Tintin et Milou : les raisons du succès

Tintin et Milou : les raisons du succès Le film de Spielberg fait l'événement cette semaine. Pourquoi un tel engouement pour Tintin, jamais démenti depuis des décennies ? Les facteurs-clés dans ce succès au delà des frontières et au delà des genres.

Tintin et le secret de la Licorne, le dernier film de Steven Spielberg, sort mercredi dans les salles, précédé d'un buzz qui dure maintenant depuis un an et demi. Une telle attente est à la hauteur du succès du petit reporter à la houppe, créé en 1929 par le belge Georges Rémi (dit Hergé), devenu une référence quasi-internationale, produisant un impact à la fois transculturel et transgénérationnel, et un phénomène aux plus de 150 millions d'exemplaires vendus.

Pourquoi un tel engouement pour, d'abord, une oeuvre de bande dessinée (un genre rarement très pris au sérieux), et autour d'un personnage à première vue bien peu spectaculaire ?

Le génie graphique

D'abord un élément qui n'est pas très souvent mis en avant : la technique de dessin d'Hergé est l'une des plus époustouflantes qui soit. Brouillée par l'aspect "ligne claire" (cette simplicité du trait, l'encrage réduit aux contours, les aplats de couleur), la perception qu'on a du talent d'Hergé ne remarque pas toujours consciemment à quel point ce dessinateur maîtrise la composition, le mouvement (observez à quel point les mouvements, les déplacements sont fluides, jamais figés, ce qui, en matière de bande dessinée où, par définition, le mouvement ne peut qu'être suggéré, est l'une des choses les plus difficiles à accomplir).

Hergé a par ailleurs un trait très sûr (seules les premières planches de "Tintin au pays des Soviets" font exception) : jamais une forme imprécise, jamais une proportion maladroite. Qu'il s'agisse de pur talent ou d'une somme conséquente de travail, le résultat est là et, même si le lecteur ne l'analyse pas, il participe de l'attrait immédiat pour les "Tintin". Enfin, d'un point de vue graphique toujours, la figure archétypale de Tintin (qui est "cartoonesque" à l'extrême), sa radicale épure (un rond, trois points, un demi-cercle, la houppe : c'est Tintin) en fait un miroir - c'est d'ailleurs ce qui pose un problème fondamental dans l'exercice de l'adaptation. Cet effet de miroir, bien sûr, favorise l'identification, avant même que l'aspect narratif ne rentre en compte.

Le génie narratif

Mais l'oeuvre d'Hergé est aussi, sur ce fameux plan narratif, un modèle. Il n'est à notre avis pas exagéré de la placer parmi les oeuvres les plus marquantes du XXe siècle, tous arts littéraires confondus. Là encore, le lecteur ne se rend pas toujours compte au premier abord : rien d'ostentatoire, rien de fondamentalement spectaculaire (pas d'effet de style, une grande modestie somme toute), mais l'évidence s'impose : l'introduction de "Tintin au Tibet", absolument remarquable, est par exemple une leçon à tout scénariste, auteur, écrivain qui se soit un jour vu confronté au problème de l'exposition (cette étape où le récit doit présenter les personnages, les enjeux, le contexte). Citons également plusieurs passages de "L'Affaire Tournesol" (l'introduction, encore, mais aussi toutes les scènes en Suisse, pour ne citer qu'elles), succession de morceaux de bravoure, à la fois brillants par eux-mêmes et dans leurs enchaînements, les fameux "Bijoux de la Castafiore", exercice de style dont on ne rappellera jamais assez l'audace (une aventure de Tintin quasiment sans "aventure" au sens strict, et pourtant passionnante)...

La personnalité d'Hergé

31khata0s7l
Couverture de la biographie d'Hergé par Benoît Peeters, "Hergé, fils de Tintin", publié en 2002 chez Flammarion © Flammarion

A la lecture de la superbe biographie que lui consacra Benoît Peeters en 2002, Hergé, fils de Tintin, on ne sait que penser de la naïveté d'Hergé. On ignore encore de grands pans du personnage, secret, voire opaque, mais ce qu'on apprend de lui, au delà des divergences d'opinions, d'habitudes, de goûts, de croyances, nous place devant le portrait d'un homme rien moins qu'admirable. Ce qui frappe dans cette biographie, c'est l'ouverture croissante d'Hergé. Influençable (perméable, pourrait-on même dire) dans les années 30 et 40 (et l'on retrouvera des traces de cette relative faiblesse de caractère jusque dans les années 50), il se découvre une passion pour l'art contemporain dans les années 60, ainsi qu'une conscience politique qui, bien que restant mollement infléchie à droite, insère des éléments de plus en plus marqués à gauche.

Henri Roanne-Rosenblatt, cité par Peeters, a cette phrase magnifique à propos d'Hergé : "Hergé m'a aidé à sortir d'une période où j'avais tendance à considérer que seuls les gens du même bord que moi, idéologiquement parlant, pouvaient être des gens biens". Hergé, ce n'est pas un hasard, possédait ce qu'il faut de contradictions, de tourment intérieur, d'équilibre entre sensibilité et force, qui participe à la fascination qu'on éprouve naturellement envers les créateurs d'oeuvres bigger than life comme le sont "Les Aventures de Tintin".

L'oeuvre close

Hergé n'a pas souhaité que son œuvre se poursuive après lui. Tintin est clos (c'est assez rare dans le monde de la BD), harmonieux (le travail de retouche accompli par les studios Hergé sur les premiers albums à partir de la fin des années 40), accessible dans son intégralité (22 albums de 64 pages, hors "Tintin au pays des Soviets", c'est raisonnable), d'une lisibilité extrême, et d'une capacité hors normes à produire des souvenirs (si on l'a lu jeune) où à sortir du lot si on ne lit qu'aujourd'hui.