INTERVIEW
Janvier 2007
"L'uvre de l'architecte doit répondre à la demande sociale"
En 1980, les architectes Denis Valode et Jean Pistre fondent
l'agence "Valode et Pistre". Depuis, ils ont construit
des projets monumentaux dans le monde entier. A leur actif, le
Village de Bercy, les tours Jiuxiangkiao en Chine, le city center
d'Ekaterinburg ou encore de nombreux sièges sociaux d'entreprises
: Air France, L'Oréal, Havas
Un succès notamment fondé
sur une "réelle prise en compte de l'utilisateur"
: l'acte de création ne vaut que s'il répond parfaitement
à un contexte particulier et s'insère dans le patrimoine
existant.
Y a-t-il des projets qui vous ont particulièrement marqué ? Si vous deviez n'en retenir que trois, desquels s'agirait-il et pour quelles raisons ? Tout d'abord, l'usine L'Oréal d'Aulnay-sous-Bois,
parce que ce bâtiment a reçu l'Equerre d'argent, une première
pour une usine. Cette réalisation a été le fruit d'une
réflexion sur le cadre de vie des travailleurs. En général, les
architectes s'intéressent plutôt au cadre d'habitation et non
au cadre de travail, où l'on passe, finalement, la majeure partie
de son temps. Sur ce projet, le maître d'ouvrage voulait révolutionner
la façon de concevoir une usine : très beaux jardins, circuits
de visite y cohabitent avec des espaces très fonctionnels. Un
vraie révolution dans le domaine. Quel est, selon vous le projet le plus impressionnant qu'il vous ait été donné de concevoir ? Il s'agit de la Tour Generali à la Défense,
une tour de 300 mètres de haut (taille de la Tour Eiffel). Il
s'agit de la plus haute tour d'Europe continentale (il existe
une tour de 310 m à Londres et le projet de la Tour de Moscou
de Foster qui devrait mesurer 600 m de haut). Elle est également
remarquable par son attention à l'environnement. Nous avons économisé
les matières dans la construction, limité les dépenses d'énergie
grâce à des éoliennes et des panneaux solaires. Elle est également
capable de récupérer l'air froid de la nuit pour limiter l'usage
de la climatisation dans la journée. Une tour comme celle-ci économise,
par rapport à une tour habituelle, 3 500 tonnes de rejet
de CO2 par an.
Quel est le projet qui
a été le plus difficile à mettre en place pour vous ? Quels sont les éléments que vous prenez le plus en compte lorsque vous concevez un bâtiment ? Vous dites que votre métier consiste "à répondre aux besoins du client et se justifie pleinement par son utilité sociale, que le style est secondaire" ? Pourquoi ? Pensez-vous que l'architecte n'est en aucun cas un artiste ? L'architecture est bien sûr un art mais comporte une différence fondamentale avec les autres arts : si l'architecte n'a pas de commande, il ne peut pas créer. Il faut donc une commande sociale. Son uvre doit être pertinente par rapport à cette demande. En ce sens, l'architecte a une responsabilité sociale : il a le pouvoir de créer un monde épouvantable ou agréable à vivre. Je pense que "le style est secondaire" contrairement à certains architectes, seulement intéressés par l'idée d'imposer leur propre style aux bâtiments. Je suis convaincu que l'architecture est contextuelle, qu'elle s'insère dans un environnement culturel, géologique, climatique, urbain, historique. Il faut puiser dans toute la réalité d'un lieu pour générer un projet.
Vous prêtez une grande attention au travail d'artistes contemporains : vous avez ainsi ouvert votre agence à des installations régulières d'artistes. Pourquoi ? Comment cela se déroule-t-il ? Quels artistes ? Les artistes ont plus de liberté que les architectes. Ils ont toujours collaboré avec les architectes. Je pense que l'artiste doit effectuer un travail adhérant à l'architecture et non pas arriver comme une touche finale, un ajout à la fin de la construction. J'ai fait intervenir des artistes sur des façades ou encore des aménagements intérieurs. Parmi eux, il y avait Elisabeth Ballet (Centre Beaugrenelle), Bernard Quesniaux et Jean Charles Blais pour le pôle, Speedy Graffito pour une école maternelle, Pierre Buraglio, Soto Comment fonctionne votre agence ? Combien de personnes y travaillent ? Quel est votre chiffre d'affaire ? Dans l'agence principale, à Paris, il y a environ 250 personnes. Nous avons également des agences dans plusieurs pays du monde : nous en avons à Madrid, Varsovie, Pékin et Shanghai. Au total, cela fait environ 300 personnes. Les concours sont aujourd'hui internationaux : chaque agence, qui a un statut local, s'occupe des projets nationaux. Il faut en effet être un architecte du pays pour pouvoir déposer un permis de construire. Avoir autant d'agences à l'étranger est une nécessité juridique. Inversement, beaucoup d'architectes travaillant à Paris sont étrangers. Je crois que, notamment depuis les grands projets mitterrandiens, Paris attire de nombreux architectes. Nous gérons environ 40 projets en même temps, plutôt de grande importance. Notre chiffre d'affaire, en gros, est de l'ordre de 20 à 30 millions d'euros. Etant donnée la taille de votre agence, vous consacrez-vous à la conception des bâtiments ou avez-vous une tâche plus managériale ? De quel type de bâtiment aimez-vous le plus vous occuper ? Au contraire ! J'ai une tâche de plus en plus architecturale parce que je peux déléguer les tâches administratives à des personnes dont c'est le métier. Avoir une agence de cette taille permet, contrairement à ce que l'on peut penser, plus de liberté. Je n'aime pas certains bâtiments en particulier. Le plus intéressant, pour moi, est de m'occuper de projets très différents. Dans notre monde actuel, où tout va vers la spécialisation, j'ai la chance d'être un généraliste, pouvant passer d'un domaine à un autre.
Le quartier de la Défense
entame bientôt une seconde vie. Selon
vous, pourquoi ce réaménagement est-il indispensable ? Quels sont
les éléments à prendre en compte ? Quels sont vos autres projets en cours ? Les projets qui me passionnent le plus en ce moment sont ceux d'hôpitaux. Nous concevons des lieux de séjour de plus en plus agréables (ce sont presque des hôtels) et des espaces très flexibles et adaptables pour assurer la partie médicalisée. Il s'agit de faire un système très efficace et agréable à vivre. L'un des autres thèmes qui m'intéresse concerne les grands projets d'urbanisme, les quartiers de ville en Chine (Zhang Jia Kou) et en Russie (Ekaterinburg) dont je m'occupe : il s'agit de concevoir des villes écologiques. Enfin, j'ai également 10 projets de tour en étude dans le monde, un sujet qui va de paire avec la nécessité de densifier les villes. Quel chantier rêveriez-vous
de faire ?
» En savoir plus : le site de Valode et Pistre » Et aussi : La Défense 2015
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