Succès littéraire : l'œuvre ou le nom ?

Succès littéraire : l'œuvre ou le nom ? Alors que la rentrée littéraire est l'occasion d'assister à la publication de plus de 600 ouvrages, posons-nous la question : que se passe-t-il quand le nom dépasse l'œuvre ?

Nothomb, Levi, Musso... Ces auteurs figurent régulièrement en tête de gondole dans les librairies, et ce depuis plusieurs années. La seule Amélie Nothomb, auteure au style insolite, publie un nouveau roman tous les ans depuis deux décennies (Hygiène de l'assassin, en 1992, est le premier), en parallèle de divers contes et nouvelles. Avec toujours autant de succès. 


La clé ? Ses écrits sont accessibles. Comparez par exemple cet extrait de Balzac (La Peau de Chagrin, éd. Charpentier, p.27) :

"Vous êtes-vous jamais lancé dans l'immensité de l'espace et du temps, en lisant les œuvres géologiques de Cuvier ? Emporté par son génie, avez-vous plané sur l'abîme sans borne du passé, comme soutenu par la main d'un enchanteur ? En découvrant de tranche en tranche, de couche en couche, sous les carrières de Montmartre ou dans les schistes de l'Oural, ces animaux dont les dépouilles fossilisées appartiennent à des civilisations antédiluviennes, l'âme est effrayée d'entrevoir des milliards d'années, des millions de peuples que la faible mémoire humaine, que l'indestructible tradition divine ont oubliés et dont la cendre, poussée à la surface de notre globe, y forme les deux pieds du pain et des fleurs. Cuvier n'est-il pas le plus grand poète de notre siècle ?"

et cet extrait de Nothomb (Stupeur et tremblements, éd. Albin Michel, p.7) :
 

"Monsieur Haneda était le supérieur de monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito, qui était le supérieur de mademoiselle Mori, qui était ma supérieure. Et moi, je n'étais la supérieure de personne. On pourrait dire les choses autrement. J'étais aux ordres de mademoiselle Mori, qui était aux ordres de monsieur Saito, et ainsi de suite, avec cette précision que les ordres pouvaient, en aval, sauter les échelons hiérarchiques. Donc, dans la compagnie Yumimoto, j'étais aux ordres de tout le monde."

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Amélie Nothomb au Salon du Livre 2066 © L'Internaute Magazine

Evidemment, tout cela un peu facile : une phrase ne fait pas un auteur, Balzac et Nothomb représentent deux époques radicalement différentes, Balzac débute comme auteur de romans feuilletons dans les journaux, payé à la ligne.

Qui dira que le théâtre classique (Racine, Corneille, Molière) est accessible ? Qui contestera pourtant sa portée philosophique, sa puissance poétique ?

Que doit-on préférer ? Facilité d'accès et puissance littéraire doivent-elles seulement être opposées ? Flaubert disait de son œuvre majeure, "Bovary m'ennuie. Cela tient au sujet et aux retranchements perpétuels que je fais. Bon ou mauvais, ce livre aura été pour moi un tour de force prodigieux, tant le style, la composition, les personnages et l'effet sensible sont loin de ma manière naturelle. Dans Saint Antoine j'étais chez moi. Ici, je suis chez le voisin. Aussi je n'y trouve aucune commodité." (lettre à Louise Colet datée du 13 juin 1852). S'ennuyer en lisant Madame Bovary ? N'est-ce pas le but même du roman que de favoriser l'identification du lecteur à Emma, l'héroïne ?

Dès lors, la seule vraie question vraiment pertinente est la question du dépassement de l'œuvre par le nom.

Achète-t-on le dernier Nothomb parce qu'on aime bien le personnage ou parce qu'on aime bien ses écrits ? Lira-t-on aujourd'hui du Brasillach, dont l'engagement collaborationniste a quasi-absorbé tout jugement littéraire, bon ou mauvais, porté sur lui ? La notion de reconnaissance brouille inévitablement l'appréciation comme le succès littéraire.

Certains auteurs ont contourné l'obstacle : Boris Vian, par exemple, a écrit sous 35 pseudonymes différents. Cette supercherie lui a permis de s'aventurer là où il voulait et comme il l'entendait, de s'essayer à de nouveaux genres, sans que sa célébrité ne soit une entrave.
 

On pense également à Emile Ajar alias Romain Gary, George Sand initialement Aurore Dupin, ou encore JT LeRoy, ce talentueux transsexuel qui défraya la chronique dans les années 1990 et qui s'avéra être une trentenaire nommée Laura Albert.

En 2007, un certain Anonyme a lui-même tenté l'expérience avec Le Livre sans nom. Amateur d'écriture, il publie son texte sur un site dédié aux écrivains en herbe avant d'être repéré par un éditeur. Aujourd'hui, le livre connaît un véritable succès, et l'auteur refuse toujours de dévoiler son identité, affirmant que la célébrité ne l'intéresse en rien.
 

"J'écris parce que j'aime dire des histoires, pas parce que je veux la reconnaissance", explique-t-il sur le web

Mais on n'échappe pas au problème de la reconnaissance : Mr. Anonymous est pour le moment l'un des seuls à agir dans l'ombre, et donc à demeurer mystérieux, ce qui suscite mécaniquement la curiosité des lecteurs. Mr. Anonymous aurait-il autant de succès s'il n'était pas... anonyme ?