Interview
Octobre 2007
Pascal Jan : "Les sages ne censureront pas les tests ADN sur le fond"
Le PS, PCF, ainsi que François Bayrou ont déposé un recours devant le Conseil constitutionnel sur l'amendement Mariani dans la loi sur la maîtrise de l'immigration. Quels points le Conseil constitutionnel pourrait-il censurer et pourquoi ? Le Conseil constitutionnel pourrait censurer la loi sur trois points, pour ce qui est du fond : Le premier concerne le principe d'égalité. En effet, les tests ADN pourraient concerner des populations qui ne sont pas mises sur un pied d'égalité. Un enfant orphelin ou encore un enfant adopté ne pourrait pas avoir recours à ce test, ce qui crée une inégalité entre ces enfants. Cependant, nous sommes ici dans un domaine du droit qui concerne des étrangers et non des Français. Le Conseil constitutionnel peut donc considérer que le principe d'égalité ne s'applique pas dans toute son ampleur. Le second principe qui pourrait être invoqué est celui de la dignité de la personne humaine, principe appliqué depuis 1994. Selon moi, cet argument ne tient pas la route. En effet, d'autres pays et d'autres législations ont recours à ces textes et ces Etats ne peuvent pas être considérés comme racistes. Le troisième principe est celui de l'erreur manifeste d'appréciation. Une décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation lorsque l'administration s'est trompée grossièrement dans l'appréciation des faits qui ont motivé sa décision. Là, il est possible d'estimer qu'étant donnés les résultats attendus (les tests ADN vont finalement concerner très peu de monde, quelques milliers de personne tout au plus), le dispositif et la complication du dispositif est disproportionnée. Enfin, et c'est ce qui me paraît le plus plausible, au niveau de la forme, le Conseil d'Etat pourrait estimer que le dispositif des tests ADN ne va pas dans le sens de l'objectif même du regroupement familial, qui a une visée d'intégration. Il faut dire que sur le fond, les sénateurs ont bien amélioré l'amendement : désormais, les tests sont remboursés, faits par des volontaires...
Cela est honnêtement très difficile à évaluer. Il faut dire qu'il n'y aura pas de consensus immédiat : au Conseil constitutionnel va siéger Jacques Chirac, qui est opposé à cette mesure. Mais attention, le Conseil constitutionnel n'est pas une juridiction politique. Sur le plan strictement juridique, cet amendement est difficilement attaquable, et s'il n'y a rien à redire d'un point de vue juridique, le Conseil constitutionnel est tenu de donner son aval. Mais le Conseil constitutionnel est également une juridiction qui tient compte du contexte. Et de nombreuses personnes, tous partis confondus, se sont opposées à cet amendement. Il pourrait donc choisir de censurer l'amendement pour des questions de forme : cela satisferait l'opposition sans pour autant jeter le discrédit sur la majorité et le gouvernement.
Comment le Conseil constitutionnel prend-il ses décisions ? Le Conseil constitutionnel prend ses décisions de façon complètement secrète, donc je ne peux pas vous dire comment les discussions se déroulent. Mais il y a en général une recherche du compromis. Il y a la volonté de ne pas laisser un conseiller sur le carreau, complètement insatisfait, car cela pourrait ensuite se ressentir sur l'examen d'un autre texte. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une petite équipe de 10 personnes se voyant fréquemment et travaillant au même étage. Pour des raisons de relations interpersonnelles, ils vont tenter de prendre une décision commune dans laquelle chacun se reconnaîtra. Par ailleurs, il s'agit ici d'un sujet sensible qui va au-delà des clivages politiques traditionnels : bien sûr, la gauche s'est prononcée contre. Mais des personnalités de droite sont également opposées à ces tests. On peut retrouver cette dimension au sein du Conseil constitutionnel.
Qu'est-ce qui qu'il va se passer si la loi est censurée ? Si elle ne l'est pas ? Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Si la loi est censurée, son avenir dépend de la censure, qui peut être complète ou partielle. Dans le premier cas, elle ne sera tout simplement pas appliquée. En revanche si elle est validée, un décret d'application sera pris et elle s'appliquera dans toute son ampleur. Mais le Conseil constitutionnel peut également choisir d'assortir la déclaration de constitutionnalité de réserves d'interprétation. Il fait ainsi en sorte que le dispositif prévu soit valide mais en réalité, il est inapplicable. » Dossier : Les tests ADN, nouvelle version
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