Taubira : l'ex-ministre entre en résistance

Taubira : l'ex-ministre entre en résistance TAUBIRA - La déchéance de nationalité aura eu raison d'elle : Christiane Taubira a quitté ses fonctions au gouvernement...

[Mis à jour le 27 janvier 2016 à 17h17] La garde des Sceaux a décidé de claquer la porte et bruyamment. L'Elysée a publié un communiqué de presse ce matin, annonçant que la ministre de la Justice, Christiane Taubira, avait "remis sa démission au président de la République, qui l'a acceptée". L'intéressée est revenue une première fois cet après-midi sur ce départ, lors d'un bref discours place Vendôme, vers 15h30. "Ce fut pour moi un immense honneur d'être garde des Sceaux", a-t-elle annoncé face à de nombreux journalistes sur place, avant la passation de pouvoirs avec son remplaçant Jean-Jacques Urvoas, évoquant même un "fréquent bonheur".

Mais Christiane Taubira, face à son pupitre, tailleur rouge vif sur les épaules, est vite revenue sur la raison de cette démission. "Je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur", a-t-elle indiqué avec la plus grande transparence, assurant vouloir "rester fidèle à [notre] engagement". Sur le fond, elle assume son opposition à la déchéance de nationalité, maintes fois affirmée ces dernières semaines. "Le péril terroriste qui nous menace est grave, imprévisible, mais nous avons appris à le traquer et nous nous en sommes donné les moyens", affirme-t-elle. "Nous ne devons lui concéder aucune victoire, ni militaire, ni politique, ni symbolique", a martelé la ministre, comme pour comparer la déchéance de nationalité à une "défaite" de la République face aux terroristes. Et Christiane Taubira en est convaincue : la République dispose de "fondations solides, d'identités républicaines, civiques [...] assez robustes, assez profondes pour résister aux temps, et aux tragédies".

Aux côtés de Jean-Jacques Urvoas pour la passation de pouvoirs vers 17h, sur le perron du ministère, la ministre démissionnaire a affiché une certaine complicité avec son successeur. Saluant longuement tous les personnels du ministère et remerciant ses collaborateurs, elle a souligné la modernisation de ses services pendant trois ans et demi, mais n'est pas revenue sur l'objet de sa démission. De son côté, Jean-Jacques Urvoas a assuré vouloir poursuivre les chantiers initiés : la réforme du Conseil supérieur de la Magistrature, "J21", la réforme pénale, la dotation de plus de moyens pour la justice, avec notamment l'échéance du budget. Fidèle à son sens de la mise en scène, Christiane Taubira a ensuite enfilé son casque et a quitté le ministère à vélo, entourée de CRS à pied, sans autre référence à la réforme constitutionnelle et à la déchéance de nationalité.

Vers une opposition frontale de Taubira ?

L'ancienne ministre a pourtant choisi son heure, mais aussi sa manière. Sur Twitter ce mercredi matin, elle s'est dite "fière" du travail accompli, mais a également laissé un message ne laissant pas de place au doute quant aux motivations de son départ. "Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l'éthique et au droit", lance l'ancienne ministre sur son compte, signant "ChT" pour bien montrer que le message vient d'elle et non d'un simple conseiller. Doit-on en conclure que l'ancienne ministre de Valls et Hollande va entrer "en résistance" contre le duo exécutif à un an et quelques mois de la présidentielle ? L'option est envisageable. Icône d'une partie de la gauche, elle pourrait s'ajouter à la liste des leaders politiques en mesure de fédérer les déçus du hollandisme, alors qu'écologistes, communistes et Parti de gauche peinent à convaincre.

Autre preuve s'il en fallait que Christiane Taubira n'entend pas rester muette après sa démission : elle sera l'invitée de Michel Denisot à 21 heures ce soir sur Canal++ pour un long entretien. Ce dernier a été enregistré samedi, alors que la démission de la ministre avait été actée, mais pas encore rendue publique. Elle devrait donc de nouveau revenir sur cette démission et ses motifs. L'Express indique également qu'un livre de l'ancienne ministre doit sortir au mois de mars, le 9 très exactement. Intitulé "Etre ministre", l'ouvrage, publié chez Bayard éditions, reprendra le discours tenu par la Garde des Sceaux lors d'une conférence en novembre 2015. Y furent abordés les thèmes de la loyauté en politique ou encore de la confrontation des idées à la réalité du pouvoir. De quoi rendre le résultat explosif ! L'éditeur espère toujours sortir l'ouvrage à la date prévue, mais ne désespère pas d'y voir ajoutés "quelques feuillets..."

EN VIDEO - Valls a salué "l'action" de Christiane Taubira.

"Valls "salue l'action" de Christiane Taubira"

Démission de Taubira : les réactions

Front national. Parmi les premières personnalités politiques à réagir à la démission de Christiane Taubira, Florian Philippot, habitué des antennes radios, s'est exprimé sur RTL. Le Vice-Président du Front National s'est ouvertement réjoui de ce départ, estimant que la ministre de la Justice, désavouée sur la déchéance de nationalité, "n'avait pas le choix". "C'est une très bonne nouvelle ! On a envie de dire : "Enfin !", s'est-il exclamé, ajoutant que "cela fait très longtemps que nous considérons que Mme Taubira est la pire ministre de la Justice que la Ve République ait jamais connu". Soulignant sa "lourde part dans le laxisme ambiant, dans la défaillance de la chaîne pénale", il a critiqué "une ministre extrêmement sectaire, extrêmement violente dans ses propos vis-à-vis des opposants politiques qui n'a jamais respecté les lois républicaines et démocratiques de ce point de vue-là".

Marine Le Pen a quant à elle publié un communiqué dans lequel elle parle d'un "soulagement". "La démission de Christiane Taubira est une bonne nouvelle pour la France, après une action publique à la tête du ministère de la Justice absolument désastreuse pour notre pays", aécrit-elle. "Le laxisme inouï de sa politique pénale, notamment, a si fortement dégradé notre situation sécuritaire et affaibli l'autorité de l'Etat que cette démission apparaît aujourd'hui comme un soulagement", écrit Marine Le Pen dans un communiqué.

Les Républicains. Sur la même station, Guillaume Larrivé, porte-parole des Républicains, a lui aussi salué ce départ. "La vérité, c'est que ça fait trois ans que Madame Taubira, dans les différents gouvernements de François Hollande, a mis en œuvre une politique directement contraire à l'intérêt national", a-t-il indiqué, reprenant la formule de Philippot : "Christiane Taubira aura été le pire ministre de la Justice de la Ve République. Elle a conduit une véritable politique de désarmement pénal, elle a préféré libérer, organiser la libération d'un certain nombre de délinquants plutôt que leur emprisonnement". Et cette figure montante du parti d'enfoncer le clou : "Elle aura vraiment un bilan très funeste".

A droite, certains commentaires ont été plus remarqués que d'autre. Il en va ainsi de celui de Jean-François Copé. L'ancien président de l'UMP, en disgrâce depuis l'affaire Bygmalion et en pleine tentative de retour, s'est fendu sur Twitter de ce trait d'humour : "Pour une fois où je n'avais pas demandé sa démission... #Taubira". La réaction à géométrie variable du nouveau président de la région PACA Christian Estrosi, sévère sur Twitter et plus mielleux à la télévision, a quant à elle été épinglée par Les Décodeurs du Monde. Alors que sur le Web ce farouche adversaire de Christiane Taubira se réjouit de ce départ et espère "pour notre pays que la démission de @ChTaubira entraîne la fin de la politique laxiste de ce gouvernement", il indique sur iTélé que "certains dans [son] camp ont eu tort de s'en prendre directement à la personne". L'ancien ministre de Nicolas Sarkozy, incarnation de la ligne droitière de l'UMP depuis des années, a opéré un virage à gauche depuis qu'il a été élu avec les voix du PS face à Marion Maréchal-Le Pen en décembre dernier dans le sud. Mais les chiffres ne mentent pas : Le Monde a compté pas moins de soixante-dix tweets directement dirigés contre la garde des Sceaux depuis 2012.

Parti socialiste. Au PS, les réactions sont évidemment plus mesurées. Le premier secrétaire du parti, Jean-Christophe Cambadélis, préfère semble-t-il conserver le souvenir des combats de Christiane Taubira place Vendôme, plutôt que la rupture. "Amitiés à @ChTaubira pour nos combats communs dont le mariage pour tous. Nous en aurons d'autres", a lancé le patron de la rue de Solferino sur Twitter. "Je ne vais pas vous dire que c'est une nouvelle qui nous enthousiasme. En même temps, on voit bien qu'elle est la suite d'un processus et d'une forme de cohérence", indique de son côté Jérôme Guedj, membre du Bureau national, souvent catalogué comme "frondeur". Il souligne la logique de l'ancienne ministre qui agit conformément à sa conviction sur la déchéance de nationalité, "à l'image de ce qu'elle est, intègre, authentique, entière".

Anciens ministres. Dans le flot de réactions, il y a un groupe de personnalités politiques a qui la démission de Christiane Taubira fait chaud au coeur. Il s'agit du club des anciens ministres du gouvernement. Pour beaucoup, des déçus de la politique de François Hollande, qui ont eux même quitté le navire à la suite de désaccords. Ainsi, l'ancienne ministre de l'Environnement Delphine Batho salue "Christiane Taubira, femme de culture et de caractère qui elle aussi, finalement, sort du gouvernement". Et celle qui avait sorti un livre à charge contre le chef de l'Etat après son débarquement n'hésite pas à critiquer au passage la politique menée : "le cours du quinquennat aurait pu être si différent"... "Toute mon affection à @ChTaubira, toute ma reconnaissance pour son action à la Chancellerie, tout mon respect pour ses convictions", signe quant à lui Benoît Hamon, ancien ministre de l'Education et leader de la gauche du PS, quand Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la Culture partie dès 2014 (avec Arnaud Montebourg), félicite l'ex-Garde des Sceaux : "Un seul mot : bravo! Hommage au talent immense, au travail et à l'engagement de @ChTaubira qui marquera l'histoire du @justice_gouv". "Hommage affectueux à Christiane Taubira en fidélité à nos combats. Résister c'est en effet savoir partir, oui. Tu l'as si bien fait", a quant à lui posté Arnaud Montebourg en fin de journée.

Plus neutre, l'ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault salue à la fois Christiane Taubira et son remplaçant Jean-Jacques Urvoas : "Hommage à @ChTaubira garde des Sceaux avec qui j'ai travaillé en confiance et amitié #MariagePourTous Tous mes voeux de réussite @JJUrvoas".

Europe Ecologie-Les Verts. Ancienne ministre elle aussi, mais dans un autre camp, Cécile Duflot a tenu également à rendre hommage à Christiane Taubira. Celle qui avoue se préparer pour la présidentielle de 2017 a immédiatement réagi, saluant le "courage" de Christiane Taubira. "Je salue chaleureusement la décision de courage et de conviction de @ChTaubira : la fidélité à nos valeurs est une force", a-t-elle écrit sur Twitter. Plus proche du gouvernement, la députée Barbara Pompili a quant à elle regretté les réactions de joie de Marion Maréchal-Le Pen et Christian Vanneste.

Parti radical de gauche. Au sein du Parti radical de gauche (PRG), dont est issue Christiane Taubira, pas de réaction à ce stade. Mais une certaine forme de gêne pourrait rapidement se faire sentir. Jean-Michel Baylet, le patron du PRG, s'est jusqu'à présent montré comme un allié très loyal et fidèle vis-à-vis du PS et du gouvernement. Disposant de plusieurs ministres (Sylvia Pinel, ministre du Logement, est elle aussi issue du PRG) et d'une poignée de circonscriptions, son parti pourrait pâtir d'une guerre ouverte entre Taubira et François Hollande et de l'éventuelle "fronde" de l'ancienne ministre. Jean-Michel Baylet lui-même compterait sur le prochain remaniement pour être récompensé de ses efforts et entrer au gouvernement.

Parti de gauche. A la gauche de la gauche, où Christiane Taubira bénéficiait jusqu'à présent d'un certain crédit, cette démission est l'occasion d'accabler un peu plus encore la politique de François Hollande. Pour Jean-Luc Mélenchon, c'est l'ironie qui prime : "Encore une proposition du #FN et de la droite reprise par #Hollande : faire partir #Taubira", a-t-il écrit sur son compte Twitter. Quant à Alexis Corbière, secrétaire national du PG, il évoque un double symbole sur le réseau social. "Sans influence sur la pol. du gvt @ChTaubira n'était plus qu'un symbole par une partie de la gauche. Elle démissionne. Tout un symbole...", a-t-il lancé.

Taubira - Hollande : encore dans la retenue

Pour l'heure en tout cas, l'affrontement reste feutré. Le président de la République "a exprimé sa reconnaissance" à sa ministre "pour son action". Et le chef de l'Etat de lui rendre un hommage appuyé : "Elle aura mené avec conviction, détermination et talent la réforme de la Justice et joué un rôle majeur dans l'adoption du mariage pour tous". François Hollande rend par ailleurs publiques les motivations de la ministre démissionnaire, comme pour éviter le malaise qui plane : celle-ci n'aura pas accepté d'être encore membre du gouvernement alors que les débats s'ouvrent au Palais Bourbon sur la révision constitutionnelle, censée acter la très discutée déchéance de nationalité.

Mais il y a aussi, sans doute, une question de personne. L'ex-garde des Sceaux n'aurait pas pu s'associer à Manuel Valls pour défendre le texte devant les parlementaires. François Hollande a donc choisi de la remplacer par Jean-Jacques Urvoas. Ce très proche du Premier ministre, en revanche, "portera la révision constitutionnelle et préparera le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et la réforme de la procédure pénale", précise le communiqué.