LIVRES
Mars 2007
"Aider les écrivains à trouver leur voix"
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Créé en 1985, Aleph est aujourd'hui le principal organisme français d''ateliers d'écriture. Il est géré depuis ses débuts par Alain André, auteur et pédagogue. |
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Pourquoi avez-vous
créé Aleph ?
Alain André. Dans les années
1970, j'étais un auteur débutant,
ne connaissant ni auteur ni éditeur.
J'avais besoin de confrontation avec mes
semblables. Par ailleurs, j'étais
professeur de lettres et absolument pas
content de ce qu'on me demandait de faire.
Quand j'ai appris l'existence des ateliers
d'écriture, je m'y suis intéressé
mais je n'y ai pas tout à fait trouvé
ce que je cherchais : un atelier d'écriture
où l'on puisse se former dans le
métier en tant qu'écrivain,
c'est-à-dire qui permette de découvrir,
se situer, acquérir des techniques,
etc. Dans une certaine mesure, créer
Aleph, ça a été pour
moi l'opportunité de créer
l'atelier d'écriture que j'aurais
aimé trouver et qui n'existait pas.
Que proposaient les ateliers d'écriture
d'alors, et en quoi ne vous satisfaisaient-ils
pas ?
Les ateliers de l'époque étaient
de trois types. D'abord, il y avait les
ateliers d'écriture-poésie
issus du mouvement pédagogique intitulé
"Groupe Français d'Education
Nouvelle" (GFEN), très ponctuels,
idéologiques et proches de l'extrême
gauche. Sur un plan littéraire c'était
pour moi très insatisfaisant. Ensuite
il y avait des ateliers très formalistes.
Ce qui m'a gêné tout de suite,
c'est que ceux qui travaillaient dans ces
ateliers finissaient tous par écrire
de la même façon. Enfin, les
ateliers d'Elisabeth Bing, les premiers
ateliers grands publics en France, fonctionnaient
sur un modèle proche de ce qui se
fait maintenant, mais ils n'aidaient pas
le jeune auteur à avancer techniquement
dans son écriture.
Il faut comprendre que la France est un
pays de tradition élitiste par rapport
à l'écriture. On considère
que si on écrit, c'est qu'on est
génial. Mais on ne conçoit
pas que l'écriture puisse s'apprendre.
C'est un modèle fondé sur
l'inspiration et le talent individuel. En
revanche, le modèle "américain"
est fondé sur le travail et la compétence
professionnelle. Ceux qui se sont intéressés
aux ateliers d'écriture dans les
années 1960-1970 avaient un objectif
général qui était la
démocratisation de l'acte d'écrire.
Il y avait donc une dimension politique.
Les ateliers d'écriture marquent
aussi en France une rupture avec une tradition
scolaire : l'écriture créative
n'est plus enseignée depuis la fin
des classes de rhétorique, en 1900-1901.
Pas même par les rédactions
de notre enfance ?
On ne fait des rédactions que jusqu'à
la fin du collège, et ce sont des
exercices très formatés.
Comment se déroulent les séances
dans les ateliers d'écriture en général ?
L'atelier le plus courant est un atelier
"d'écriture spontanée"
qui se déroule en trois temps. En
premier lieu, une proposition d'écriture,
souvent à partir d'un extrait littéraire.
Dans un deuxième temps, les participants
écrivent, pour une durée qui
varie de 15 à 45 mn selon le niveau.
La contrainte de temps est très stimulante
pour l'écriture. Enfin, le troisième
temps est consacré à la lecture,
en général à voix haute,
suivie de retours sur ce que cette lecture
suscite chez les uns et les autres. Mais
c'est contre ce modèle d'atelier
qu'Aleph a été créé,
parce qu'il ne fait pas vraiment avancer
l'écriture. Nous avons introduit
une dimension pédagogique dans nos
ateliers, même si ce terme fait un
peu peur, afin de proposer plus qu'une activité
ludique aux participants : une aide aux
futurs écrivains pour qu'ils trouvent
leur voix.
Qu'entendez-vous par "dimension
pédagogique" ?
On considère à Aleph qu'il
n'y a pas que l'expérimentation ou
le bricolage, mais aussi l'apprentissage.
La dimension pédagogique se situe
dans ce que j'appelle la "pédagogie
du détour" : des interactions
à deux ou trois permettent des échanges
de point de vue, des comparaisons. Il y
aussi les apports de l'animateur qui propose
la lecture de quelques textes courts afin
de cerner et d'analyser un problème,
par exemple celui du point de vue. On varie
aussi les moments, trois fois sept minutes
d'écriture plutôt qu'une seule
phase plus longue. Tous ces tâtonnements
expérimentaux et comparatifs aboutissent
à un tricotage bénéfique
pour la réflexion sur l'écriture.
Quel est le public des ateliers d'écriture ?
Ceux sont avant tout des gens qui ont envie
et qui sont prêts à payer.
Le public est à dominante féminine.
Quand un atelier commence, on a souvent
trois ou quatre femmes pour un homme. Mais
quand il s'agit d'écriture professionnelle,
de cycles d'approfondissement, le travail
d'un manuscrit pour une éventuelle
publication par exemple, alors on s'approche
de la parité. Le cur du public
est âgé de 35 à 55 ans.
On approche les plus jeunes grâce
à des tarifs réduits. Pour
résumer, on a un quart de participants
qui viennent de la galaxie éducation
nationale, un autre de la galaxie "psy,
éducateurs", en moindre proportion
on a une population issue du milieu du spectacle
-comédiens, monteurs, scénaristes-,
et pour le dernier quart le public est très
varié : des gens cultivés
et assez riches, d'autres moins privilégiés
mais très motivés, et aussi
des personnes au chômage ou en reconversion
personnelle ou professionnelle. Certains
ont compris que le rapport à l'écrit
est redevenu un critère socio-professionnel
déterminant. Mais pour la plupart,
l'atelier d'écriture est d'abord
un loisir de qualité.
Quelles sont les motivations du public
de ces ateliers ?
On en distingue principalement trois. Premièrement
sortir du secret : l'écriture reste
souvent une pratique solitaire ou clandestine.
A un moment donné, ces personnes
ont un désir de partage qu'ils trouvent
dans nos ateliers. Deuxième motivation
: un travail sur soi, non pas au sens thérapeutique,
mais un travail d'émergence, d'expression
ou d'investigation sur soi-même ou
son histoire. La troisième motivation
enfin, peut-être la plus prégnante,
est d'avancer sur le plan littéraire
et de trouver sa manière personnelle
d'écrire. Au final, un tiers des
participants se confronte au travail de
l'écrivain et s'inscrit dans une
perspective de publication, même si
cette finalité n'était pas
consciente initialement.
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