Catherine Destivelle (Escalade-Alpinisme) "J'aime le jeu tactique avec la roche"

A l'occasion de la sortie du film "Au-delà des Cimes", qui lui est consacré, la plus célèbre grimpeuse française a répondu aux questions de L'Internaute sur le tournage du long métrage, sa passion de la montagne, ses meilleurs souvenirs...

L'Internaute Magazine : Rémy Tezier a réalisé "Au-delà des Cimes", film dont vous êtes la principale protagoniste. Comment l'avez-vous rencontré et qu'est-ce qui vous a donné envie de travailler avec lui ?

Catherine Destivelle : Nous nous sommes rencontrés en 2002 à La Réunion, où Rémy habite, lors du tournage d'un film sur le thème "Comment ce serait de grimper sur la planète Mars ?" Il pleuvait beaucoup et cela perturbait la réalisation du film. Du coup, nous avons beaucoup parlé, notamment de ce que j'avais fait jusqu'ici en escalade et alpinisme. Il s'est dit qu'il tenait peut-être enfin l'occasion de faire le film de montagne dont il rêvait depuis toujours, et que j'étais la bonne ambassadrice pour ça. "Les Etoiles de Midi", qu'il avait vu en 1973, l'avait incité à commencer l'escalade et il en gardait un mémorable souvenir. Pendant un an, nous avons discuté du scénario. Rémy a cherché un producteur mais a dû se résoudre à assurer lui-même la production, à ses frais.

Sur quoi repose le scénario ?

destivelle
Catherine Destivelle sur le Grand Capucin © René Robert

L'idée, c'était d'emmener certains de mes amis grimper avec moi dans les Alpes. A travers 3 ascensions, Rémy a montré 3 aspects de la montagne.
J'ai emmené Lothar (mon ancien compagnon) et Gaby, un ami, sur l'Aiguille Verte, qui offre l'une des plus belles vues sur la montagne.
J'ai grimpé le Grand Capucin, une belle paroi de granit, avec Pauline Pretet. C'est une ancienne élève, que j'ai eu en stage. Aujourd'hui, elle a fait de l'escalade son métier.
Enfin, avec ma sœur Claire, nous avons réalisé l'ascension de l'Aiguille du Grépon.
Les personnages du film sont donc des amis, des gens avec qui j'avais envie d'être sur la paroi.

Combien de temps a duré le tournage ?

Nous avons tourné tout le mois de juin 2006, puis deux semaines supplémentaires en septembre. Nous avons évité l'été pour laisser les alpinistes tranquilles durant cette période. Les conditions de tournage ont été super. Il a fait très beau, nous avons eu de la chance.
Une première version courte de film a vu le jour en 2007. Puis Rémy a monté une version longue, que Lafuma, l'un de mes sponsors, a diffusé à Paris auprès de distributeurs. Pathé a eu le coup de cœur pour "Au-delà des Cimes" et a décidé de le distribuer dans son réseau.

Tourner en haute-montagne n'est pas évident. Comment cela s'est-il passé ?

Effectivement, c'était compliqué. Nous étions déposés sur le lieu de tournage en hélico le matin et hélitreuillés le soir une fois les images tournées. Nous avions toujours un œil sur le ciel et la météo car on se demandait : l'hélico va-t-il bien revenir pour nous évacuer ? En montagne, le temps change très vite et il y avait un risque que le pilote ne puisse décoller et venir nous chercher.
Et puis le tournage était fatigant. On se levait à 5 ou 6 heures du matin pour prendre l'hélicoptère. La fatigue s'accumulait. Le soir, nous essayions de nous coucher tôt pour avoir la meilleure récupération possible.
Dans ces conditions, c'est stressant parce qu'il ne faut pas faire de bêtise et en même temps, il faut être disponible pour le film.
Il y a parfois eu des incompréhensions entre Rémy et moi ou les autres grimpeurs. On ne comprenait pas toujours ce qu'il voulait faire. Et aucun texte n'était écrit avant. Alors, il fallait parler naturellement sans que ce soit trop idiot non plus !

Que pensez-vous du film, du résultat final ?

au dela des cimes
Un tournage périlleux © René Robert

J'ai beaucoup de mal à me regarder. Mais il est vrai que les scènes avec les compagnons de cordée sont sympas. Ce qui est drôle, c'est que nous avons des échanges assez décousus. Par exemple, dans une scène avec ma sœur, nous mangeons des fruits secs et commençons à parler de ça, des barres d'Ovomaltine qu'on mangeait plus petites... Un échange un peu bêbête quoi ! Mais ce sont des conversations qui paraissent naturelles quand on est là-haut. Tout le monde pourrait avoir ce type de discussion ! Du coup, le spectateur se retrouve dans cette scène. Ça lui plaît ces trucs où il se reconnaît. Ce qui me flatte le plus, c'est que les spectateurs ressortent ravis de la projection. Elle leur donne envie de se bouger, d'aller en montagne...

Ce film est aussi un moyen de promouvoir votre passion pour la montagne ?

Oui, il fait la promotion de la montagne et de la haute-montagne. On a voulu montrer que lorsqu'une sortie est bien préparée, ce n'est que du plaisir. L'évasion, la liberté, l'insouciance sont au rendez-vous. Je reprends souvent une citation de Mauriac que j'aime bien : "La passion de la montagne, chez un homme, c'est d'abord son enfance en lui qui ne veut pas mourir". Je trouve que c'est très vrai.
Sur la paroi, on est concentré, mais en même temps, c'est léger d'être là. Je voulais montrer la haute montagne sous un angle positif alors que d'habitude, elle fait peur aux gens. On entend beaucoup parler d'accidents mais elle est aussi source de plaisir.

Vous avez réalisé de nombreux exploits au cours de votre carrière. Quel est votre meilleur souvenir ?

C'est difficile parce que j'ai beaucoup de beaux souvenirs. La chose qui m'a sans doute le plus marqué, c'est l'ascension de la face Nord de l'Eiger. Avant, je n'avais quasiment fait que du rocher. Or, j'avais envie de devenir une alpiniste, de faire du mixte (paroi et neige). Quand j'ai réalisé l'ascension, en hiver et en solitaire, j'étais contente. Je me suis dit "Ca y est, j'y suis".

Les spectateurs ont vraiment l'impression d'être avec nous là-haut

A 49 ans, vous semblez toujours aussi passionnée. Qu'est-ce qui continue à vous motiver ?

J'adore le jeu avec la roche. C'est un jeu tactique. Et puis, l'escalade, je connais ça depuis toujours. La roche pour moi, c'est un moment de vacances. Quand j'y suis, je suis contente d'être là. Cela fait partie de moi.

A côté de l'escalade, quelles sont vos autres activités ?

Je m'occupe de mon fils. Je fais aussi beaucoup de conférences en entreprise, où je partage avec les gens ma passion pour la montagne et leur explique comment je m'y prends pour réaliser une ascension. Cela me plaît beaucoup et le retour des participants est particulièrement positif. Ils viennent me voir à la fin de la conférence pour me dire qu'ils ont aimé cet échange. Et puis sinon, j'écris un peu aussi.

Que dire pour inciter les gens à aller voir "Au-delà des Cimes" ?

Les spectateurs du film voient la montagne de plus près, ce qui s'y passe en réalité. Ils ont vraiment l'impression d'être avec nous là-haut. Je n'ai pas vu tous les films qui ont été réalisés sur la montagne, mais "Au-delà des Cimes" semble être celui qui traduit le plus cette impression. C'est en tout cas ce que nous disent les gens qui ont vu le film.