Réforme du crédit à la consommation : pendant les travaux parlementaires, le massacre continue !

Les offres spéciales de report d'échéances d'une période de 3 mois pour les nouveaux utilisateurs de crédit revolving sont-elles vraiment un avantage pour les consommateurs ? Des dangers se cachent derrière ces offres de bienvenue car le coût total du crédit varie selon le montant et la durée du découvert utilisé.

Un établissement de crédit français, défenseur officiel du crédit responsable (ne le seraient-ils donc point tous ?), propose actuellement à tout candidat souhaitant ouvrir chez lui "un crédit renouvelable sans carte" l'offre spéciale de bienvenue suivante.

- Les taux d'intérêt proposés sont très proches des taux d'usure actuels : 21,31 % pour un prêt inférieur à 1 524 € et 19,44 % au-delà (alors que les taux d'usure correspondants sont de 21,63 % et 19,45 %). Pour un prêt d'un montant supérieur à 1 524 €, la tarification peut donc être considérée comme maximale (0,02% en plus enverrait les dirigeants de cet établissement en prison).
- L'assurance facultative est à 0,60 % par mois (soit 7,20 % annuel) et le montant de la prime d'assurance est "compris dans le montant de l'échéance" de remboursement du crédit. Sur ce point également, il s'agit de la tarification maximale pouvant aujourd'hui se trouver sur le marché.
- L'échéance minimum proposée est de 30 € par tranche de 1 000 € empruntée. Ce coefficient de 3 % correspond au minimum de ce qui se pratique aujourd'hui en revolving.
- L'offre spéciale de bienvenue "0 € à rembourser pendant 3 mois pour la première utilisation de votre compte" est expliquée de la manière suivante : "Profitez d'un report de 3 échéances valable pour la première utilisation de votre crédit renouvelable [...] Le report d'échéances produit des intérêts au taux en vigueur et le coût total du crédit varie selon le montant et la durée du découvert utilisé".

Il y un caractère sournois dans le traitement de l'assurance facultative "comprise dans l'échéance de remboursement". Deux exemples de coût du crédit pour un revolving de 3 000 €, dont les caractéristiques de remboursement étaient les suivantes : échéance mensuelle de 90 €, taux d'intérêt débiteur de 17,70 % (correspondant à un TAEG de 19,36 %), assurance mensuelle de 0,60 %.
- Le client n'adhérant pas à l'assurance facultative avait une durée de remboursement de 47 mois et un coût total du crédit (égal au coût des intérêts) de 1 160,32 € (soit un peu plus du tiers du montant emprunté).
- Le client adhérant à l'assurance facultative 'comprise dans l'échéance de remboursement' avait une durée de remboursement de 58 mois et un coût total du crédit de 2 158,25 € (soit un coût des intérêts et primes d'assurance équivalent à un peu plus des deux tiers du montant de 3 000 € emprunté).

Si le client ayant adhéré à l'assurance facultative "profite" d'un report de 3 mois payant, c'est-à-dire "produisant des intérêts (et vraisemblablement des primes d'assurance) aux taux en vigueur", quel en sera l'impact sur la durée et le coût total de son crédit ? En mathématiques financières, du fait du calcul d'intérêts dits "composés", le coût total du crédit augmente de manière géométrique (et non de manière linéaire comme le grand public peut intuitivement l'imaginer).

Quel résultat entraîne donc ce mode de calcul dans le cas d'un report 3 mois non offert par le prêteur (en crédit revolving, dans la grande majorité des cas, ce report est "offert" par l'établissement le proposant) ? Calculés aux mêmes conditions que dans nos 2 exemples précédents, la durée de remboursement est de 64 mois (durée du crédit égale à 67 mois dont 64 avec remboursement) et le coût total des remboursements est de 5 735,29 € (soit presque le double du montant des 3 000 € emprunté !).

Le report de la date de démarrage des remboursements de 3 mois entraîne donc un allongement de six mois de la durée de remboursement et un 'surcoût' du crédit de 577,04 € (le coût du crédit est ainsi augmenté de 27 % grâce à cette offre de bienvenue). L'explication de ce phénomène est la suivante : avec une échéance de 90 €, le client mettra plus de six mois pour amortir le montant des intérêts et primes d'assurance débités pendant la période de report puis au cours de cette même période de six mois, ce qui revient à dire qu'il ne reconstituera un montant utilisable qu'à la fin du dixième mois (correspondant au septième mois de remboursement).

A ce stade de l'analyse de l'opération spéciale de bienvenue offerte par notre prêteur, nous devons nous poser les questions suivantes :
- avec les informations données actuellement aux consommateurs, c'est-à-dire 'le coût total du crédit varie selon le montant et la durée du découvert utilisé', ces derniers peuvent-ils se rendre compte du coût réel de cette offre de bienvenue ?
- avec l'obligation de fournir un exemple significatif introduite dans le projet de loi Lagarde, les consommateurs seront-ils mieux informés du coût réel des reports payants ?

Cette offre est-elle, compte tenu de l'environnement juridique actuel, légale ? D'un point de vue juridique, aussi stupéfiant que cela puisse paraitre, cette offre est tout à fait légale. On ne peut donc que juger l'établissement la proposant comme étant plus 'malin' que ses concurrents qui n'osent pas mettre sur le marché une telle offre. D'un point de vue moral, cette offre spéciale est à proprement parler odieuse, et pourrait presque être comparée à une escroquerie. En effet, qui peut sérieusement justifier que le total des remboursements d'un crédit à la consommation soit quasiment égal au double du montant emprunté ? En fait, cette offre spéciale a la couleur d'une escroquerie, le goût d'une escroquerie, l'aspect d'une escroquerie, mais ... ce n'est juridiquement pas une escroquerie : c'est un concept inédit, inventé par les nouveaux petits princes de la finance : c'est une escroquerie Canada Dry, que le droit ignore encore !

Si de plus, on précise que cette offre spéciale est proposée par l'autoproclamé inventeur du crédit responsable, on doit se pincer pour être sûr de ne pas rêver, et on ne peut que se rendre à l'évidence suivante : le projet de loi Lagarde doit impérativement être sérieusement amendé, afin de mieux tenir compte de la réalité si peu reluisante du terrain. D'un point de vue économique, cette offre spéciale est suicidaire car elle contribuera à la formation de la bulle revolving, qui, lorsqu'elle éclatera, emportera inéluctablement avec elle (par effet de contagion) de nombreux autres portefeuilles de crédits à la consommation. Le crédit revolving proposé par cet établissement est-il un crédit responsable ou un crédit potentiellement responsable ... du surendettement ?

Si vous avez aimé la crise des Subprimes, vous allez sans aucun doute adorer sa petite soeur,  la crise des crédits revolving ;  elle pourrait faire aussi bien voire mieux si les mêmes pratiques "spéciales" s'étendaient au monde entier, et si les établissements de crédit avaient la bonne idée de titriser leurs nouvelles créances toxiques.