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INTERVIEW
 
22/09/2006

Rachid Bouchareb : "Ils avaient le même idéal"

Hommage aux soldats nord-africains qui ont combattu en 39-45, Indigènes est un film digne et d'intérêt public. Rachid Bouchareb, le réalisateur, nous en dit plus sur cet événement.

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Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, Indigènes a créé la surprise en raflant un prix collectif d'interprétation masculine. Pour Rachid Bouchareb, le réalisateur, c'était le parachèvement d'une aventure commencée quelques années plus tôt, quand l'envie de raconter cette histoire s'est emparée de lui. Avec Indigènes, il évoque une page oubliée de l'Histoire de France tout en faisant acte de mémoire. Rencontre avec un homme simple et franc...


Comment le sujet d'Indigènes s'est-il imposé à vous ?

C'était plus ou moins évident, de part mon histoire et mon environnement familial. Français d'origine maghrébine, j'avais envie depuis longtemps de raconter cette page jamais évoquée de l'histoire de France. L'histoire de ces soldats était forte, très visuelle. De quoi faire du vrai cinéma.

 

© Mars Distribution
"Le casting a été monté sans le moindre scénario !"

Jamel, Samy Nacéri, Sami Bouajila, Roschdy Zem... Comment réunit-on un tel casting ?

Très simplement. A partir du moment où tout le monde témoigne du même enthousiasme pour un film, les choses avancent sans difficulté. Quitte à vous surprendre, ce casting a été monté sans le moindre scénario ! Roschdy Zem jouait dans mon précédent film (Little Senegal) et m'avait déjà donné son accord pour celui-ci. Les autres acteurs ont suivi naturellement.

 

L'étiquette du "film de la réconciliation" n'est-elle pas trop lourde à porter ?

Réconciliation ? Ce n'est peut-être pas le mot juste... Il n'y a jamais eu de complot de la France contre ces soldats nord-africains. Ce film n'est pas une agression nourrie de ressentiments ou d'injustices. Parce que les hommes qui n'ont jamais pu raconter cette histoire ne le vivent pas dans cet esprit-là. Ils gardent en eux le souvenir fantastique d'avoir découvert la France, d'avoir été accueillis sous les applaudissements dans des villes comme Marseille. Certains se sont même mariés avec des Françaises. Aucune image d'archives ne montre cela... Plus que la réconciliation, Indigènes raconte surtout l'engagement total de ces hommes. Aujourd'hui ce sont de vieux monsieurs discrets.

 

L'énergie de Jamel a-t-elle été facile à canaliser ?

© Mars Distribution
"Ils gardent le souvenir fantastique d'avoir découvert la France"

Jamel a une grande conscience professionnelle. Il s'est mis au boulot avec le trac, comme les autres. Face à l'enjeu de ce rôle dramatique, il tenait vraiment à bien faire. Mes relations avec les acteurs ont d'ailleurs été d'une totale simplicité. Chaque soir, on répétait avec eux les scènes du lendemain. Sans compter tout le travail en amont du tournage, durant lequel les comédiens se sont nourris de leur rôle grâce à des lectures, des recherches...

 

En voyant le film, on imagine le cauchemar logistique que vous avez du affronter...

Un an ! Un an juste pour préparer le tournage d'une machine comme celle-là. Pendant les prises de vue, cinq équipes différentes travaillaient en même temps : dans les Vosges, en Alsace, au Maroc... Ce fut vraiment un tournage éprouvant.

 

Parfois, on vous sent inspiré par Il faut sauver le soldat Ryan de Spielberg. C'était une référence consciente ?

Non, pas spécialement. J'ai revu tous les films de guerre pour préparer Indigènes. Moins pour m'en inspirer que pour m'en détacher justement. Je voulais que toutes ces images se mélangent dans mon esprit pour pouvoir faire mon propre film. Imaginer ma propre guerre. Non, si je devais avouer une seule référence consciente, c'est Les Sept Samouraïs d'Akira Kurosawa. Une histoire d'hommes, de combattants.

 

Curieusement, le personnage le plus complexe et touchant du film n'est pas joué par une tête d'affiche, mais par Bernard Blancan. Il interprète Martinez, un sous-officier pied-noir, à cheval entre deux cultures. Comment l'avez-vous imaginé ?

Grâce à de nombreuses rencontres avec ces soldats. Le guerrier pied-noir était le trait d'union entre la hiérarchie et les hommes sur le terrain. Au combat, il se mettait souvent devant les indigènes. Sa position n'était pas évidente : il venait de l'étranger et subissait le regard des nord-africains, mais aussi des Français de souche. Lui aussi débarquait pour la première fois sur les côtes françaises... Et malgré tout, malgré son ambivalence, il devait appliquer les consignes tout en gardant sa position. Je voulais saisir leur vérité.

 

Que ressentez-vous au moment où vos acteurs reçoivent le prix d'interprétation à Cannes ?

© Mars Distribution
"Leur histoire ne se limite pas à la reconstruction
de la France"

Je l'ai vécu très simplement. Présenter le film à Cannes était déjà une victoire, tout un symbole même : c'est là, sur ces plages, que les premiers soldats nord-africains ont débarqué et sont tombés sous le feu ennemi. Et puis le président du jury Wong Kar-Wai nous attribue le prix d'interprétation... J'avais programmé beaucoup de choses, même la possibilité de présenter le film sur la Croisette, mais certainement pas cette récompense. Mais vous savez, le vrai prix, on l'a gagné sur les marches, quand nous étions sur le tapis rouge avec tous les vieux soldats. Je n'oublierai jamais cet instant...

 

Beaucoup de jeunes gens issus de l'immigration verront votre film. Que souhaitez-vous qu'ils en retiennent ?

Ils vont voir que leurs parents et grands-parents ont accompli des actes héroïques et ont participé à la libération de la France avec leurs frères d'armes. Ils se sont battus pour le même idéal. Leur histoire ne se limite pas à la reconstruction de la France d'après-guerre comme on l'a trop longtemps cru. L'image à retenir de ces gens ne se limitent pas à celle de types qui arrivent avec leurs valises pour s'installer quelque part...


FILMOGRAPHIE SELECTIVE
Indigènes 2006 avec Jamel, Sami Bouajila, Samy Nacéri, Roschdy Zem...
Little Senegal 2001 avec Roschdy Zem, Sotigui Kouyate...
Poussières de vie 1995 avec Daniel Guyant, Gilles Chitlaphone, Eric Nguyen...
Cheb 1991 avec Mourad Bounaas, Nozha Kouhadra...
Bâton rouge 1985 avec Jacques Penot, Pierre-Louis Rajot...
 
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