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Janvier 2006

Arnaud Cathrine : "L'écriture, c'est comme la respiration"

Arnaud Cathrine parle de l'écriture sous toutes ses coutures : romans, scénarios, adaptations au cinéma, chansons... Avec une certaine idée du bonheur et l'enfance qui persiste.
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Arnaud Cathrine
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Vos romans sont-ils autobiographiques ?
Arnaud Cathrine : Non, ils sont pour la plupart dans le répertoire fictionnel. Question de pudeur sans doute (vous savez, cette chose devenue assez rare).

Comment procédez-vous pour écrire un livre? Ecrivez-vous un cadenas ou vous lancez-vous sans connaître la fin de l'histoire?
Comme dans la vie : je ne veux pas connaître la fin, sinon je m'ennuie... Il s'agit d'être mon propre lecteur et d'être surpris moi-même. D'ailleurs l'amorce, c'est toujours un décor ; jamais un bout d'histoire.

Votre livre de chevet ?
Les "Fragments d'un discours amoureux" de Barthes. Un précis de médecine ! Je pourrais dire aussi : tout Sarah Kane.

C'est l'anniversaire de la mort de Duras. Vous a-t-elle inspiré, influencé...?
J'ai lu et relu "La Musica Deuxième". La femme aussi me fascine. J'ai vu et revu les entretiens avec le génial Pierre Dumayet. J'admire beaucoup la liberté de Duras. Son intransigeance.

Le fait d'adapter un roman en film n'est-il pas difficile pour un romancier ? Un film ne modifie-t-il pas l'imaginaire de l'auteur ?
Il faut dire que travailler avec Eric Caravaca a été tellement fort et riche ! Le livre "paraissait" adaptable (parce que référencé d'un point de vue cinématographique) ; en réalité, ce fut un chantier de 2 ans... Nous avons beaucoup trahi le livre ("La Route de Midland") pour... lui être fidèle sur l'écran.


"Je ne veux pas connaître la fin,
sinon je m'ennuie..."

Avez-vous d'autres projets cinématographiques ?
J'ai collaboré à l'écriture du premier film de fiction de Julie Gavras qui sortira en septembre. Et je viens de terminer une autre collaboration avec un jeune réalisateur : Christophe Chiesa.

Ressentez-vous une fierté particulière devant l'un de vos livres, porté à l'écran ?
Je suis très fier du film d'Eric que vous découvrirez à partir du 22 mars. Il a fait sienne cette histoire et a tenu son cap avec obstination (difficile aujourd'hui pourtant de ne pas faire de compromis au cinéma !).

Ecrire pour le cinéma, quelles sont les limites de cet art délicat ?

Un scénario est une fiche technique ! C'est très aride d'un point de vue littéraire. Il faut donc compter sur la richesse de la personne avec qui l'on travaille pour que l'écriture soit une belle expérience. Ceci dit, je travaille toujours sur un texte littéraire pendant l'écriture d'un scénario. Je vais de l'un à l'autre. Donc : pas de frustration. Et que du bonheur.

Qu'avez-vous mis dans votre premier roman que vous regrettez maintenant ?
Je ne regrette rien. Ce livre est emblématique de tout ce qui a suivi (la violence, la question de l'autre...). Il y a juste une chose que je reconnais de moins en moins : l'écriture. J'avais 21 ans. Ma voix a mué, c'est normal.

Comment êtes-vous devenu écrivain ?
Je suis devenu écrivain le jour où j'ai renoncé à vouloir être chanteur !!!

Est-ce que l'on vous confond souvent avec le chanteur Kathrine ?
Cela arrive. L'ironie de l'histoire, c'est que lui c'est un pseudo. Alors que moi...


"Je veux croire
que la beauté
rend plus vivant !"

Le song-writing, ça vous tente ?
C'est fait. Je travaille notamment sur le prochain album de Florent Marchet.

Pensez-vous vraiment, comme le disent vos personnages dans "Sweet home", qu'il y a deux secrets pour écrire ?
Le premier secret, c'est ce que la pudeur et le respect de votre entourage vous interdit de porter en place publique. Le second, c'est tout ce que vous allez découvrir de vous-même dans cet espace énigmatique et révélateur qu'est l'écriture.

Est-ce que pour vous l'écriture est douloureuse ?
Rarement. C'est comme la respiration : ça fait mal en cas d'angine mais sinon c'est vital, jubilatoire. Nécessaire.

J'ai lu votre dernier livre, et j'avoue que je l'ai trouvé assez déprimant. Est-ce que c'est ce que vous vouliez que le lecteur éprouve ?
Non. Je veux croire que la beauté rend plus vivant ! Ceci dit, j'ai trouvé plus déprimant que mes livres... : la vie. Qui recèle quelques moments de bonheur malgré tout, je vous le concède !

Où sont l'espoir et la joie dans vos livres ?
Dans l'affront des non-dits (plus sain que de mettre les cadavres sur le tapis...). Dans les rencontres. Il y a une exigence de vie dans chacun de mes livres (ne serait-ce "Les yeux secs" qui parlait de la guerre). "Des yeux dans la forêt cherchent en pleurant la tête habitable", René Char. Là se tiennent l'espoir et la lumière de mes livres.

Vous êtes heureux Arnaud ?
Oui je suis heureux. Ces 10 dernières années furent inespérées. Je fais ce que j'aime et j'ai rencontré des gens admirables. Désolé pour ce tableau béat mais c'est vrai !

Pas de béatitude à être heureux... Surtout quand on arrive à rester sensible.


"Il y a une exigence
de vie dans
chacun de mes livres."

J'ai assisté au concert-lecture avec Florent Marchet au Blanc-Mesnil, c'était très beau et très prenant. Est-ce que vous allez refaire des lectures prochainement avec lui, seul ou avec quelqu'un d'autre ?
Merci ! Je ferai une lecture musicale avec Arman Méliès (dont l'album sort en avril) le 18 mars au Salon du livre de Paris (infos disponibles sur mon site). Et deux autres au festival de Toulouse, Le Marathon des mots. Distribution en cours !

Et c'est quoi comme type de chanson Florent Marchet ?
Chanson française, très influencé par le folk (Elliott Smith, Sufjan Stevens...). C'est le chanteur qui m'a le plus remué depuis Dominique A.

A quel âge avez-vous proposé votre 1er texte à un éditeur ?
J'avais 21 ans. Envoyé par la Poste. Refus, rendez-vous, etc... Et puis le miracle est survenu par la bande... On m'a présenté Bernard Wallet qui allait fonder Verticales et cherchait des auteurs. Et voilà.

Y a-t-il des auteurs très connus dont vous n'arrivez pas à lire les livres ?
Oui, oui et oui. Ne jamais se forcer ! Paul Valéry disait : "N'entrez pas ici sans désir." Michel H. par exemple. Me tombe des mains... De même que Balzac et Zola. Tout est question de désir.

Pour vous, la mer c'est quoi ?
Je ne suis pas lacanien alors je vous dirai : mon refuge.

Combien de temps faut-il pour écrire un livre ?
Tout dépend du livre, du projet... Entre 6 mois et 2 ans ! En tout cas : beaucoup de temps.

Quand vous écrivez un livre, est-ce que vous pensez déjà à un ou plusieurs autres ?
Parfois, j'écris deux livres en même temps. Mais je ne peux plus me dédoubler. Comme en amour : on peut être mystérieusement séparé en deux mais point trop n'en faut !

Et la mère, c'est quoi ?

Demandez à Stephen McCauley, je crois qu'on a la même ! La mère, c'est quelqu'un que je réinvente tous les jours pour moins la perdre. Comme tous ceux que j'aime.


"L'enfance, c'est la source
de tout."

A vous lire on a l'impression que vous arrivez encore à raisonner comme un enfant. Syndrome Peter Pan ou "simplement" énorme sensibilité ?
Pitié : pas Peter Pan ! Je n'ai aucune affection pour les tentations régressives... Non, je crois plutôt que je me souviens très bien de mon adolescence, voilà tout. C'est une période difficile, qui laisse des traces. Question de mémoire donc.

Pourquoi vos romans se tournent-ils toujours vers l'enfance ? Vous refusez de devenir adulte ?
Je suis heureux d'avoir 32 ans. Même si tout est beaucoup plus fragile qu'avant, précaire ; fâcheuse lucidité... Je me retourne vers l'enfance parce qu'elle m'a marqué, c'est tout. C'est la source de tout.

Tenez-vous un journal intime ?
Oui, dans chaque chanson que j'écris pour les autres !

Etes-vous du genre à écrire vite ou au contraire à vous reprendre sans cesse ?
Les deux. Le fil de la pelote vient parfois très facilement. Une heure après, tout peut devenir très laborieux... Une chose est sûre : le premier jet n'est qu'une petite partie du travail, l'essentiel consistant à se corriger, se relire, retravailler le trait...

Y-a t-il des livres que vous n'arrivez pas à écrire ?
Oui : ceux qui feraient du mal autour de moi. Contrairement à l'idée ambiante, je pense qu'il y a une morale en littérature.

Jamais tenté d'écrire une pièce de théâtre ?
Oh que si mais je ne me sens pas prêt. Sarah Kane m'a trop appris et impressionné pour que je m'y risque comme ça... Un jour peut-être...

Vous concluez "Sweet home" par "Si seulement les morts pouvaient conclure" : c'est trop facile, comme fin, non ?
C'est juste une façon de désigner le Sujet par excellence de tous les livres : la part manquante.

A part vous, quels sont les jeunes auteurs que vous nous conseillez ?
Olivier Adam, Christophe Honoré, Olivia Rosenthal.


"Je pense qu'il y a une morale en littérature."

Que pensez-vous des enseignants qui forcent les jeunes à lire ? Il ne s'agit pas de désir de la part de l'enfant dans ce cas.
Un jour, ces enfants les remercieront ! C'est une question d'éducation... Mon grand-père m'a "forcé " à me mettre au piano. Heureusement car sans cela je serais resté rivé à mon ordinateur ! De même, on m'a forcé à lire, il y a beaucoup de livres que je n'ai pas aimés mais qu'importe : je faisais mon éducation littéraire. Lorsqu'on découvre enfin un livre qui nous parle, le plaisir n'en est que plus fort.

Dans votre roman "Sweet home", vous faites s'exprimer, successivement, 3 personnages. Avez-vous pensé au livre "Le bruit et la Fureur" de William Faulkner ?
C'est précisément en lisant ce livre à l'âge de 16 ans que j'ai compris en quoi consiste une première personne de narration : comment inscrire un regard dans la langue.

Avec quel genre d'écriture êtes vous le plus à l'aise ? Destinée aux enfants ou aux adultes ?
Les deux. La seule différence étant : qui parle en moi ? L'adolescent ou le trentenaire ? A vrai dire, là où je me sens à l'aise, c'est le "JE". La 3ème personne de narration est un habit où je me sens embarrassé...

Est-ce que ce n'est pas angoissant de commencer un nouveau livre, n'avez-vous pas peur de ne plus faire aussi bien que celui d'avant ? Pensez-vous à cela ?
C'est chaque fois plus difficile, parce que je suis sans doute de plus en plus exigeant. Alors oui, c'est angoissant. Mais passionnant. Et puis mes éditeurs m'attendent, le portent.


"Mon rêve ? Il est trop intime..."

Quel sera le thème de votre prochain livre ?
"La disparition de Richard Taylor" : dix femmes évoquent la disparition d'un homme... Ce livre est presque achevé. Il est supposé être drôle. Wait and see ! En attendant, deux livres sortent en mars à l'Ecole des Loisirs.

Les sujets d'actualité vous intéressent-ils ?
Oui, même si mon désir n'en fait qu'à sa tête et choisit pour moi les sujets de mes livres ! Cela étant, "Les yeux secs" est à l'évidence né de l'actualité.

Pourquoi écrivez-vous? Quel serait votre rêve le plus cher ?

J'écris donc je suis. Mon rêve ? Il est trop intime... Pardonnez ma discrétion.

Arnaud Cathrine : Merci pour votre visite. Et merci à L'Internaute. Je m'en retourne écrire...


Sur le web : www.arnaudcathrine.com

Le 16 mars dans les librairies, aux éditions l'Ecole des Loisirs :

Je suis la honte de la famille
La vie peut-être

Le 22 mars dans les salles "Le Passager", réalisation Eric Caravaca, avec Eric Caravaca, Julie Depardieu, Vincent Rottiers, Maurice Bénichou, Nathalie Richard et Maurice Garrel.
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Bibliographie :

2005 2004 2002
Sweet home
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Exercices de deuil
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Les vies de Luka
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2001 1999 1998
La route de Midland
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L'invention du père
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Les yeux secs
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