'hui plus qu'hier ? La situation actuelle représente-t-elle un tournant dans l'histoire de la Belgique ? Pour Jean-Yves Camus, "il faut attendre la prochaine crise pour le savoir". Car il y en aura d'autres. ll ajoute : "s'il y a suffisamment de convergences pour former un gouvernement aujourd'hui, ça ne sera qu'une tentative de plus parmi les multiples tentatives depuis plusieurs décennies, ces réformes étant à chaque fois bancales". La crise actuelle de la Belgique serait donc une étape de plus dans l'histoire politique et institutionnelle mouvementée du pays. Une histoire qui a l'habitude, notamment, des crises politiques post-électorales, la formation d'un gouvernement en Belgique dépassant régulièrement deux ou trois mois. De plus, le problème de Bruxelles continue de bloquer toute évolution, aucune solution satisfaisante n'étant envisageable pour la capitale dans l'hypothèse d'une partition. Enfin, si la Belgique existe toujours après tant de remous, c'est que du côté flamand, "personne ne veut prendre l'initiative d'une rupture unilatérale". Ce serait en effet, selon Jean-Yves Camus, "jouer le jeu de l'extrême-droite".
La Belgique serait donc condamnée à imploser à terme, mais sans doute pas tout de suite. Et le terme dépendra de la majorité des Belges qui ne souhaitent pas l'implosion, qui vivent entre deux communautés (habitant dans l'une, travaillant dans l'autre), des couples mixtes qui doivent, selon les mots de Jean-Yves Camus, "ramener à la raison une classe politique flamande sur la ligne de la séparation et réveiller une classe politique francophone anesthésiée, qui se raccroche aux derniers morceaux de l'unité". Mais pour le moment, mise à part une pétition soutenue par des personnalités comme Axelle Red ou le chanteur Arno, aucune manifestation de grande ampleur ne vient troubler la marche de la Belgique vers sa partition...
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