Pourquoi les prévisions de crue de la Seine se sont trompées

Pourquoi les prévisions de crue de la Seine se sont trompées INONDATION PARIS - Les prévisions de crue de la Seine ont été faussées pendant près d'une demi-journée à cause de... déchets. L'inondation à Paris s'est avérée plus grave qu'annoncée. Explications.

[Mis à jour le 4 juin 2016 à 9h23] La crue de la Seine, qui fait craindre depuis jeudi une inondation, a affiché pendant 48 heures des données et des prévisions en hausse spectaculaire. Jeudi matin, on annonçait un niveau maximum à 5,50 m puis à 5,70 m pour le jour suivant. Mais ce vendredi, le chiffre est passé rapidement de 5,90 m à 6,20 m puis à 6,50 m, selon les dernières prévisions du ministère de l'Environnement. Six mètres cinquante, c'est aussi le chiffre livré par la mairie de Paris vendredi soir dans un communiqué indiquant que ce niveau serait atteint dans la nuit de vendredi à samedi... Finalement le fleuve se serait stabilisé vers 6 heures samedi matin à 6,10 m environ.

Comment le niveau prévisionnel de la Seine a-t-il pu gagner près un mètre en aussi peu de temps ? Cette évolution brutale n'est pas seulement lié à la montée soudaine des affluents du fleuve comme le Loing, qui a provoqué de nombreux dégâts en Seine-et-Marne et dans le Loiret. Pas plus qu'à la pluie qui a continué de tomber par intermittence lors des dernières 24 heures. La montée des eaux a en réalité été sous-estimée. C'est ce qu'on a appris à la lecture du site Vigicrues, qui indiquait depuis le milieu de journée ce vendredi, que les prévisions annoncées depuis la veille au sujet de la crue de la Seine étaient erronées. Le site Internet du réseau, chargé de surveiller les fleuves et les rivières de France, évoque "un problème technique sur la station hydrométrique de Paris Austerlitz". Cet incident aurait "conduit la station à sous estimer la hauteur observée", et ce depuis le jeudi 2 juin 2016 à 23h. De son côté, la ministre de l'Ecologie a précisé que "les estimations ont été revues à la hausse à la suite d'un recalage des stations de mesures automatiques déréglées par les déchets."

Pendant une douzaine d'heures entre jeudi soir et vendredi midi, les estimations ont donc été faussées. La station du pont d'Austerlitz, qui fonctionne par ultrason, constitue le principal point de mesure de la montée des eaux dans la capitale. Il faut remonter à Alforville pour trouver une station de mesure comparable en amont et suivre la Seine jusqu'à Suresnes pour disposer de mesures fiables, grâce au barrage situé en aval. Le site Internet de Vigicrues précise que les "niveaux corrigés/observés prévus ont été mis à jour dans les bulletins" (lire ici).

Le message affiché sur le site Vigicrues (zoomer pour afficher le message). © Vigicrues.gouv.fr

Vigicrues, principal aiguillon des crues de la Seine

Dépendant du ministère de l'Environnement, Vigicrues, est un dispositif de surveillance de plus de 20 000 km de cours d'eau dans l'hexagone, soit moins de 10 % du totale des fleuves, rivières et cours d'eau de France. Lancé en 2006, Vigicrues se focalise sur les grands fleuves ayant connu des débordements par le passé et menaçant directement les zones d'habitation. Comme Météo France avec ses alertes "pluies-inondations", abondamment citées depuis quelques jours, Vigicrues émet des bulletins d'informations réguliers sur la situation hydrométrique des cours d'eau surveillés et les classe sur une échelle de risque.

Ainsi, le risque de crue est mesuré sur une palette allant du vert au rouge. En vert, il n'y a pas de vigilance particulière requise. En jaune, on passe à un "risque de crue génératrice de débordements et de dommages localisés ou de montée rapide et dangereuse des eaux, nécessitant une vigilance particulière notamment dans le cas d'activités exposées et/ou saisonnières". En orange, couleur associée à plusieurs cours depuis une semaine, on parle de "risque de crue" menaçant cette fois "la vie collective et la sécurité des biens et des personnes. Au rouge, ce qui a été le cas du Loing et de l'Ouanne, il est question d'un "risque de crue majeure", avec une "menace directe et généralisée de la sécurité des personnes et des biens". Dans les faits, les alertes Vigicrue et de météo France sont souvent cohérentes, voire concomitantes.

Dispositif d'alerte et de communication, Vigicrues centralise les données du service central d'hydrométéorologie ainsi que d'une vingtaine de services de prévision des crues, dispatchés dans toute la France. Le service dispose de 1 500 points de mesure à travers le pays, dont celui d'Austerlitz pour Paris, qui télétransmettent les mesures toutes les heures, ainsi que leur évolution. Vigicrues détaille ensuite, en fonction de ces données, des prévisions non pas par fleuve ou rivière, mais par "tronçons", estimant à la fois le niveaux atteint ou prévu dans les prochaines heures ainsi que le débit de chacun d'eux. Combinées aux prévisions météorologiques, ces données permettent d'anticiper avec un jour d'avance les crues potentielles sur le territoire. 

TWEETS - Pendant 48 heures, les estimations sur le niveau maximal qu'atteindra la Seine se sont multipliées.

Inondations : Paris en bout de course

Les pluies exceptionnelles tombées le week-end dernier ainsi qu'en début de semaine dans le Centre et l'est du pays ont provoqué depuis mercredi plusieurs crues. Le Loiret a été le premier département touché avec des inondations à Montargis notamment, dès mercredi. La Seine-et-Marne a suivi avec une montée brutale des eaux dans les villes bordant le Loing, dans la nuit de mercredi à jeudi. A Nemours, c'est l'ensemble de la ville qui a été submergé, avec des dégâts qui s'annoncent déjà considérables. Le Premier ministre Manuel Valls s'est rendu sur place jeudi et François Hollande a annoncé en fin de journée que l'état de catastrophe naturelle serait reconnu mercredi prochain en Conseil des ministres pour les zones les plus touchées. Mais ce vendredi, c'est Paris et la Seine qui focalisaient l'attention.

A 20h, à Paris, la cote observée pour la Seine était déjà de 6,07 m, soit largement au-delà des premières estimations livrées 24 heures plus tôt. "La hausse est due à la combinaison des apports provenant du Loing, de l'Yonne et également de la Marne qui a particulièrement réagi aux pluies de jeudi", écrivait Vigicrues, même si les apports des affluents de la Seine moyenne, comme l'Orge, ou l'Yerres sont en légère diminution. En d'autres termes, "l'onde de crue", venant des affluents du fleuve, et la météo ont considérablement gonflé le débit de la Seine.

EN IMAGES - Les photos des inondations

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Cliquer pour voir les photos. © SIPA

La crue de la Seine fait peur

Vigicrues précisait aussi vendredi que "le maximum qui sera atteint à Paris dépend de la concomitance de ces différents phénomènes en cours d'évolution, ce qui le rend difficile à estimer précisément". Une chose est sure : la cote d'alerte a été atteinte dans la capitale et la Seine a dépassé la barre des six mètres à Paris. Mais la crue centennale, autrement-dit la crue de 1910, n'a pas été atteinte. Si le fleuve montait à 6,50 m, comme cela a été pronostiqué, il resterait encore plus de deux mètres en dessous de celui de l'époque. En 1910, la Seine avait en effet atteint les 8,62 m. Des dégâts pourraient néanmoins être envisagés.

Plusieurs mesures ont été prises dans la capitale pour faire face à cette montée des eaux. Les voies sur berge sont fermées depuis déjà plusieurs jours et ont été inondées, la préfecture a décidé de fermer la partie de l'A86 entre Rueil-Malmaison et Vélizy. Le RER C, qui longe la Seine dans la capitale, a été interrompu jeudi et devrait être perturbé jusqu'à la semaine prochaine. Plusieurs stations de métro, comme Saint-Michel, ont été fermées ou ont fait l'objet d'une surveillance accrue. Des musées et établissements publics ont décidé de fermer leurs portes, comme le musée d'Orsay ou celui du Louvre, pour permettre de préserver les oeuvres stockées en réserve, dans les sous-sols.

La mairie de Paris, elle, a tenu à avertir les Parisiens des risques d'une montée des eaux. Enfin, des évacuation de populations ont été envisagées. Selon un communiqué du ministère de l'Environnement vendredi, les occupants du Bois de Boulogne, de l'île de la Jappe à Levallois-Perret, de l'île Saint-Germain ainsi que de plusieurs habitations de Rueil étaient concernés.