Démission de Manuel Valls : ce qu'il y a derrière le démenti

Démission de Manuel Valls : ce qu'il y a derrière le démenti Les rumeurs d'une démission de Manuel Valls se sont intensifiées la semaine dernière, en marge de la contestation du projet de loi El Khomri sur le travail. Le Premier ministre s'est expliqué dans le JDD...

[Mis à jour le 7 mars 2016 à 12h40] Manuel Valls dément toute volonté de démissionner du gouvernement. Dans les colonnes du JDD, ce 6 mars, il affirme : "Jamais je n'ai fait et je ne ferai de chantage à la démission". "Il y aurait une forme d'indécence à poser le débat autour de ma personne (...) Le narcissisme, l'égotisme et les caprices, je laisse cela à d'autres", explique le Premier ministre après une semaine d'intenses rumeurs. Car les bruits autour de son possible départ, avec en toile de fond la contestation de la loi El Khomri, n'ont cessé de s'intensifier en une dizaine de jours.

Et c'est encore un article du JDD, paru en ligne cette fois le 2 mars, qui a sans doute le mieux résumé cette "tentation du départ". Las des débats virulents dans la majorité, Manuel Valls aurait posé une sorte d'ultimatum à François Hollande sur le projet de loi sur le travail, porté par Myriam El Khomri. Le Premier ministre aurait fait de tout renoncement sur ce texte un motif de départ indiquait l'hebdomadaire, affirmant que les couloirs des ministères bruissent depuis plusieurs jours de cette démission potentielle. Parachèvement du tournant libéral du gouvernement, la loi El Khomri cristallise les tensions à gauche au point que sa présentation a été repoussée de deux semaines, qu'un mouvement social d'ampleur se profile avec une grève le 9 mars et qu'une fronde s'organise dans les rangs du Parti socialiste. Une fronde incarnée cette fois clairement par Martine Aubry, qui signait le 24 février une tribune assassine dans Le Monde contre le projet et plus généralement la politique du gouvernement.

EN VIDEO - A l'assemblée le 1er mars, Manuel Valls a jugé "exagéré" de parler de "reculade" après le report de 15 jours de la présentation en Conseil des ministres du projet de loi sur le travail, qui doit arriver à l'Assemblée nationale "fin avril".

"Loi Travail: "exagéré" de parler de "reculade", affirme Valls"

Le démission de Manuel Valls démentie, mais toujours d'actualité

Fermement démentie dimanche, la démission de Manuel Valls fait pourtant toujours parler ce lundi. Le Figaro rapporte que le Premier ministre a bien mis sa démission dans la balance lors d'une réunion secrète avec une dizaine de ministres, le 26 février dernier. Une menace de nouveau formulée le lendemain au cours d'un déjeuner à Matignon, selon le quotidien. Pour Manuel Valls, pas question de céder à cette gauche qui proteste à chacun des textes présentés au Parlement ou presque depuis avril 2014. "Il claquera la porte" cette fois si François Hollande cède, indiquait un de ses conseillers sous couvert d'anonymat sur le site du JDD le 2 mars.

Mais le doute sur son avenir à Matignon irait chercher ses racines beaucoup plus loin. Par peur d'être "fillonisé" - autrement dit de suivre le chef de l'Etat jusqu'à la fin de son quinquennat et de rester plombé par sa défaite, comme François Fillon après 2012 -, Manuel Valls chercherait une porte de sortie depuis déjà plusieurs mois. Il "se prépare à sortir" soufflait une autre source, certaine qu'il ne voulait pas rester jusqu'au bout au service de François Hollande et risquer d'être associé à son bilan en 2017. "Il ne veut pas couler avec", abondait même une journaliste de FranceTV Info.

En ce sens, la loi El Khomri serait un test : en exacerbant la confrontation avec les frondeurs de la majorité, le Premier ministre voudrait forcer le chef de l'Etat à lui donner les mains libres... ou à le désavouer. Ce qui reviendrait à couper le cordon en prétextant que François Hollande ne lui a pas donné les moyens de réformer le pays, comme l'indiquait un article du journal Le Monde dès lundi 25 février. L'après-régionales de 2015 aura été en ce sens une occasion manquée pour Manuel Valls de sortir du gouvernement. Le remaniement, d'abord repoussé pour cause d'état d'urgence et de contexte post-attentats, a finalement conforté l'ancien maire d'Evry à Matignon.

Valls piégé à Matigon ?

François Hollande n'a en effet aucun intérêt à se séparer d'un des favoris de la gauche pour la présidentielle 2017. Le maintenir à la rue de Varenne est un moyen de l'empêcher de préparer une éventuelle campagne. Et le président n'a pas réellement d'alternative pour le remplacer à Matignon. La star montante, Emmanuel Macron, ne serait pas vraiment emballée par un poste de Premier ministre de fin de quinquennat. Une période sans texte d'ampleur à se mettre sous la dent passée la loi El Khomri qui, rappelons-le, lui a échappée alors qu'il rêvait d'une loi "Macron 2"...

Dans les troupes de Manuel Valls, on confirme à demi-mots ce tiraillement complexe entre fidélité quasi-obligée au président et tentation de partir. Pas de jeu politicien ici selon eux, mais un souci à la fois de "cohérence" et de sens des "responsabilités". Mais d'aucuns ont déjà dénoncé un calcul, comme Martine Aubry qui, selon l'Express, aurait dit à François Hollande lors d'une récente entrevue : "Méfie-toi ! Manuel prépare son départ, il est en train de te trahir, il la joue perso...".

François Hollande et Manuel Valls à l'Elysée le 17 février 2016. L'un pense à 2017, l'autre à une démission. © VILLARD/NIVIERE/SIPA

Une rupture entre Valls et Hollande ?

Le Canard Enchaîné du mercredi 2 mars a livré quant à lui un scénario sensiblement différent. Première confidence de taille livrée par l'hebdo satirique : Manuel Valls ne serait pas un défenseur si acharné de la loi El Khomri. Après la publication de la tribune au vitriol de Martine Aubry dans Le Monde, il aurait d'ailleurs activé son réseau pour faire passer discrètement un message aux médias. Message selon lequel la rédaction du texte de loi ainsi que ses arbitrages auraient été en grande partie pilotés par l'Elysée et non par Matignon. Le tout avec la participation du chef de l'Etat lui même et de son protégé, Emmanuel Macron.

Selon le palmipède, Valls refuserait de porter le chapeau et de jouer le vilain Premier ministre libéral face à un François Hollande dans les habits de président conciliateur. La situation serait donc inversée, mais le résultat toujours le même : "exaspéré" par une gauche incontrôlable et un président louvoyant, Manuel Valls serait prêt à tout plaquer. La rupture serait d'ailleurs bel et bien consommée avec le chef de l'Etat dont il est l'allié inséparable depuis la primaire de 2011.

Reste que l'idée d'une démission n'effraierait pas François Hollande outre mesure. C'est l'autre nuance apportée par le Canard, qui cite un ministre hollandais : "Si Valls s'en va, il se retrouvera bien seul avec Jean-Marie Le Guen et une poignée de parlementaires. Il se marginalisera. Dans le parti, il ne représente pas un gros courant. La modernité, aujourd'hui, c'est Macron, ce n'est plus lui. L'autorité, la sécurité, c'est Cazeneuve, ce n'est plus lui". Comprendre : le candidat du PS en 2017, ce ne sera sans doute pas lui non plus...

Un départ forcé pour Valls ?

Dernier scénario de cette semaine mouvementée, un article du Parisen publié vendredi 4 mars a balayé quant à lui les rumeurs de tensions persistantes entre le chef de l'Etat et son Premier ministre. Selon le quotidien francilien, Manuel Valls et François Hollande se seraient vus dimanche 28 février au soir, à l'issue de la tournée sud-américaine du président. Et le duo aurait alors mis tous les désaccords sur la table pour en discuter sereinement. C'est de cette soirée notamment qu'est sortie la décision de reporter de deux semaines le projet de loi El Khomri, pour "laisser le temps au temps".

Pour un proche du pouvoir cité dans le Parisien, si Manuel Valls avait voulu claquer la porte, il aurait sauté sur cette occasion. Mais il n'en a rien fait. La raison est double voire triple : en restant et en bataillant sur la loi travail, dernier texte important du quinquennat, d'aucun prédisent qu'il peut encore gagner ses gallons de "réformateur". D'autres affirment qu'avec une cote de popularité en forte baisse (et même en chute libre), Manuel Valls n'avait aucun intérêt à partir. "S'il sort maintenant, on s'intéressera à lui deux semaines et il redeviendra le Monsieur 5 % de la primaire de 2011", raille un cadre du PS.

Finalement, après toutes ces hypothèses basées sur un départ fracassant, c'est peut être à un départ forcé que pourrait être confronté Manuel Valls. Car la contestation contre la loi Travail a pris une nouvelle ampleur en fin de semaine dernière. En déclarant qu'il irait "jusqu'au bout" de cette réforme, Manuel Valls a pris le risque de se "CPE-iser", à l'instar d'un Dominique de Villepin laminé par le Contrat première embauche, adopté en force via le 49-3 puis abrogé en 2006. "S'il y a un million de personnes dans la rue, Valls sera obligé de partir", suggère un dirigeant socialiste, toujours dans le Parisien. Or un million, c'est justement le chiffre record qu'a atteint ce vendredi, la pétition en ligne contre le projet. Le début de la fin ? Manuel Valls prend en tout cas la menace très au sérieux puisqu'il a entamé ce lundi une série de concertations avec les partenaires sociaux pour tenter de désamorcer la crise avant la contestation dans la rue mercredi.