L'Internaute > Science  > Environnement > Chats > Paul Colonna
CHAT
 
Juin 2006

"Dans 50 ans, la moitié du pétrole sera remplacée par des produits tirés de la biomasse"

Paul Colonna, chercheur à l'Inra, travaille depuis des années à l'élaboration de produits dérivés des plantes. Biocarburants, plastiques, OGM... Il est venu vous parler de la chimie verte, de ses possibilités et de ses limites.

  Envoyer à un ami | Imprimer cet article  
"Un objet biodégradable doit être stable avant usage et fragile après son usage"

Quels sont les principes de la "chimie verte" ?

Paul Colonna : Utiliser la biomasse végétale avec des procédés propres et sobres pour produire des composés à haute valeur ajoutée ou à fort volume.

Pour faire ce métier, il faut être chimiste,agronome ou biologiste ?

On a besoin des trois compétences, les agronomes pour produire de manière durable, les biologistes car il faut recourir à des biotechnologies blanches et vertes, et des chimistes pour se relier aux grandes réactions de la chimie.

Quel est le prix de revient d`un produit "végétal" par rapport à un produit fabriqué avec du pétrole ?

Mauvaise question, car cela dépend du pays et de la main d'oeuvre. Par exemple aucun biocarburant n`est compétitif par rapport au pétrole sauf au Brésil en raison du faible coût des terres et de la main d'oeuvre.

Quelle est selon vous l'application la plus utile de la chimie verte ?

Utilité peut se prendre de différentes manières. On a besoin des biocarburants pour la sécurité énergétique, des grands intermédiaires chimiques pour une chimie plus propre et sobre, des spécialités biodégradables pour la protection de l'environnement.

Est-ce que le plastique "biologique" et plus facilement recyclable ?

Oui et non. Le principal intérêt du plastique biologique est sa biodégradabilité, donc la recyclabilité n'est pas considérée. En revanche la recyclabilité peut être obtenue pour certains biopolymères fortement transformés chimiquement après leur biosynthèse. Le verrou reste toujours la pollution du plastique après son usage initial. Certains objets sont perdus plus ou moins volontairement après leur usage. Il faut avoir alors un objet stable avant usage et fragile (biodégradable) après son usage. On se sait pas à ce stade déclencher la biodégradation à l'instant voulu.

Comment savoir si un sac plastique est en vrai plastique ou fabriqué à partir de maïs par exemple ?

On sait faire du vrai plastique à partir du pétrole comme du maïs. Toute la difficulté est de savoir si le composé issu de la biomasse est incorporé pour du ballast (car la biomasse coûte moins cher) ou s'il y a une recherche de synergies entre le plastique du carbone fossile et le biopolymère. On attend souvent une sensibilité particulière des biopolymères à l'eau, fragilité responsable de leur biodégradation.

 

"Le colza est meilleur que l'éthanol de betterave ou d'amidon pour les économies de carbone"

La production de colza de façon intensive pour remplacer le pétrole ne serait elle pas une solution qui satisferait à la fois les agriculteurs et l'automobiliste que je suis ? Existe-t-il une contre indication écologique à la production du colza ?

Au plan économie de carbone, le colza qui donne le biodiesel est effectivement meilleur que l'éthanol de la betterave ou de l'amidon. Au plan de sa production, c'est une légumineuse qui entre bien dans un assolement. Mais on ne peut pas faire colza sur colza., d'où une limitation intrinsèque à sa production.

Est-ce que vous utilisez des plantes classiques ou des plantes modifiées ?

Actuellement aucun OGM n'est cultivé en Europe pour les usages non alimentaires. Ce serait un domaine où les innovations fondées sur des OGM sont envisageables, mais les méthodes actuelles d'amélioration des plantes suffisent. Le verrou n'est pas sur les plantes.

Comment développer une industrie à base de plantes, puisque si il fait mauvais temps on peut se retrouver sans matière première ?

C'est certainement le premier défaut qu`identifient tous les chimistes. Mais ce n`est pas tant la baisse de rendement que la priorité qui sera donnée aux usages alimentaires: en cas de production insuffisante, on peut espérer que les décideurs nourriront d'abord les populations avant de faire rouler les voitures !

Quelle est la culture la plus utilisée en chimie végétale ?

Je n'ai pas les chiffres en tête. Au niveau mondial c'est le coton indiscutablement. Ensuite on trouve le blé, le maïs, la betterave, et le colza selon les pays et les zones climatiques.

Est-ce qu`il faut des usines spéciales pour fabriquer des produits "verts" ou est-ce qu`on peut utiliser des techniques classiques ?

Toutes les techniques classiques sont utilisables, d'ailleurs la mode des bioraffineries que l'on rencontre dans les discours ne représente que l'évolution technique des amidonneries et des sucreries, avec des techniques en cours de développement sur la lignocellulose. La principale nouveauté attendue porte sur les enzymes de la lignocellulose.

"Nous travaillons sur toutes les plantes de grande culture"

Travaillez-vous sur tous les types de plantes ?

Oui sur toutes les plantes de grande culture. Il faut avoir en tête que la clé est la valorisation de la plante entière, y compris les tiges et pailles qui traditionnellement partent en alimentation animale. C'est pour ça que la chimie verte entre en compétition avec l`alimentation animale, avec des valorisations qui sont souvent meilleures qu'elle. Donc on trouve du blé, du maïs, du pois, du colza, du tournesol… La nouveauté est l'emploi de plantes ligneuses comme des taillis à courte rotation ; le peuplier par exemple, ou des plantes nouvelles comme le myscanthus qui s'implante en plein champ et se récolte comme de la canne (mais sans sucre à la clé).

C'est quoi la chimie blanche et verte ?

La biotechnologie blanche ce sont les enzymes et les microorganismes, pour les fermentations, les hydrolyses, les conversions. La biotechnologie verte, c`est l'amélioration des plantes classique ou OGM.

Est-ce que toute la plante est utilisée dans la chimie végétale ? Sinon, qu`est-ce qu`on fait du reste ?

C'est l'objectif et l'une des clés du succès. On parle alors de valorisation de la plante entière. D'où l`idée que le traitement de la plante est un compromis entre les quatre débouchés : alimentation humaine, chimie verte, alimentation animale et retour du carbone et des minéraux dans le sol.

Est-ce que les grands groupes chimistes travaillent avec vous ? Sont-ils intéressés par les travaux de l`INRA ?

Oui, et depuis longtemps. Au delà des recherches en partenariat, le bon indicateur est de voir les investissements des chimistes dans l'acquisition de bioraffineries ou de forêts par exemple.

Est-ce que vous travaillez aussi à l`amélioration des plantes pour l'alimentation ?

Oui, et ça reste la première cible des recherches. L'amélioration pour la chimie verte est encore faible car le prix de la matière première a plus d'importance que son aptitude à la transformation. C'est d`ailleurs le drame des PVD [pays en voir de développement] qui trouvent là des débouchés aux dépens des usages alimentaires internes.

"Les chimistes commencent à investir dans l'acquisition de bioraffineries ou de forêts"

La France est-elle à la pointe dans ce type de recherche ?

Non car les industriels sont trop frileux. A l`inverse, l'Allemagne est bien engagée depuis longtemps mais surtout avec l`action des Verts qui veillent sur l`environnement, d'où une demande de produits verts (lessives biodégradables, plastiques, ..)

Qu'est-ce qu'il y a dans le lessive "verte" ?

Surtout le remplacement des détergents du pétrole par des dérivés résultant du couplage d'acide gras et de sucre, bien plus faciles à biodégrader et à faire assimiler par l'environnement. Mais attention, une lessive verte peut entraîner aussi des problèmes de pollution si elle est déversée de manière excessive dans un milieu naturel. L'eutrophisation peut exister là aussi.

Pensez vous que l'exemple du Brésil , leader de la chimie verte, soit transposable en Europe et plus particulièrement en France ?

Non, en raison du prix des terres, du coût de la main d'oeuvre et de la disponibilité des terres. En France il faudrait utiliser 1,2 fois la surface agricole utile pour générer les carburants nécessaires. Donc on ne peut pas avoir l`ambition du Brésil qui veut à la fois nourrir sa population et exporter de l'éthanol, du soja, du coton.

Si on doit tout fabriquer à partir de plantes, qu`est-ce qui restera comme place pour les cultures alimentaires ?

On ne pourra remplacer toute la chimie du carbone fossile (charbon , gaz ou pétrole) par du carbone biologique : certaines voies sont très efficaces en carbone fossile, donc c`est vraiment une complémentarité qu'il faut viser. A ce jour, dès qu'il y a des tensions sur les marchés alimentaires, dès que l`on supprime les aides pour les biocarburants, les usages alimentaires deviennent plus rentables. Les économistes de l'Inra l`ont bien démontré.

Pourquoi on n'arrive pas bêtement à transformer les plantes en pétrole comme cela se passe dans la nature ?

Il faut quelques milliers d'années à de très fortes pressions, pour obtenir du pétrole . A plus court terme, on peut transformer la biomasse par le procédé Fischer-Tropsch pour avoir une conversion chimique en biofuel. Ce fut employé pendant la 2 guerre mondiale, et c`est revenu à la mode. Le principal problème est le faible rendement (0,4) alors que la voie enzyme puis fermentation a un rendement de 0,6 / 0,65.

Quels est d'après vous le pourcentage d'emballages que l'on pourrait remplacer par ceux issus de la chimie "verte" qui actuellement sont issus de la pétrochimie ?

La plupart des plastiques, avec une limitation pour les aliments très hydratés et donc capables d'induire une biodégradation sur un stockage long.

"On sait tout faire, mais les coûts pour certaines molécules sont encore trop élevées"

J'ai une crème à l'aloe vera. Est-ce que c'est de la chimie verte ou c`est juste rajouté ?

C'est juste rajouté. On appelle ça de la formulation.

Entre l`éthanol et le diester, lequel est le moins difficile à produire et le moins polluant ?

Les deux sont équivalents en terme de propreté à la fabrication et à l'emploi. En revanche le diester est bien meilleur pour le bilan énergétique : 1,2 pour l'éthanol et 2,5 pour le diester.

Pourquoi on n'arrive pas à faire de la photosynthèse artificielle comme les plantes pour lutter contre l`effet de serre ?

On ne sait pas mettre des chloroplastes dans un capteur pour faire du sucre que l'on récupérerait. Mais on sait faire des capteurs photovoltaïques qui donnent 45 W/m2 alors qu'une plante donne du 1 à 2 W/m2 .

Quelle est selon vous la raison du non-développement des carburants à base de tournesol ?

Le tournesol présente des problèmes agronomiques particuliers d'où sa limitation. Mais ensuite au niveau transformation colza et tournesol sont équivalents.

Pourra-t-on vraiment remplacer tout ce qui est fait avec du pétrole par des dérivés de plantes ? Qu`est-ce qu`on ne sait pas encore faire ?

On sait tout faire, mais les coûts pour certaines molécules sont trop élevées. Le pétrole ou le charbon sont alors incontournables. Gardez bien en tête que dans l'état actuel des connaissances on peut envisager à une échelle de 50 / 60 ans de remplacer la moitié du pétrole par des produits tirés de la biomasse. C'est bien un bouquet de ressources de carbone qu'il faudra maîtriser.

Paul Colonna : Je terminerai en soulignant deux enjeux majeurs : l'environnement, avec le besoin de procédés propres, sobres, et le développement de nouvelles industries qui feront appel à des produits locaux ou importés. Un brassage des cartes est en train de se produire.

Magazine Science Envoyer | Imprimer Haut de page
Votre avis sur cette publicité