La nuit s'assombrissait, des chants
de victoire soudain emplirent les rues environnantes. Je ne savais pas qui avait
gagné et ne cherchais pas à le savoir. Les échos du match laissaient penser que
la victoire avait été nette d'un côté ou de l'autre.
Une fois le stade
désert et la clameur lointaine, je rallumai les projecteurs et descendis sur la
pelouse. Quelques employés rangeaient leurs affaires et s'apprêtaient à rentrer
chez eux, mais nul ne s'inquiétait de me voir rester. Ils connaissaient ma méticulosité,
s'en moquaient même un peu. A l'heure où tout le monde s'en allait fêter la victoire
ou pleurer la défaite, moi, je me mettais au travail. J'allais mesurer l'étendue
des dégâts, petit jardinier paysagiste au pays des sportifs.
Pour cette
fois, je m'attendais à pire : pas de motte retournée, de ligne effacée, d'herbe
arrachée. Ils m'avaient laissé la pelouse en assez bon état. En règle générale,
elle souffrait davantage lorsque le match était disputé, lorsque les mêlées piétinaient,
lorsque les masses s'équilibraient, reportant toute leur force sur le sol. Ce
soir, une des deux équipes avait été balayée. Tant pis pour eux, tant mieux pour
le gazon.
Au milieu du terrain, mes yeux s'arrêtèrent sur une paire de
baskets blanches. Au-dessus, il y avait mon chef :
- Martin, rentre chez toi.
- Je jetais juste un coup d'il
- Mouais. Tu sais, j'ai eu une idée pour
toi, l'autre jour.
- Laquelle ? -
Je crois que tu devrais te mettre au
rugby, pour te soigner.
Je ne me sentais pas spécialement malade, mais
son conseil m'a paru bon. Le rugby comme thérapie pour maniaque léger : pourquoi
pas ? Je décidai de m'inscrire dans une équipe amateurs, en " corpo " comme on
dit, et me retrouvai deux semaines plus tard à l'entrée d'un petit stade en bordure
de périphérique, près de la porte d'Aubervilliers. Rien à voir avec le mien, bien
sûr. Pelouse de maigre qualité, drainage approximatif, et aucun des équipements
d'un grand stade : lampe à ultraviolet pour corriger les ombres portées par les
tribunes, système de chauffage souterrain évitant les morsures du gel, arrosages
automatiques finement dosés... J'hésitais à repartir immédiatement lorsqu'un grand
costaud, accoudé à l'entrée des vestiaires, me lança : "Salut, moi c'est Polo.
Je joue troisième ligne centre. Et toi ?"
Bonne question, je n'y avais pas
réfléchi avant. Je répondis sur un ton qui se voulait le plus assuré possible
: "Martin. Je suis trois-quarts centre"...
Damien,
31 ans, Paris (75)