Quand Paris change d'adresse

Cela fera six ans en février prochain que les habitants de l'ancienne rue du Général-Richepance (Ier et VIIIe arr.), habitent rue du chevalier de Saint-George. Ou comment le Général de Napoléon, connu pour avoir fait pendre des centaines de noirs à son arrivée en Guadeloupe et rétabli l'esclavage, a-t-il été remplacé par le fils d'un esclave, compositeur noir talentueux qui reçut les honneurs de la cour de Marie-Antoinette…

Une politique de mémoire

Dénominations, débaptisations… depuis quelques années, on en finit plus à Paris de condamner les uns, réhabiliter les autres ou mettre à l'honneur telle ou telle personnalité "qui a compté". Les mal nommées (rues, passerelles, écoles ou bibliothèques…) sont prises d'assaut par les maires, parfois pour des raisons historiques, comme la rue du Général-Richepance bien sûr, ou encore la rue Alexis-Carrel (XVe) ou le square Willette (XVIIIe). Qui y a-t-il à redire en effet, en ces temps marqués par les mea culpa, les réhabilitations et l'exercice du fameux "devoir de mémoire", à la suppression de ces noms de personnalités plus que polémiques, le premier étant considéré comme esclavagiste, le deuxième, Prix Nobel de médecine en 1902 comme eugéniste et le troisième comme antisémite ? Et bien même si Alexis Carrel fut remplacé par le résistant Jean Pierre-Bloch et Willette détrôné par la communarde et anarchiste Louise Michel, certaines voix de riverains, de commerçants et d'élus, s'élèvent contre ces changements de noms qui existent parfois depuis plusieurs siècles.

Le cas de la Croix-Rouge

Plus récemment, le cas de la Croix Rouge, qui souhaite faire suivre son adresse avec ses locaux, a fait la une du Parisien. La commission de nomination des rues de Paris devrait d'ici le mois prochain donner son feu vert pour le transfert de l'actuelle place Henry-Dunant (du nom du fondateur de la Croix-Rouge) au carrefour de l'avenue George-V et de la rue François-Ier, dans le XVIe arrondissement. L'institution, anciennement installée dans le VIIIe, a déménagé l'année dernière sur l'ancien site de l'Hôpital Broussais. Ce dernier, actuellement en plein réaménagement, accueillera nécessairement de nouvelles rues, d'où l'idée de faire suivre l'adresse. L'opération se distinguerait d'une réelle débaptisation, le siège de la Croix-Rouge étant en effet le seul bâtiment domicilié place Henry-Dunant.

Le ras-le-bol de l'opposition

Le maire UMP du VIIIe François Lebel, qui s'est récemment confié au Parisien, conclut à des "tripotages de noms inutiles qui introduisent de la confusion […] une porte ouverte aux changements les plus farfelus"… Est-ce aussi "inutile" que cela en a l'air ? Un baptême (il y en a déjà eu 139 depuis 2001 se réjouit déjà le responsable de la politique de mémoire, et une vingtaine aura lieu d'ici les municipales !), c'est aussi une inauguration en grande pompe avec parfois des têtes couronnées, comme ce 20 décembre 2002, lors de la création de la place Mohammed V, en face de l'Institut du Monde Arabe. Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Roi du Maroc, le président de la République Jacques Chirac et Bertrand Delanoë étaient présents pour honorer ce jour-là la mémoire d'un libérateur charismatique au destin exceptionnel et par là-même marquer le respect de tous les Marocains de Paris. D'ici 2008, parité oblige, les rues parisiennes se féminiseront, et porteront notamment les noms de Lucie Aubrac, Mireille, Madeleine Renaud ou Charlotte Delbo...