Le 30 juin 1988, la revue scientifique Nature sort un scoop : l'eau serait capable de conserver la mémoire des molécules d'une substance qu'on y a dilué, sans que la molécule soit elle-même présente dans l'eau. Si l'information ne venait pas d'un chercheur brillant, personne ne l'aurait prise au sérieux. Mais voilà : Jacques Benveniste, auteur de l'article, n'a rien d'un plaisantin. Médecin et biologiste, directeur d'une unité de recherche à l'Inserm, il est entre autres le découvreur d'un des principaux médiateurs de l'inflammation, le PAF-acéther.
Pour les partisans de l'homéopathie, cette découverte est inespérée : si l'eau diluée à l'extrême peut avoir un effet, cela justifierait le mécanisme d'action des médicaments homéopathiques.
Comment a procédé Benveniste pour son expérience ?
Une réaction inexplicable
Quelques explications préliminaires : les globules blancs (basophiles) renferment des granules contenant de l'histamine et possèdent sur leur surface des anticorps du type immunoglobuline E (IgE). Lorsque ces globules blancs sont exposés à des anticorps anti-IgE, ils perdent leurs granules : on dit qu'ils "dégranulent". Pour vérifier si les anticorps ont réagi, on utilise un colorant : si le liquide reste incolore, c'est que la dégranulation a eu lieu, sinon les basophiles se colorent en rouge.
Benveniste et ses collaborateurs soumettent donc des basophiles à diverses dilutions d'anticorps anti-IgE dont certaines dans lesquelles il n'existe plus aucune molécule du produit d'origine (l'anti-IgE). Et qu'observent-ils ? Un fort pourcentage de basophiles ont dégranulé même en présence de l'eau "pure".
Une enquête peu concluante
Pour les scientifiques de Nature, cette découverte semble tellement incroyable qu'ils décident de procéder à un test de vérification "en aveugle" : une équipe comprenant un magicien professionnel (!), un expert des fraudes scientifiques, et le directeur lui-même de Nature, John Maddox, est chargée de procéder à ce test.
Des tubes avec diverses dilutions sont numérotés de manière aléatoire et mis dans une enveloppe adhésive fermée. Les résultats ne sont pas probants, mais le rapport indique qu'aucune tricherie n'a été décelée. Alfred Spira, un autre éminent spécialiste de l'Inserm apporte d'ailleurs son soutien à Benveniste : pour lui, cette découverte est "la plus importante depuis celle de Newton", et il lance un appel international pour réaliser des recherches supplémentaires.
Des preuves impossibles à trouver
Pourtant, d'autres séries d'expériences n'arrivent pas à reproduire les résultats obtenus par Benveniste. Car les basophiles ont tendance à dégranuler un peu n'importe comment dans des conditions in vitro. De plus, certains basophiles ne sont pas visibles au microscope. Enfin, les pics de dégranulation sont aléatoires. Bref : le test est difficilement interprétable. Et puis si l'eau avait une "mémoire", pourquoi l'aurait-elle seulement pour les basophiles ?
Des doutes qui grandissent
Au fil des mois, les soupçons de fraude s'accumulent. Lors d'une expérience en Israël, l'assistante de Benveniste introduit des anti-IgE et d'autres protéines dans des tubes sensés être trop dilués pour en contenir. D'autre part, les recherches de l'unité de Jacques Benveniste sont directement financées par le laboratoire Boiron, le leader mondial des médicaments homéopathiques. Ce sont eux encore qui ont payé la contre-enquête menée par Maddox. Bref, pas vraiment un gage d'indépendance.
Mis en cause par le conseil scientifique de l'Inserm, le docteur Benveniste sera pourtant maintenu dans ses fonctions jusqu'à la fermeture de son unité, en 1993. Quand à Nature, la revue se contentera de publier des études contradictoires à celles de Benveniste, sans en tirer de conclusion définitive.
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