L'Internaute > Science > Magazine >  Interviews > François Gendron
INTERVIEW
 
Mai 2007

"Nous l'avons appelée l'épave du parfumeur"

L'épave du Casimir a sombré en 1829. Il s'agissait d'un bateau de commerce originaire du Havre qui passait les marchandises entre la France et St Domingue : voilà le résultat des archéologues qui ont réussi l'exploit de faire revivre un peu de la France du XIXe à partir de peu d'indices. Entretien avec François Gendron.
  Envoyer Imprimer  

 
François Gendron
 
 
 

L'épave dont vous allez nous parler se situe dans les Caraïbes, sur la côte nord de la République dominicaine. Sa découverte est-elle due au simple hasard ?
François Gendron. L'épave du Casimir se trouve sur la côte Nord de la République dominicaine, correspondant à la partie Est de l'île nommée Hispaniola par Christophe Colomb, ancien nom de l'île.
On ne découvre pas une épave par hasard. Le plus souvent, elle est signalée par les pêcheurs locaux. Il arrive aussi que l'on recherche une épave précise sans connaître sa localisation, dans ce cas, on doit éplucher les archives ou prospecter sur le terrain à l'aide d'un magnétomètre à protons qui permet de détecter les éléments en fer.
Dans notre cas, l'épave était déjà connue des Dominicains depuis plusieurs années et a été signalée aux scientifiques dans les années 1985.



Pourquoi avez-vous décidé de la fouiller ?
Nous ne sommes pas les premiers à avoir exploré l'épave. En 1986, un archéologue américain, Peter Throckmorton, avait pour projet d'y fonder une école d'archéologie sous-marine mais cela ne s'est pas fait, il est mort avant. L'archéologue anglais Simon Q. Spooner a repris le projet et a lancé en 1998 une prospection archéologique puis une fouille en 2000. Ces opérations ont permis d'évaluer l'épave. Il était urgent d'agir et d'y travailler pour préserver l'épave et ses richesses car des pilleurs et chasseurs de trésors avaient commencé à la démembrer. La dernière campagne date de 2005.

 
Photo de la fouille de l'épave. Photo © DR
 

Y a-t-il une grande différence entre une fouille terrestre et une fouille sous-marine ?
Evidemment. Déjà, vous n'avez pas la même liberté physique : vous portez un matériel lourd sur le dos, n'avez pas la même visibilité et surtout vous ne pouvez pas rester travailler des heures d'affilée au fond à cause de l'azote qui se dissout dans l'organisme.
L'épave étudiée repose entre 7 et 9 mètres de profondeur mais entre les récifs de la barrière de corail ce qui ne nous autorise pas à plonger plus de trois heures par jour et surtout pas après 13h car des masses d'eau venues du large s'engouffrent entre les récifs et font tanguer les bateaux de surface.
La première chose à faire est de bien délimiter la surface de l'épave. Ensuite on immerge un carroyage en tubes PVC sur la zone, cela permet de quadriller la surface et de dessiner des plans précis : le but et de positionner parfaitement dans l'espace tous les objets récoltés et d'en garder trace, car une fois hors de l'eau, ces informations sont perdues. Nous fouillons carré par carré. Une photo est prise et ensuite les plongeurs dégagent à la main les sédiments qui sont directement aspirés par une machine, comme un aspirateur, qui les rejette sur une grille de tri installée derrière sur le fond. Il faut donc être très attentif au cours des plongées et repérer les petits objets fragiles avant qu'ils ne soient aspirés et risquent avec 25 bars de pression d'être endommagés, sinon ils sont détruits par la force de l'aspiration.


Quels genres d'objets avez-vous retrouvés sur cette épave ?
Nous avons récolté plus de 1200 flacons de parfum en verre et cristal, des pots à onguents en faïence, quelques monnaies espagnoles en argent, une étiquette en cuivre provenant d'une boîte de conserve, des dés à coudre, des boutons, etc.

 
Objets retrouvés dans l'épaves. Photo © DR
 

Que vous apprennent ces objets ?
Ces objets sont très précieux car ils permettent de dater le naufrage : parmi toutes les pièces retrouvées les plus récentes sont de 1829, cela nous a permis de savoir que la bateau avait coulé cette année là ou après.
Les nombreux flacons de parfum ont donné un nom provisoire à l'épave : "l'épave du parfumeur", mais n'ont pas permis de mieux l'identifier.
En revanche : l'étiquette de boîte de conserve indique une conserverie française :J. Colin à Nantes. Cela est confirmé par la position de l'épave. En effet, le bateau s'est échoué sur un récif, le bâbord colle le récif alors que la proue pointe vers l'Ouest, preuve que le navire voguait depuis l'Europe vers les grands ports d'Haïti, Cap-Haïtien ou Port-au-Prince.


Comment avez-vous donc réussi à identifier exactement l'épave du Casimir ?
Grâce aux textes d'archives du ministère de la marine et des colonies, aux archives départementales du Havre, de Vincennes (archives militaires) et de Nantes (archives diplomatiques). Ainsi donc nous avons découvert que le Parfumeur était un brick, un bâtiment de commerce spécifique à deux mâts, de 156 tonneaux. Il se nommait Casimir et avait été construit aux chantiers navals de Boulogne-sur-Mer en 1824. Ce bateau de commerce venait de l'un des trois grands ports français de l'époque : Le Havre. Il a sombre le 27 avril 1829 à cause d'une erreur de navigation de son capitaine.

 
François Gendron sur l'épave du Casimir. Photo © DR
 

Son étude permet-elle d'obtenir des informations relatives au commerce et aux échanges français de l'époque ?
Oui c'est évident. Rappelons que cette histoire s'inscrit dans la France de Charles X, juste avant la révolution de 1830. L'île d'Hispaniola se remet lentement de la Révolution de 1793, de la tentative de reconquête napoléonienne suivit des conflits internes qui a vu sa population s'entre-détruire. Il faut rappeler qu'au cours du 18ème s. Saint-Domingue est alors la perle des Antilles et la plus riche des colonies françaises : c'est elle qui produit la plus grande partie du sucre consommé en France et dans le monde. Mais cette fortune repose sur l'esclavage. En 1793 les esclaves de Saint-Domingue se révoltent, détruisent les habitations et tuent les maîtres et leurs familles. Les échanges commerciaux avec la France sont alors totalement interrompus. En 1818, l'élection du président haïtien Jean-Pierre Boyer conduira à la signature d'un accord de paix avec la France en 1825. Les échanges reprennent.
L'épave du Casimir illustre très bien cette reprise commerciale. En effet, le navire apportait des biens de prestige à la bourgeoise locale : vins, tissus, parfum, etc., des produits manufacturés de grande valeur. Au retour il devait ramener des denrées coloniales introuvables en Europe comme le sucre et le café qui à l'époque est considéré comme le meilleur du monde.


Les flacons retrouvés contiennent-ils encore du parfum ?
Sur plus de 1200 flacons, 2 ont été retrouvés encore bouchés. C'est normal car les bouchons sont en liège et donc ne se conservent pas bien. Nous attendons l'un des deux au Muséum pour soumettre son contenu à une analyse physico-chimique (chromatographie en phases gazeuses). Peut-être retrouverons-nous les senteurs d'antan.



Magazine Science Envoyer Imprimer Haut de page
Votre avis sur cette publicité

Sondage

Que pensez-vous du rejet d'eaux radioactives par le Japon ?

Tous les sondages