Le Milan Royal vaut-il moins que le Parlement de Bretagne ?

Le Milan royal, bel oiseau de proie, est victime d'un poison : la bromadiolone. 25 de ces rapaces ont été retrouvés empoisonnés en Auvergne ces dernières semaines. Et si nous mettions autant d'énergie à sauver ce fleuron de notre patrimoine naturel qu'à sauvegarder les trésors de notre patrimoine culturel ?

Les gouvernements des Etats développés mènent depuis longtemps des politiques de protection du patrimoine culturel ou naturel. Les pouvoirs publics protègent en effet aussi bien les monuments historiques que les espèces ou les milieux naturels remarquables. Pourtant, la protection des seconds s’est toujours révélée plus difficile à mettre en œuvre que la protection des premiers.

C’est qu’en effet, les milieux naturels peuvent abriter des ressources utiles à l’économie et que l’idée de les conserver peut venir contrarier un légitime désir de développement. La protection du patrimoine bâti est plus facile parce qu’elle génère moins d’enjeu et d’opposition. Quant aux espèces, elles peuvent être considérées comme nuisibles parce qu’elles menacent (en apparence en tout cas) une activité humaine comme l’agriculture.

C’est ainsi que les deux patrimoines ne jouissent pas de la même protection. Les bêtes à plumes et à poils pleines de vie ont leur raison de jalouser les vieilles pierres immobiles et stériles. Il est une espèce en ce moment qui réclamerait bien, en matière de « patrimonisation », une égalité des droits : elle se nomme le Milan Royal, un bel oiseau de proies de moyenne montagne. Parce qu’elle s’éteint discrètement à petit feu et préfèrerait presque disparaître dans un grand feu de joie pour être sûre d’attirer l’attention. Dans la famille patrimoine, le Milan Royal, issu de la branche des naturels, voudrait bien prendre la place du Parlement de Bretagne de la branche des culturels. Non pour devenir Roi (il l’est déjà), mais pour ne pas perdre la tête et assurer sa descendance.

On se souvient qu’en effet, le Parlement de Bretagne fut victime d’un incendie spectaculaire qui provoqua une indignation générale en 1994. Non seulement, on s’efforça d’éteindre au plus vite l’incendie, mais on mobilisa les grands moyens pour restaurer ses trésors. C’est ainsi que depuis ce temps, il jouit d’une protection de privilégié.

Le Milan Royal, malgré son nom, a bien compris qu’il faisait partie du tiers état et rêve en secret d’une nouvelle nuit du 4 août. C’est d’autant plus rageant que s’il est possible de reconstruire à l’identique un monument après sa destruction pure et simple, il est encore impossible de régénérer une espèce disparue, et ce, malgré les progrès du génie génétique.

Mais qu’arrive-t-il donc à ce pauvre Milan Royal ? Et bien, il est menacé par l’utilisation d’un poison : la bromadiolone, un anticoagulant destiné à détruire les campagnols terrestres qui prolifèrent de manière cyclique sur certains territoires agricoles. Le problème est que ce poison n’atteint pas seulement sa cible privilégiée, mais tue aussi tout un cortège d’espèces dont les prédateurs des campagnols ! C’est ainsi que ces dernières semaines, 25 milans royaux ont été retrouvés morts en Auvergne sur des zones traitées.

Ce problème est connu depuis longtemps et il y a eu de très nombreux précédents dans plusieurs régions de France. Les associations de protection du patrimoine naturel n’ont cessé, ces dernières années, d’alerter l’opinion et les pouvoirs publics sur les conséquences catastrophiques de l’utilisation de ce produit. Celui-ci aurait dû être interdit dès le 31 décembre 2010 mais continue d’être autorisé par l’Union Européenne et l’Etat.

Un fleuron de notre patrimoine naturel s’éteint doucement et mériterait bien une attention égale à celle que l’on accorda en son temps à l’édifice breton. L’oiseau est aujourd’hui placé sur la liste rouge de l’UICN[1] notamment parce qu’il est une espèce endémique de l’Europe. C’est d’ailleurs pour cette raison qu'il fait l’objet d’un plan d’action national financé par l’Etat ce qui rend la situation actuelle d’autant plus aberrante et paradoxale.

Pour ceux d’entre nous qui ont vu voler ce rapace magnifique, il ne fait aucun doute que la bromadiolone doive être interdite (en tout cas sous certaines conditions d’utilisation), d’autant plus qu’il existe des solutions alternatives efficaces. Il faut aussi mettre fin à cette méthode quelque peu surprenante qui consiste à supprimer un ravageur de culture tout en éliminant ses prédateurs ! La grande idée des politiques de l’environnement est non d’interdire toutes activités humaines pour protéger la nature, mais de rationaliser les comportements. Il est évident qu’en vertu des progrès réalisés ces dernières années dans le cadre de la mise en œuvre du développement durable, cette méthode est anachronique.

Bien sûr, la disparition progressive du Milan Royal est moins spectaculaire et donc moins médiatique que celle de son cousin breton. Les milans meurent à l’abri des regards sur des plateaux auvergnats déserts et venteux. Dans des sillons empoisonnés reposent en paix les corps sans vie des proies et des prédateurs.

Pourtant, même si l’on comprend qu’il est parfois plus difficile de protéger le patrimoine naturel que le patrimoine culturel, il nous semble que dans ce cas précis, une action forte et déterminée doive être engagée. Des vieilles pierres sans vie qui les animent finissent par devenir ennuyeuses. Espérons que 2012 soit une année noire pour ce nouveau DDT. Pour sceller la réconciliation des patrimoines et les 100 ans de la Ligue pour la Protection des Oiseaux, nous proposerons alors de parler du Parlement Royal et du Milan Breton !

Photo : Romain Riols

[1] Union Internationale pour la Conservation de la Nature