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Avril 2006

L'algue tueuse

Evadée du Musée océanographique de Monaco il y a 24 ans, la Caulerpa taxifolia a conquis toute la Méditerranée, et on l'a même retrouvée en Californie. L'histoire significative d'une négligence qui tourne mal.

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L'échappée belle

En 1982, cette algue est amenée au Musée océanographique de Monaco pour y être cultivée. Déjà connue des aquariophiles amateurs, la taxifolia s'acclimate bien et sert de nourriture aux poissons tropicaux. En 1989, elle s'échappe dans la mer et occupe un hectare en contrebas du musée. Un an plus tard, on la retrouve déjà à 5 km de Monaco, et en 1992, sur les côtes italiennes et espagnoles. En 1995, on la retrouve même sur les côtes croates, et aujourd'hui en Tunisie.

La prolifération rapide s'explique par le mode de reproduction de cette espèce : le bouturage se fait à partir de fragments de feuilles ou de tiges, littéralement "clonés" pour donner naissance à de nouvelles plantes. Transportée par les chaluts ou les ancres de bateaux de plaisance, très nombreux dans cette zone, l'algue envahit peu à peu la Méditerranée.

La Caulerpa taxifolia est aussi très résistante. Elle survit dans des eaux à 7° et jusqu'à 100 m de profondeur. Elle s'adapte aussi aux variations de salinité, et à des milieux pauvres en éléments nutritifs ou pollués.

L'algue couvre aujourd'hui 13 000 hectares, et continue de s'étendre. Photo © Rachel Woodfield, Merkel & Associates, Inc., forestryimages.org

La biodiversité en danger

Même si on l'a surnommée "algue tueuse", la caulerpe n'est pas menaçantes en soi (elle n'a jamais tué personne et elle n'est pas toxique). Mais elle tend à faire disparaître la biodiversité. Partout où elle s'installe, elles prennent le pas sur les autres espèces.

Les posidonies, des plantes à fleurs fondamentales de l'écosystème méditerranéen, sont par exemple directement victimes de l'invasion. Les autres animaux l'apprécient diversement : les oursins et les crustacés la fuient, les escargots y sont indifférents. Certains scientifiques pensent même que la taxifolia serait finalement bénéfique pour l'écosystème marin.

La lutte est inégale

La lutte contre la taxifolia s'est jusqu'ici limitée à la prévention : les plaisanciers sont invités à prendre garde aux algues prises dans les ancres, pour ne pas encourager sa propagation. Les clubs de plongée recourrent à l'arrachage à la main. Mais ces arrachages sont une goutte d'eau face à l'extension inexorable de l'algue.

De nombreux scientifiques souhaitent l'introduction de deux espèces de limaces tropicales qui se nourrissent exclusivement de Caulerpa taxifolia. Mais le Ministère de l'environnement a refusé, redoutant des effets secondaires néfastes. Lorsque quelques colonies ont été découvertes sur les côtes californiennes, les autorités américaines ne se sont pas encombrées de telles précautions : 3 500 mètres carrés de caulerpe ont été décimées à l'aide de chlore. Une bâche est étendue sur la prairie et du chlore est injecté dessous. Toute la végétation est détruite sans distinction.

Outre l'aspect écologique, la Caulerpa Taxifolia a alimenté une vaste polémique sur les responsabilités de sa dissémination (le Musée océanographique de Monaco a notamment été mis en accusation), sur les moyens de lutte ou sa dangerosité… Plus de 400 publications scientifiques du monde entier se sont penchées sur son cas.


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