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 DOSSIER 
Septembre 2005

France Prioux : "La France a compris avant les autres la nécessité d'avoir des enfants"

France Prioux, démographe à l'INED, explique pourquoi le taux de fécondité des femmes françaises augmente, mais aussi en quoi nous sommes loin d'un "mini baby-boom", comme l'affirment certains analystes.
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France Prioux, démographe à l'INED (Institut National des Etudes Démographiques), est spécialiste de la fécondité en France et en Europe et chef de l'unité de recherche "Fécondité, famille et sexualité".

Peut-on parler d'un "mini baby-boom" français, comme l'évoquent certains observateurs étrangers, et même la presse française ?

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France Prioux : Non, pas vraiment selon moi. On note seulement une légère augmentation du taux de fécondité par rapport à 2004. En 2005, ce taux est de 1,9 enfant par femme, et tant qu'il n'est pas au-dessus de 2, on ne pas parler de "baby-boom". Depuis longtemps, le taux de fécondité en France est au-dessus de 1,8 enfant par femme : il n'y a donc pas eu de forte reprise. Cependant, on peut clairement noter que notre fécondité se porte mieux que celle de nos voisins.

Pensez-vous que le renouvellement des générations soit assuré par ce niveau de naissances ?
Le taux de fécondité français ne permet pas le renouvellement des générations. Mais si on y ajoute l'apport migratoire, on peut dire que les générations sont renouvelées. Pour que les naissances le permettent à elles seules, il faudrait que le taux de fécondité annuel soit de 2,07 enfants par femme, ce qui est loin d'être le cas.

"Le taux de fécondité des filles d'immigrés est le même que celui des femmes d'origine française"

Quelle est la part des familles issues de l'immigration dans cette hausse de la natalité ?
Elle n'est pas négligeable, puisque la France est un pays d'immigration de longue date. Cependant, ces naissances ne représentent qu'un enfant sur 5 ou 6 en France. Il faut comprendre que si la fécondité des familles immigrées est élevée, celle des enfants issus de l'immigration est la même que celle des Français. Quand les immigrés arrivent en France, c'est pour fonder une famille. Mais après une génération d'adaptation, leur fécondité est à peu près la même que celle des familles d'origine française. Sans les mères immigrées, le taux de fécondité serait de 1,8 enfant par femme au lieu des 1,9 de 2005. Elles contribuent donc aux naissances, mais de façon minoritaire.

Comment expliquer la forte fécondité des femmes françaises dans un contexte économique et social plutôt défavorable ?
L'économie n'explique pas tout. Ce qui est certain, c'est que le taux de fécondité ne dépend pas toujours des données économiques conjoncturelles, ou du moins, ça ne suffit pas pour expliquer le phénomène. Aujourd'hui, les femmes qui désirent avoir des enfants les ont plus tard. Il y a donc eu un retard des naissances, et la fécondité des femmes de plus de 30 ans a bien augmenté.

"La politique familiale est favorable aux naissances en France"

La politique familiale française est-elle mieux adaptée que dans les autres pays ?
La politique familiale est en effet assez favorable en France. Elle permet aux femmes d'avoir des enfants, tout en continuant à travailler : il existe des aides dès le premier enfant, par exemple pour l'emploi d'une assistante maternelle, et le rythme scolaire, qui fait entrer les enfants en maternelle dès l'âge de 3 ans, permet aussi aux femmes de maintenir leur activité professionnelle. Cela contribue à ancrer l'idée que les femmes peuvent travailler tout en ayant de jeunes enfants.

En quoi la politique des autres pays d'Europe est-elle moins bien adaptée à la stimulation des naissances ?
L'Italie, l'Espagne ou la Grande-Bretagne n'ont pas de politique familiale. Ces pays intègrent le fait que les femmes puissent avoir des enfants, tout en ayant une vie professionnelle, mais sans leur en donner les moyens. La politique allemande quant à elle est plus favorable à la natalité, mais elle concerne avant tout les femmes qui ne travaillent pas. Comme les femmes allemandes ont des vies professionnelles développées, le taux de natalité du pays est faible, et l'idée de ne pas avoir d'enfant est ancrée. Les pays dont les politiques familiales sont les mieux adaptées au travail des mères de jeunes enfants sont ceux du nord de l'Europe. Et cela contribue certainement à soutenir la natalité.

"On entretient le sentiment des Français que les enfants sont bienvenus"

On parle de tradition catholique en Irlande pour expliquer la forte natalité (qui est la première d'Europe). Y aurait-il une culture "nataliste" spécifique à la France ?
En France, il existe des micro-milieux croyants dont le taux de fécondité est très élevé. Cependant, ces naissances représentent une part très faible de la natalité en France. La société française est laïque : la religion a peu de poids. On constate même un fort développement des naissances hors mariage (presque un enfant sur deux). Cependant, la France a compris avant les autres pays la nécessité d'avoir des enfants. Au début du siècle dernier, c'est le premier pays à avoir été confronté à la dénatalité, et les hommes politiques français se sont rendu compte des conséquences du vieillissement : ils ont fait appel à l'immigration, ils ont développé les aides aux familles… La France a une véritable conscience de la nécessité de soutenir les familles avec enfants, c'est ce qui stimule la natalité. Les autres pays d'Europe commencent seulement à s'ouvrir à cette idée, considérant l'intervention des dirigeants dans le domaine de la famille comme une intrusion dans leur vie privée.

Sait-on si cette tendance est appelée à durer ou si elle est passagère ?

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Les variations du taux de fécondité sont imprévisibles. Mais l'idée d'équilibrer la pyramide des âges, pour compenser le vieillissement de la population, est ancrée dans la politique française. La politique familiale, à travers ses nombreuses aides aux familles, entretient le sentiment des Français que les enfants sont bienvenus. La tendance a donc quelques chances de se maintenir, contrairement à d'autres pays d'Europe comme l'Allemagne, où dans certaines grandes villes les couples n'ont pas d'enfant.
 
 Jennifer Wunsch, L'Internaute
 
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