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SELECTION WEB |
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(Mars
2004) |
"Les
Sims, c'est à la fois du jeu et du spectacle"
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Serge
Tisseron, psychiatre, psychanalyste et spécialiste
des relations médias-jeunes, a joué
aux Sims. Pour L'Internaute, il analyse les raisons
du succès et donne des conseils aux parents
qui s'inquiétent de la Simsmania. |
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Vous
avez lu les témoignages
de nos lecteurs qui jouent aux Sims. Quelles refléxions
vous inspirent-ils ?
Tout d'abord, je constate que le temps consacré
à jouer aux Sims semble tout à fait conforme à
ce que l'on observe généralement : cela va de
5 à 20 heures par semaine. Au delà-de ça, j'ai
trouvé les témoignages finalement assez moralisateurs.
Un peu comme si les gens qui jouent beaucoup se
sentent coupables. On a le sentiment qu'il se
sentent obligés de dire qu'ils jouent un peu moins
que la réalité...
Pourquoi, à votre
sens, les Sims séduisent-ils un public
plus large que les autres jeux vidéos ?
C'est un jeu qui bat en brèche les deux
arguments que l'on oppose généralement
aux jeux vidéos : "ils sont violents, voire
même hyper-violents", et "ils se déroulent
dans un monde qui n'a rien à voir avec notre réalité
actuelle", guerre mondiale, épopées napoléoniennes
ou Heroic Fantasy... Avec les Sims, ces deux critiques
tombent à plat : le jeu n'est absolument pas violent
et il se déroule dans un monde qui pourrait être
le nôtre. Surtout, les problèmes que l'on a à
résoudre sont ceux que l'on rencontre dans notre
vie quotidienne. C'est sans doute pour cette raison
que le public et les parents le considèrent comme
plus "fréquentable".
Quel jugement portez-vous
sur le modèle "californien"
proposé par le jeu :
on travaille beaucoup,
on peut gagner beaucoup d'argent, on fait du sport,
on habite un pavillon de banlieue... ?
C'est du très classique
"politiquement correct" à l'américaine.
Je crois même que dans le jeu, les couples
homosexuels peuvent même adopter des enfants.
(Je ne suis par contre pas sûr qu'ils puissent
se marier...) En revanche, ce qu'il est intéressant
de constater dans ce monde lisse, ce sont les
stratégies que peuvent imaginer les joueurs
pour contourner les règles. Je pense notamment
à mon fils et à ses copains qui s'amusaient à
laisser un Sims enfermé entre quatre murs
sans nourriture; juste pour voir ce qui allait
se passer...
Ce détournement avait déjà été beaucoup pratiqué
en son temps avec les tamagoshi [jeu de console
où il fallait nourrir et élever
un animal virtuel]. Beaucoup de jeunes avaient
participé à des concours où il s'agissait de faire
mourir son tamagoshi le plus vite possible. Quand
un jeu est axé sur le bon soin, la meilleur façon
de le détourner est de l'axer sur le mauvais soin...
Comment expliquer l'intérêt
du jeu auprès des joueurs ?
Ce qui m'a frappé
quand j'ai joué aux Sims, c'est que l'on peut
y participer de deux manières. Soit on dirige
son personnage de manière classique, comme
dans tous les jeux de stratégie ; soit on laisse
le jeu se dérouler
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"La
logique "coup de pied dans
la fourmilière" explique
aussi largement le succès
du jeu"
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tout seul, une fois les
caratérisques de son personnage installées. Dans
ce deuxième cas, on peut
simplement s'amuser à regarder comment évolue
son personnage et on est pratiquement dans la
position d'un spectateur de télévision : on s'asseoit
et on regarde. Cela permet aussi de sortir de
l'état de stress permanent qui est souvent mal
vécu par les joueurs occasionnels.
Et puis il y une troisième possibilité qui mélange
ces deux manières de jouer. Elle consiste à intervenir
dans le jeu en créant des obstacles et à regarder
comment cela "tourne". C'est une logique
"coup de pied dans la fourmillière" qui explique
aussi largement le succès du jeu .
Les Sims sont aussi un jeu qui invite chacun à
jouer en fonction de sa personnalité, ce qui n'est
pas le cas avec des jeux de stratégie type "Medal
of Honnor" où se sont plus l'habileté et les capacités
qui comptent. Là, ce n'est pas le cas. Du coup,
on a tendance à échanger avec les
autres sur la manière dont on gère les situations.
On le retouve au niveau de la création des personnages
qui se déroule parfois en famille. La mère va
par exemple créer deux "héroïnes", le père va
y ajouter un garçon et ainsi de suite...
Que dire aux parents
qui s'inquiètent du temps que peuvent passer leurs
enfants à jouer aux Sims ?
Trois choses, principalement, qui concernent les
jeux vidéo en général. La
première, c'est que les études montrent qu'aux
alentours de 14-15 ans, la consommation de jeux
vidéos diminue, sauf exception. Il ne faut donc
pas s'inquiéter outre mesure du temps que
peuvent passer les pré-ados devant leur
machine.
La deuxième chose : les enfants qui jouent au
jeux vidéo n'ont pas de moins bons résultats scolaires
que les autres. Là encore, les études le démontrent.
Troisième point : les enfants qui jouent aux jeux
vidéo ont plutôt une meilleure socialisation que
les autres. Il y a bien entendu des cas particuliers,
mais statistiquement, cela se vérifie. Cela se
comprend d'ailleurs : pour être bon aux jeux vidéos,
il faut échanger avec les copains et les copines
car l'on rencontre beaucoup de difficultés que
l'on arrive pas à résoudre seul.
Quand on est parent,
faut-il garder ses distances vis-à-vis
des jeux ou au contraire y participer ?
Il est très important que les parents ne ratent
pas cette occasion pour échanger avec leurs enfants.
Au sein de la famille, il n'y pas tant d'opportunités
que cela d'échanger. Il faut parler des jeux vidéos
avec les enfants, leur poser des questions et
même essayer d'y jouer un peu. Pas pour devenir
un champion, bien entendu, mais simplement pour
montrer aux enfants que l'on sait de quoi on parle.
C'est sans doute plus facile avec les Sims qui
n'est pas a priori un jeu "dissuasif"
pour les parents.
Concrètement,
faut il mettre des limites de temps ? Y a-t-il
d'ailleurs une "règle" en la matière
?
Ce n'est pas un problème de durée. Les vrais problèmes,
ce sont ceux de la socialisation et des performances
scolaires. Si un enfant passe beaucoup de temps
devant sa console, qu'il a de bons résultats scolaires
et qu'il voit des copains, il ne faut vraiment
pas s'inquiéter.
Le fait d'être accro aux jeux vidéos ne se mesure
d'ailleurs pas en termes de temps passé mais en
termes de préoccupation. Un enfant peut être accro
même s'il passe peu d'heures devant sa machine
: il peut continuer à réfléchir à son jeu une
bonne partie de la journée.
Quant à la limitation
de la durée de jeu, elle ne résoud pas toujours
les problèmes. Il faut que les parents
s'interrogent sur autre chose. Souvent dans ma
pratique clinique, j'ai pu constater que les enfants
très accaparés par les jeux vidéos sont des enfants
qui souffrent d'un défaut de communication dans
la famille. Ce n'est pas parce que ces enfants
jouent beaucoup qu'ils communiquent moins, mais
c'est parce qu'ils communiquaient déjà très peu
et qu'ils s'ennuyaient qu'ils investissent les
jeux vidéo. Le fait qu'un enfant joue beaucoup
peut être un symptôme d'une certaine
souffrance familiale.
NB : Serge Tisseron est l'auteur d'un livre
intitulé "Les
bienfaits des images" (Odile Jacob, 2002)
qui analyse le pouvoir des images et notre relation
aux écrans. Cet ouvrage qui a obtenu le
prix "Stassart de l'Académie des sciences
morales et politiques", pourra être
très éclairants pour les parents
(et les autres) qui se questionnent. |
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[Rédaction,
L'Internaute] |
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