L'Internaute > Nature > 
Chat > Emmanuelle Grundmann > Retranscription
RENCONTRE
 
Janvier 2007

"Les singes partagent 98% de notre patrimoine génétique"

Comportement des gorilles, sauvegarde des bonobos, la primatologue Emmanuelle Grundmann est venue répondre à toutes vos questions sur nos proches cousins, dont de nombreuses espèces sont aujourd'hui menacées.

  Envoyer à un ami | Imprimer cet article  

Quelles sont les espèces les plus menacées ?

Emmanuelle Grundmann La plupart des espèces de singes sont menacées du fait de la perte de leur habitat (la forêt tropicale), du trafic et du braconnage, tant pour la consommation de leur viande que pour leur utilisation comme animaux de compagnie. Les grands singes, nos plus proches cousins, comme les bonobos ou les orangs-outans sont particulièrement menacés comme bon nombre d'autres espèces (tamarin lion en Amérique du sud, douc en Asie...).

 

D'où vient votre passion pour les singes ?

J'ai toujours aimé observer les animaux et un jour, en me retrouvant au zoo face à face avec un grand singe (un orang-outan), j'ai été particulièrement troublée par son regard si humain. J'avais une passion particulière aussi pour les lémuriens, si différents et beaux. Ce sont eux qui m'ont amenée à la primatologie.

 

"La plupart des espèces de singes sont menacées"

Quel est le singe que vous avez le plus étudié ?

Les orangs-outans dans les forêts de Bornéo. Je les ai suivis pendant plusieurs années, étudiant leur capacité à se réadapter à la vie sauvage (il s'agissait d'orphelins, issus du trafic, qui avaient été réintroduits).

 

Quelles sont vos actions pour protéger les singes ? Est-il facile de réintroduire des grands singes ou avez-vous parfois eu des échecs ?

Les actions sont multiples et complexes. Il faut déjà récupérer les singes victimes du trafic, vendus sur les marchés ou détenus par des particuliers, puis les réhabituer à grimper aux arbres à chercher de la nourriture par eux-mêmes... J'aide des sanctuaires qui travaillent à la sauvegarde d'espèces, comme les orangs-outans, les bonobos ou les singes laineux, à monter des programmes de réintroduction. Mais il faut aussi sensibiliser les populations vivant autour à ce que sont ces primates, comment ils vivent et pourquoi il faut les sauver. Les échecs sont monnaie courante, mais les succès également. C'est malgré tout une tâche très difficile et onéreuse de vouloir sauver des primates. Il faut aussi et surtout mener des actions de protection des forêts dans lesquelles des populations sauvages vivent encore et c'est là le plus difficile car il faut négocier avec les gouvernements et beaucoup de considérations économiques entrent en jeu, bien loin des considérations écologiques.

 

En tant que primatologue, quelle est la découverte qui vous a le plus marqué ?

Chaque nouvelle découverte sur l'intelligence des primates me fascine, mais ce sont peut-être les études sur le langage (des scientifiques apprennent des langages symboliques à des bonobos, chimpanzés... et communiquent avec eux) qui m'ont le plus marquée et interloquée, tant cela nous montrait que les primates étaient proches de nous, humains.

 

Que pensez-vous des zoos ? Sont-ils amenés à disparaître ?

Les zoos ne sont plus des ménageries, des collections d'animaux comme ils l'étaient aux XVIII et XIXe siècles. Aujourd'hui, leur mission a changé. Ils servent de réservoir génétique pour des espèces menacées, et comme pour le tamarin lion doré, grâce aux programmes de reproduction menés dans les zoos, on a pu sauver l'espèce de la disparition. En France, encore trop peu de zoos s'intéressent à la conservation et mènent des actions pédagogiques poussées... Il existe cependant quelques précurseurs, qui œuvrent énormément pour cela. Aujourd'hui, les zoos font connaître les espèces menacées aux hommes citadins, et les sensibilisent au sort de certaines espèces. Il ne faut pas oublier que certains zoos restent avant tout commerciaux, ludiques et n'ont aucune vocation dans la conservation.

 

J'ai vu la semaine dernière un documentaire sur Koko la gorille et Penny Patterson, qui lui a appris le langage des signes... Que pensez-vous de cette initiative ?

Penny Patterson a été dans la mouvance d'autres scientifiques qui ont appris un langage des singes à des grands singes pour communiquer avec eux, un vieux rêve enfin réalisé. Dans son cas, je trouve qu'elle manque un peu d'objectivité et certains de ses résultats ou interprétations sont sujets à discussions et controverses dans le monde scientifique. Les travaux de Sue Savage Rumbaugh avec le bonobo Kanzi sont à cet égard encore plus intéressants car beaucoup plus objectifs et poussés.

 

"Les chimpanzés et bonobos partagent plus de 98% de leur gènes avec notre espèce. Mais au-delà, ce sont aussi des comportements que nous partageons !"

Quel est votre animal préféré ?

Question difficile. J'ai tendance à être fascinée par tous les animaux qu'ils soient à plumes, à poils, à écailles ou à coquilles et carapace. J'ai évidemment une tendresse toute particulière pour les orangs-outans et depuis ma rencontre avec les singes sud-américains au Pérou, j'éprouve une véritable fascination pour les singes araignées et les singes laineux. En dehors des primates, je reste marquée par ma rencontre au Kirghizstan avec deux panthères des neiges, des animaux sublimes et si mystérieux.

 

Vous arrive-t-il d'étudier d'autres animaux ?

En tant que scientifique, non, je suis seulement primatologue. Mais je travaille également en tant que journaliste-reporter et dans ce cadre-là, je travaille sur de nombreuses autres espèces comme le dragon de Komodo, les hirondelles de cheminée, les panthères des neiges, les éléphants, les rhinocéros...


Vous travaillez beaucoup avec le photographe Cyril Ruoso. La photo apporte-t-elle un autre point de vue, vous amène-t-elle à travailler différemment ?

Les photographes animaliers sont en contact étroit avec la faune et observent des choses passionnantes. Leur regard et leurs impressions apportent beaucoup et il serait intéressant que les scientifiques s'intéressent à leur travail, à leur façon d'aborder la faune. Quant au point de vue, évidemment, cela apporte une dimension esthétique, poétique, qui manque trop souvent dans le domaine de la recherche. Voir le regard d'un artiste sur les animaux nous amène à nous poser d'autres questions, à voir le monde sous un autre oeil et à distinguer des détails qui passaient peut-être inaperçus auparavant. De plus, parler d'un sujet, tout scientifique soit-il, dès lors qu'il est illustré par le travail d'un photographe, avec son point de vue, sa sensibilité, enrichit ce travail, et apporte sans conteste un plus. Cela est d'autant plus vrai pour la conservation, car il est plus facile de sensibiliser les gens à une cause environnementale est facilité lorsqu'on s'appuie sur des photos de qualité.

 

Est-il vrai que certains grands singes partagent 98% de notre patrimoine génétique ?

En effet, les chimpanzés et bonobos, nos plus proches parents d'un point de vue de l'évolution, partagent plus de 98% de leur gènes avec notre espèce. Mais au-delà des gènes, ce sont aussi des comportements que nous partageons, des émotions, des capacités cognitives...

 

Comment peut on en finir avec l'expérimentation sur les primates ?

Question difficile... En Europe, depuis 2005, les gouvernement se sont mis d'accord pour stopper l'expérimentation sur les grands singes. Mais cela continue aux Etats Unis et en Afrique par exemple où les labos pharmaceutiques et médicaux européens se sont expatriés pour continuer leurs expérimentations sans avoir de comptes à rendre. Recherches sur le virus du Sida, sur les cosmétiques...tout cela nourrit cette expérimentation. Il faudrait une grande mobilisation de tous les gouvernements pour qu'une décision de stopper les expérimentations sur les singes soit prise et on en est malheureusement encore loin. Et si en Europe les grands singes sont presque épargnés, les petits singes tels que les macaques affluent, un commerce nourri par les demandes des labos cosmétiques et pharmaceutiques en particulier. Si interdire l'expérimentation n'est pour l'instant pas encore envisageable, essayons au moins de faire pression pour que ces primates aient des conditions de vie décentes et ne soient plus isolés dans de petites cages dans lesquelles ils peuvent à peine bouger.

 

Aux Etats-Unis et ailleurs, nombreux sont ceux qui continuent à remettre en cause les liens de l'Homme avec les singes. Pensez-vous que cela peut nuire à votre combat, à la protection de ces animaux ?

Il y a en effet un grand courant de créationnisme né aux Etats Unis qui remet en cause les théories évolutionnistes de Darwin et donc notre parenté avec les primates. J'ai eu parfois quelques réactions de personnes qui refusaient de voir un lien quelconque entre les primates et cet autre primate que nous sommes. C'est encore, et heureusement, un courant de pensée marginal, et je ne pense pas que cela nuise au combat des personnes qui se battent pour protéger les primates dans le monde. C'est plus une querelle pour l'instant d'intellectuels ou de pseudo intellectuels qu'autre chose. Espérons que quel que soit l'opinion de tout un chacun, nous réaliserons que protéger la nature qui nous entoure n'a rien à voir avec nos croyances mais relève simplement d'une question d'éthique et de bon sens !

 

"Tous les jours, des primatologues font de nouvelles découvertes."

Quel est le rôle de Jane Goodall France ?

A travers l'Institut Jane Goodall France, nous essayons de mobiliser les français pour la cause des grands singes en Afrique et en Asie, mais ce ne sont pas seulement les grands singes qui sont concernés. Car protéger les primates, c'est aussi aider les hommes qui vivent autour. Au Rwanda, l'écotourisme aux gorilles de montagne apporte beaucoup de devises, a permis la construction d'écoles, de dispensaires... Jane Goodall France essaye également de mobiliser des fonds pour aider des projets sur le terrain, en Afrique.

 

Les singes vous surprennent-ils encore, ou pensez-vous tout savoir d'eux ?

Evidemment, je suis surprise tous les jours et j'estime ne pas savoir grand chose encore, je ne suis même pas sûre qu'une vie me suffise pour vraiment comprendre ne serait-ce que les orangs-outans. Leurs modes de vie, leurs capacités cognitives... Elles sont si complexes qu'il est impossible d'imaginer tout savoir. Il reste encore tant de choses à découvrir et tous les jours, des primatologues font de nouvelles découvertes. J'espère être encore surprise ainsi par les primates bien longtemps, pourvu qu'on leur en laisse le temps et qu'on les laisse vivre un peu en paix !

 

Quelle est l'espèce dont les comportements se rapprochent le plus de l'Homme ?

Les chimpanzés et les bonobos. Ce sont aussi ceux qui nous ressemblent le plus génétiquement. Ils sont capables de sourire, de se reconnaître dans un miroir, expriment de l'empathie, ont des traditions et des cultures comme l'espèce humaine, utilisent et fabriquent des outils complexes...

 

Est-il vrai que les bonobos règlent leurs conflits par les relations sexuelles ?

Oui, chez les bonobos, le sexe sert de véritable ciment social. On se frotte, s'embrasse, s'étreint à la moindre tension dans le groupe. On les a d'ailleurs surnommés "les singes hippies".

 

Est-il vrai que les chimpanzés tuent parfois par plaisir ?

Il est arrivé, dans le parc de Gombe, qu'un petit groupe de chimpanzés parte en guerre contre une communauté voisine et tue tous ses membres. Les scientifiques ont également observé des chimpanzés torturant et mettant à mort un autre chimpanzé et personne n'a trouvé de raison à ces comportements : ils ne se battaient par pour un territoire, ces chimpanzés se connaissaient avant car ils faisaient partie du même groupe qui s'était séparé en deux sous-groupes... cette violence apparemment gratuite a surpris les primatologues et les a fait se poser énormément de questions sur l'origine de ces comportements violents et cruels.

 

"Ce sont les études sur le langage qui m'ont le plus marquée et interloquée."

Est-il possible qu'une espèce de singe soit plus intelligente qu'une autre ?

L'intelligence est une notion très subjective et très difficile à appréhender. Une espèce va exprimer des comportements adaptés au milieu dans lequel elle vit. On a longtemps cru que les orangs-outans étaient les cancres des grands singes car ils n'utilisaient pas d'outils mais on s'est aperçu qu'ils ne le faisaient pas parce qu'ils n'en avaient pas réellement besoin en milieu naturel et que dans certaines zones, comme les chimpanzés, ils fabriquaient et utilisaient des outils. Certes, les grands singes sont particulièrement doués au niveau de tests dits cognitifs et peuvent compter ou utiliser un langage symbolique... A cet égard, on peut dire que les grands singes sont les plus intelligents, mais on sait encore très peu de choses sur les autres primates, et il est difficile de porter de tels jugements.

 

Pourra-t-on empêcher la disparition des gorilles grâce au langage des signes ? En fait, est-ce un moyen de les rendre plus accessibles aux peuples qui les entoure ?

Je ne pense pas que le langage des signes puisse en quoi que ce soit aider à la sauvegarde des populations de gorilles. C'est une expérience menée sur un gorille captif aux Etats Unis. Par contre, peut-être que cela permet au public qui voit les films faits sur Koko, ce gorille qui a appris à converser par le langage des signes d'être sensible à la cause des primates et ce public pourra adhérer à une association de protection ou modifier son comportement de manière à ce qu'il soit plus "écologique" par exemple. Mais aucun gorille sauvage n'a appris et n'apprendra jamais le langage des signes.

 

Ma prof de SVT affirme que l'expression "l'homme descend du singe" est fausse, est-ce juste ?

Votre prof a raison, nous ne descendons pas du singe, nous sommes des singes tout simplement. Nous faisons partie de la même famille.

 

Vous sentez-vous découragée parfois face à l'irresponsabilité de l'Homme ?

Effectivement, parfois, il est difficile de rester optimiste lorsqu'on regarde autour de soi et que l'on voit le gâchis que l'homme fait ici et là. Heureusement, de nombreux hommes et femmes se mobilisent de par le monde, à travers des projets personnels, des associations...et les actions et le courage de ces hommes et femmes me laisse croire que tout peut encore changer. Ils apportent de véritables rayons de soleil, de véritables espoirs pour les animaux mais aussi pour les hommes vivant autour. C'est en ces projets, en ces hommes et femmes que je crois, ce sont eux qui apportent de vraies solutions, et il faut les soutenir.

 

Et si on veut soutenir votre action, que peut-on faire ?

Vous pouvez adhérer à différentes associations, comme en France l'Institut Jane Goodall (www.janegoodall.fr) ou Awely (www.awely.org) une autre association avec laquelle je travaille et qui s'attache à résoudre les conflits hommes-animaux et à faire en sorte que les deux puissent cohabiter. Des projets comme Ikamapéru ou Lola Ya Bonobo, Kalaweit... ont aussi besoin de notre soutien pour continuer. Adhérer à leur association les aide au quotidien.

 

Merci à vous tous pour ces nombreuses questions fort variées et j'espère avoir apporté les réponses que vous attendiez !

 

» Et aussi Le portrait d'Emmanuelle Grundmann

En savoir plus sur www.ruoso-grundmann.com



EN IMAGES Les plus belles photos de singes par Cyril Ruoso
20 photos | Toutes les photos de singes dans la Galerie-photos

Magazine Nature & Animaux Envoyer | Imprimer Haut de page
Votre avis sur cette publicité

 

Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Toutes nos newsletters

Sondage

Où préférez-vous partir en randonnée ?

Tous les sondages