A quoi ressemble Tchernobyl, 30 ans après ?
TCHERNOBYL - Le 26 avril 1986 avait lieu la plus grande catastrophe nucléaire du XXe siècle, à la centrale de Tchernobyl. Retour dans la zone aujourd'hui...
L'accident nucléaire de Tchernobyl, dans la centrale Lénine, en Ukraine, s'est produit il y a trente ans, le 26 avril 1986. Comme Fukushima le sera des décennies plus tard, l'accident a été classé au niveau 7 sur l'échelle internationale des événements nucléaires (INES), le grade le plus élevé. Une situation inédite à l'époque. Son nuage contaminé a ensuite atteint l'Europe dans son ensemble. Et pourtant, il aura fallu attendre l'an 2000 pour que les activités de la centrale de Tchernobyl soient stoppées. Depuis, la construction d'une arche de confinement a permis de limiter d'ici la fin du siècle la radioactivité du fameux réacteur n°4, dont le sarcophage se fissure inexorablement. Plusieurs reporters et photographes se sont rendu sur place ces dernières années, ramenant des clichés aussi esthétiques que glaçants sur cet univers (pas si) désolé. Pour découvrir les photos de la zone de Tchernobyl trente ans après l'accident nucléaire, cliquez sur l'image ci-dessous :
Considéré comme le plus grave accident nucléaire à ce jour, "Tchernobyl" a frappé des centaines de milliers de personnes, pompiers, "liquidateurs", ouvriers ou habitants. Résultat immédiat : 4 000 personnes sont mortes des suites directes de l'explosion, 135 000 personnes habitant dans un rayon de 30 kilomètres autour de Tchernobyl ont été évacuées, et près de 600 000 pompiers, soldats et civils ont travaillé sur la zone au péril de leur vie.
Tchernobyl : les conséquences
Environ 15 000 personnes sont mortes dans les mois suivant la catastrophe. Ces conséquences humaines sont difficiles à évaluer, mais on estime en outre que près de 2,5 millions d'Ukrainiens souffrent aujourd'hui encore de problèmes de santé liés à l'accident. Une infime partie seulement touche une pension. Des retombées radioactives toucheront aussi la majeure partie de l'Europe. Si la masse d'air contaminée évolue à des concentrations de plus en plus faibles à mesure qu'elle parcourt le continent, les particules radioactives forment alors un dépôt, en particulier dans les zones où il a plu et en montagne.
Globalement, les trois territoires les plus touchés sont des pays de l'ex-URSS : Russie, Biélorussie et Ukraine. Une zone d'environ 150 000 km² a ainsi été contaminée dans le nord de l'Ukraine, l'ouest de la Russie et le sud-est de la Biélorussie. Des zones restent également contaminées en France, trois décennies plus tard, notamment dans le sud-est du pays. D'après les Nations Unies, plus de 8 millions de personnes ont été exposées aux radiations à cause de "l'exposition résiduelle continue".
INTERVIEWS - Nous avons posé la question des conséquences de l'accident de Tchernobyl à trois experts de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) :
"L'ambition ultime reste la transformation de Tchernobyl en site écologique"
Michel Chouha, expert des réacteurs des Pays de l'Est à l'IRSN
"Le sarcophage qui recouvre actuellement le réacteur détruit a été construit à la hâte après l'accident dans des conditions exceptionnellement difficiles et dans des délais très contraints. Il n'a donc pas été conçu comme une solution définitive pour la longue durée. L'objectif en était de remédier dans l'immédiat à une situation d'urgence extrêmement critique. Au bout de quelques années, sous l'effet du vieillissement et des agressions climatiques, les faiblesses commençaient à se faire ressentir, notamment des fissures importantes laissant s'échapper de plus en plus de radioactivité, et une instabilité d'ensemble de la structure présentant un risque d'effondrement.
La nouvelle arche de confinement, actuellement en cours de construction, est conçue pour répondre à trois objectifs :
1- Protéger le vieux sarcophage des agressions climatiques pour se prémunir contre les éventuels risques de dégradation additionnelle pouvant conduire à son effondrement ;
2- Assurer une étanchéité parfaite entre les matières radioactives encore enfermées dans le sarcophage et l'environnement extérieur ;
3- Offrir les conditions optimales devant permettre à terme le démantèlement du vieux sarcophage et l'enlèvement de toutes les matières radioactives qu'il renferme, dans des conditions sécurisées.
Ce dernier objectif est particulièrement important car l'ambition ultime reste, à terme, la transformation du site de Tchernobyl en site "écologique". Or, sans démantèlement du vieux sarcophage, et enlèvement de toutes les matières radioactives qu'il renferme encore, ce but ne pourra jamais être atteint.
Ainsi, après l'achèvement de la construction de l'arche et de sa mise en place, la tâche la plus urgente deviendra celle de la décision sur les étapes suivantes : conception et développement des méthodes et des moyens nécessaires au démantèlement du vieux sarcophage. Ce serait vraiment un bel exploit humain de pouvoir rendre un jour ce site à son environnement naturel."
"6 848 cas de cancers de la thyroïde chez des enfants"
Jean-René Jourdain, pharmacien radiobiologiste et adjoint à la protection de l'Homme à l'IRSN
"La principale conséquence sur la santé des populations exposées aux retombées de l'accident de Tchernobyl est l'apparition de très nombreux cancers de la thyroïde chez les enfants âgés de moins de 18 ans au moment de l'accident dans les Républiques du Belarus, Ukraine et Russie. Ainsi, entre 1991 et 2005, 6 848 cas de cancers de la thyroïde ont été diagnostiqués chez ces enfants, en particulier chez ceux qui étaient âgés de moins de 4 ans en raison d'une ingestion de lait contaminé par l'iode 131 en particulier.
S'agissant des travailleurs qui sont intervenus sur le site dans les semaines suivant l'accident, 134 d'entre eux ont présenté un syndrome aigu d'irradiation, dont 28 sont décédés en 1986. Parmi les travailleurs survivants, 19 sont décédés entre 1987 et 2006 des suites de diverses pathologies, sans lien direct avec l'exposition à la radioactivité. Par ailleurs, plusieurs études ont montré une augmentation des leucémies, des cataractes et des pathologies cardiovasculaires et cérébrovasculaires chez ces travailleurs ("liquidateurs").
Pour ce qui concerne le reste de la population exposée, il n'a à ce jour pas été observé d'augmentation de malformations congénitales, de leucémies ou de cancers solides. Cependant, plusieurs études évoquent une possible augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes exposées au Belarus, Ukraine et Russie, mais le lien avec l'exposition aux retombées radioactives de Tchernobyl n'est pas encore clairement démontré et fait actuellement l'objet d'investigations cliniques.
Pour le reste du monde, aucune étude n'a mis en évidence d'augmentation de pathologies attribuables à l'accident de Tchernobyl."
"150 000 km2 contaminés"
Jean-Christophe Gariel, directeur de l'environnement à l'IRSN
"La contamination des territoires en ex-URSS suite à l'accident de Tchernobyl a concerné environ 150 000 km2 caractérisés par une concentration surfacique en césium-137 supérieure à 37 000 Bq/m2, réparties en Russie, Biélorussie et Ukraine, avec une extension de quelques 45 000 km2 dans divers pays d'Europe. Pour gérer la radioprotection des populations humaines, les autorités soviétiques ont établi immédiatement une zone d'exclusion de 30 km de rayon autour du réacteur endommagé. Cette zone est caractérisée encore aujourd'hui par l'absence de résidents et l'interdiction de toutes pratiques anthropiques (hormis celles liées aux travaux sur les installations).
En plus du césium-137, d'autres radionucléides à vie longue y sont présents, tels le strontium-90 et les plutonium-238, 239 et 240. Les activités de ces radionucléides dans les sols de la zone d'exclusion sont très hétérogènes et peuvent atteindre pour le césium-137 des valeurs de l'ordre de 100 000 Bq/kg de sol. Si l'apparition de la "forêt rousse" rapidement après l'accident a signé les effets létaux de l'exposition des pins à de fortes doses (plusieurs dizaines de Gray), les effets biologiques rapportés dans la littérature, depuis les années 2000, sont contrastés. Ils varient de l'absence d'effets à l'observation d'atteintes importantes de la capacité reproductive par exemple. A l'heure actuelle, la question relative à l'influence de l'évacuation des populations humaines des territoires contaminés sur la diversité et l'abondance des espèces animales dans la zone d'exclusion fait toujours l'objet de débats, en particulier quant à l'interprétation correcte de l'apparent retour des grands mammifères."
Carte de Tchernobyl
Si on pense à Tchernobyl en évoquant la catastrophe nucléaire de 1986 et que cette ville lui a d'ailleurs donné son nom, la centrale se trouve en réalité dans la ville de Pripiat, à 15 kilomètres au nord-ouest de Tchernobyl. Pripiat (en orange sur la carte), fait partie de la zone de sécurité délimitée autour de la centrale : un cercle d'un rayon de 30 km où personne ne devrait habiter et à l'intérieur duquel seuls les ouvriers de la centrale sont en théorie habilités à se déplacer. Pour autant, d'autres personnes ont fait le choix de retourner y vivre et des touristes de l'extrême se prennent depuis peu en selfie devant la centrale. Quant à la population de la ville de Tchernobyl (repère violet sur la carte), 800 habitants en 2016 et traversée par une autoroute, elle ne cesse de croître.
- Pour aller plus loin : L'après-Tchernobyl, le scénariste Aurélien Ducoudray et le dessinateur Christophe Alliel en ont fait une BD, intitulée "Les Chiens de Pripyat". Son éditeur, Grand Angle, la décrit comme une "fresque historique sur fond de critique sociale". Publié en janvier 2017, l'ouvrage raconte l'étonnante aventure d'une brigade de chasseurs chargée d'abattre des animaux radioactifs dans des villages fantômes : des personnages hors normes les y attendent, en pleine zone irradiée.