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 INTERVIEW 
Juillet 2005

Philipp Engelhorn : "Il faut beaucoup de respect et de sensibilité envers la culture et les gens"

Parcourir la Terre est pour Philipp Engelhorn une seconde nature, et c'est surtout l'occasion de découvrir le monde tel qu'il est réellement, loin de notre mode de vie occidental. Il nous offre un superbe reportage photo qu'il a réalisé durant son voyage avec une tribu Touareg.
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J'ai commencé à travailler à Hambourg comme assistant de Werner Bokelberg, un photographe de pub très reconnu en Allemagne. Cela a duré trois ans et demi, c'était vraiment une chance pour moi. Puis je suis parti pour New-York. J'ai travaillé 4 mois à Miami, 1 mois en Afrique du Sud, et réalisé quelques boulots pour gagner de l'argent… Pendant 6 ans, j'ai été assistant de photographes tels que Sheila Metznze, Patrick Demachelier, avant de rencontrer Russell James (photographe pour Victoria's street, Elle, Marie Claire, Nivea…) avec qui j'ai travaillé comme freelance. Mais je commençais en avoir un peu marre de cette photographie de "mode".
Donc parallèlement à ce travail, j'ai entrepris la réalisation de mon portfolio. J'ai rassemblé les différentes photos que j'avais prises durant mes voyages de travail avec Russell James. Et j'ai décidé de partir au moins une fois par an, pour découvrir d'autres choses et voir le vrai visage du monde. C'est durant ces voyages que j'ai commencé à bien trouver ma voie dans la photo. Avant, c'était juste un travail, maintenant, c'est une vrai passion ! Finalement, il y a trois ans, j'ai décidé de venir m'installer à Hong-Kong, c'est là que j'ai pu commencer ma carrière de photographe.

Quel type d'appareil photo utilisez-vous ?
Je travaille avec des appareils argentiques : un Mamiya7, un Mamiya 6/4.5 Pro et un Hasselblad 500 C/M. Je suis passé au moyen format assez vite en fait, parce qu'avec un 35mm, je shootais un peu trop vite… Le prix du moyen format me pousse à mieux penser mes photos, surtout avec le Hasselblad, je fais plus que composer une image et appuyer sur le déclencheur… Maintenant, j'utilise principalement le 6x6 pour le portrait, le 6/4.5 pour les travaux commerciaux et le 6x7 pour un peu tout (c'est mon préféré).
Je ne shoote pas avec en numérique. Ceci dit, j'ai tout de même un scanner Minolta Multi Pro qui m'est fidèle depuis 3 ans. Je l'utilise pour scanner mes images et les transférer sur mon Mac.

Vous dites vouloir montrer la "vraie vie" des personnes que vous photographiez. Que souhaitez-vous créer dans l'esprit des spectateurs ?
J'essaie d'éloigner le spectateur de ce qu'il côtoie chaque jour, de l'amener à partager l'esprit du lieu et des personnes que je photographie. J'essaie de créer une émotion - tristesse, joie, colère… qu'il ne reste pas insensible finalement.
Le mieux serait que mes clichés lui fassent se poser des questions sur la vie occidentale, qu'il remette en question les informations qu'il reçoit chaque jour à la télévision, dans les journaux… et qu'il commence à s'imaginer vivre avec les Tuaregs dans le désert, à boire le thé avec le chef du groupe au coucher du soleil, tout en discutant des petits problèmes de la "vraie vie" - comme par exemple savoir si les chameaux auront assez d'eau pour le mois, si les tempêtes viendront plus tôt cette année… "Times are hard for dreamers…".

Que représente le voyage pour vous ?
C'est en fait tout ce qui concerne le déplacement qui représente pour moi la plus grande partie du voyage : l'avion, le bus, la voiture, la marche à pied, le cheval parfois et bien d'autres encore.
Cela ne me déplaît pas, bien au contraire, c'est l'occasion de pouvoir rencontrer des gens très intéressants qui sont comme vous en transit, d'avoir de belles conversations, des échanges d'idées fascinants. Les plans du voyage changent sans arrêt (c'est un grand challenge !), retrouver votre chemin peut-être aussi fatiguant qu'amusant.
La marche à pied dans la région ouest du Tibet fut mon plus épuisant souvenir de voyage, mais aussi le meilleur. Je suis resté sous la pluie pendant cinq jours avant de pouvoir repartir, puis soudain le conducteur m'a lâché au beau milieu de nulle part, un ouvrier m'a ouvert sa tente pour la nuit, et soudain le lendemain matin une jeep survenant également de nulle part se propose de m'aider à continuer gratuitement mon voyage.
Ces expériences incroyables, vous ne pouvez les vivre que sur la route et nulle part ailleurs. Le mieux est d'être retenu à Abu Dhabi dans l'aéroport pendant environ cinq heures. Vous pouvez être sûr de vous retrouver à prendre un café avec un afghan vous invitant à visiter Kaboul, ou un thé avec un indien qui veut visiter votre propre pays…
Tant que vous vous montrez ouvert, il ne peut vous arriver que le meilleur. Il n'y a rien de mieux que de se présenter à l'aéroport, avec vos pellicules, votre tente et tout votre barda dans le sac, préparé à vivre pendant deux mois sur les routes. Ca, c'est la liberté !

Y a-t-il des régions du globe que vous préférez par dessus tout ?
C'est vraiment difficile à dire, je me suis toujours plus souvent intéressé aux gens qu'aux paysages. J'ai adoré l'Himalaya, l'Asie Centrale, l'Afrique de l'Est, mais je n'ai encore jamais été en Afrique du Sud, au Chili, en Argentine. Ces destinations sont d'ailleurs dans mes projets futurs. J'ai remarqué que les régions que je préfère sont en général des régions musulmanes, les gens et les lieux y sont toujours très intéressants.

Vous vous considérez plutôt comme un journaliste ou un photographe ?
Je ne sais pas exactement ; je pense que je dirais que je suis un photographe puisque pour moi, un journaliste est quelqu'un qui doit traiter des informations concernant l'actualité ou la guerre, sujets qui ne m'intéressent pas.

Qu'est-ce qui fait une bonne image selon vous ?
Je pense qu'une bonne photo doit transmettre une grande émotion à celui qui la regarde. Ca vous rend triste, heureux, en colère, ça vous intéresse, ça vous interpelle… Ou alors, ça vous touche droit au coeur ou dans le ventre, et vous ne savez pas exactement pourquoi, mais ça vous a touché.

Combien de temps passez-vous avec les personnes avant de les photographier ?
Eh bien, évidemment, ça dépend, mais si je ne suis pas pressé par un boulot spécial, je reste au moins deux jours dans une famille, pour être sûr de profiter du meilleur temps possible.
Je ne sors pas mon appareil photo avant les trois premières heures, pour m'assurer que la famille n'y voit aucune offense, et plus particulièrement que les femmes ne soient pas effrayées. Dans beaucoup de cultures, vous devez demander la permission de l'époux ou du frère avant de prendre une photo… Donc vous jouez avec les enfants, vous faites un petit tour, vous sortez votre appareil pour shooter quelques paysages, puis les animaux, on passe aux enfants et ensuite vous prenez toute la famille en photo !
Il arrive souvent que les gens soient très excités à l'idée d'être pris en photo, alors ils se parent de leurs plus beaux vêtements. Vous devez donc prendre ces photos afin de les amadouer et ne pas les contrarier, mais ensuite c'est à vous de leur faire comprendre que vous souhaitez des photos exprimant la réalité des choses, sans poses, sans jolis vêtements. A nouveau, il faut beaucoup de respect et de sensibilité envers la culture et les gens afin de mener à bien sa mission.

Combien de temps un reportage vous prend-il, de la préparation à la diffusion des images ?
Cela dépend totalement du temps imparti, des gens; de l'environnement, si c'est une commande spéciale ou si c'est un projet personnel…
Une histoire commence avec une idée, parfois avec une toute petite idée. Ensuite je vais passer quelques jours à étudier le contexte. Je peux shooter en une semaine, monter et scanner en une semaine supplémentaire. C'est comme ça quand vous êtes dans le rush, tout coule tout seul et votre idée se réalise assez facilement.
En ce qui concerne mes propres projets, cela prend en général plus longtemps. La plupart de mes idées sont basées sur des gens, ce qui implique que je dois les dénicher, m'entretenir avec eux, et apprendre à les connaître - un processus tout à fait imprévisible. Cela peut prendre un jour comme ça peut prendre une semaine de trouver la bonne personne qui peut vous présenter à quelqu'un qui peut vous présenter à quelqu'un qui peut vous présenter à la personne que vous essayez de trouver. L'imprévisible fait partie intégrante de l'aventure.

Pourquoi faites-vous tant de photos au grand angle ?
Je prends effectivement beaucoup de photos en grand angle, avec mon Mamiya 7 / 43 mm. C'est vraiment ce que je préfère car ce genre d'images vous amène au cœur de la situation.
Il faut communiquer avec votre sujet car vous êtes vraiment très près. Les réactions que vous obtiendrez et la manière dont vous les appréhenderez sont la clé de tout. C'est aussi ce qu'il y a de plus intéressant. Le regard mauvais ou plutôt ouvert, extraverti ou gêné, tout est possible. Et c'est à vous qu'il revient d'établir la communication et de la mener, d'être capable de suivre ce qui est en train de ce passer devant vous sans "détruire" ce moment.
Avec une longue focale, vous pouvez voir une scène à distance et la prendre, vous êtes un voyeur. Avec un grand angle, on voit l'action, mais pour la prendre il faut rentrer dedans, en faire partie, sans en faire trop ou détruire le moment. C'est vraiment très drôle !

Effectuez-vous des retouches sur ordinateur ?
Je me contente de scanner les négatifs ou les diapos, et de régler la couleur, le contraste, et d'appliquer si nécessaire l'outil dodge et burn (assombrissement et éclaircissement). J'essaie d'utiliser l'ordinateur comme une chambre noire, rien d'autre.

Reconnaissez-vous des influences particulières, des "maîtres à photographier" dans le monde de l'image ?
A proprement parler, je ne suis pas vraiment la voie d'un photographe célèbre. Bien sûr, je m'inspire du style et des projets d'autres personnes dans des genres différents : - les photos animalières de Bruce Webers sont vraiment les meilleures (elles vous touchent vraiment); - le style noir et blanc de Sebastan Salgado; - Peter Beard est vraiment bien; - Eric Valli (j'ai un très grand respect pour lui); - et bien sûr les classiques comme Tina Modotti, Gustave Le Gray ou encore Julia Margaret Cameron.

Vivez-vous de vos photographies ?
Oui, par chance, je peux en vivre. Malheureusement, le marché pour ce genre de reportages est très restreint, il y a définitivement plus d'argent à gagner dans l'actualité. Ce qui est dommage, car dans l'actualité d'aujourd'hui, il est très important de montrer le monde tel qu'il est vraiment.
Pour montrer la vie normale dans le Moyen-Orient par exemple, les gens n'en ont rien à faire des terroristes talibans, des manifestations, des voitures piégés et de tous ces gros titres qui paraissent ces jours-ci, particulièrement aux Etats-Unis. Bien sûr, ces choses arrivent mais à une moindre échelle comparé aux autres pays.
Je pense que c'est un des plus grands problèmes que nous avons dans le monde de nos jours : les gens ne savent pas du tout ce qui se passe vraiment dans le monde. Tout ce qu'ils pensent savoir vient de l'actualité qui projette une fausse image de ces pays ou régions.

Des projets ?
Je prévois de retourner au Tibet cet été pour travailler sur un reportage, et essayer d'aller plus loin dans mon reportage sur l'Aigle chasseur pendant l'hiver à Xianjiang (Chine), et puis il est certain qu'il a toujours beaucoup trop d'idée en route !


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Son site perso : http://www.philippengelhorn.com/
 
 Arnaud Baudry, L'Internaute
 
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