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20/09/2006
Serge Girard : "Tout le monde peut faire Paris-Tokyo en courant"
Comment vous est venue cette idée folle de traverser tous les continents en courant ? Serge Girard : En lisant un roman : "La grande course de Flanagan", qui retrace la première traversée des USA en courant, en 1928, entre Los Angeles et New York.
Les 5 ! Mais la dernière traversée (entre Paris et Tokyo) est quand même celle qui m'a le plus marquée, car elle a été plus longue. On a traversé 19 pays et comme je suis un passionné, plus ça dure, meilleur c'est.
Préparation physique : j'ai couru environ 80 km tous les deux jours avant le départ. Préparation psychologique : j'ai eu recours à la sophrologie.
Le plus dur, c'est le chaud puisqu'on ne peut rien faire contre. Une fois qu'on a enlevé tous les vêtements... On peut en revanche se protéger du froid avec des vêtements prévus pour. Mais le plus difficile a été le taux d'humidité très élevé au Japon (86 %). C'était presque comme courir dans l'eau !
Les vitesses ont varié entre 7 et 10 km/h. Cela dépendait bien sûr du profil de l'étape, de la température et aussi du vent car on a connu des vents à plus de 100 km/h.
A quoi pensiez-vous lorsque vous courriez pendant 10 heures ? Question difficile... Je pensais à beaucoup de choses. En tant que père de famille : à mes enfants mais aussi à mes parents, à mes futurs projets. Et puis je suis un passionné de mathématiques alors je m'amusais à calculer des racines cubiques ou des fonctions primitives de fonctions dérivées !
Les ravitaillements se faisaient tous les 4 km, en liquide et en solide. Je prenais une minute de marche pour m'alimenter.
Oui, il y a eu en tout 21 personnes qui se sont relayées. Les équipes étaient composées de 4 à 6 personnes et nous avions entre deux et trois véhicules suiveurs.
Pas de pathologies particulières. Aucune ampoule, quelques débuts de tendinite, une côte fêlée lors d'une chute, mais rien de grave...
Le jour du départ ! Le plus mauvais, c'est le jour de l'arrivée, parce que tout s'arrête. Il faut revenir à la vie moderne et ce n'est pas forcément ce que je préfère.
Pour la deuxième partie de course : lever à 3h30, début de la course à 4 h, 11 heures de course par jour, repas du soir, douche, massages et 9 heures de sommeil. Une vie de "moine" !
Pour la moitié de la course, dans le camping car, l'autre moitié dans les hôtels.
Rien. Finalement, c'est cette vie de nomade que j'aime. Et c'est quand je suis de retour à la maison que la vie nomade me manque.
Comment vos proches ont-ils vécu cette course ? Etaient-ils inquiets ? Oui, ma maman était inquiète, comme toutes les mères... Mes enfants ont partagé l'aventure avec moi via le Net, excepté Thomas (mon 2e fils), qui est venu en tant que suiveur pendant 4 semaines. Et mes deux autres garçons, Sébastien et Nicolas, étaient présents à Tokyo à l'arrivée.
Une seule qualité pour moi : avoir envie. Car c'est 90 % de mental et 10 % de physique. Comme beaucoup de choses dans la vie, il suffit de vouloir quelque chose pour arriver à ses fins.
Sur les 19 pays, la Turquie, l'Iran et le Japon m'ont énormément marqué. La Turquie et l'Iran essentiellement pour l'hospitalité et la gentillesse des gens. Le Japon pour le grand respect de ce type d'effort.
La rencontre avec un groupe d'enfants en Turquie. Ces derniers partaient à l'école à pied, environ 2 km, et nous avons partagé un bout de route ensemble.
Essentiellement par les sponsors. Cependant, sur certaines traversées, j'ai été obligé d'autofinancer une partie de la course.
Je vais bien. Je continue de courir chaque jour et, pour l'instant, je ne grossis pas trop. J'ai besoin d'aller courir chaque jour, c'est comme une drogue.
La montre Garmin m'a permis d'enregistrer toutes les données pendant 9 mois : altitude, pulsations cardiaques, calories nécessaires chaque jour, distance parcourue, vitesse... Je vais vous décevoir car je suis venu à L'Internaute en voiture et je vais repartir en voiture...
Combien de paires de chaussures avez-vous utilisé ? Mizuno a fabriqué 50 paires de chaussures pour l'évènement. J'en ai réellement utilisé 30. Je peux donc encore courir un petit moment avec les 20 paires qu'il me reste.
Nous n'avons pas attiré les foules. D'ailleurs nous préférons la discrétion, et moi-même j'adore la solitude sur mon "ruban d'asphalte".
Non, jamais. Par contre, il y a eu des jours où j'avais l'idée de ne faire que 40 ou 50 km. Heureusement, l'équipe était là pour me motiver afin de garder la moyenne supérieure à 73 km par jour.
C'est Laure, ma compagne, qui est kinésithérapeute, qui me massait. J'ai donc su joindre l'utile à l'agréable !
L'Antarctique a été abandonné pour des raisons techniques (trop difficile de courir sur la glace, à moins d'être un manchot). Je vais donc rester sur un rêve d'enfant : faire le premier tour du monde en courant, sans un seul jour de repos. Cela sera mon challenge Vendée Globe sur la terre.
Quelles étaient les conditions à respecter pour que votre record de la course la plus longue soit validé ? La plus importante : aucun jour de repos.
J'ai commencé à l'âge de 30 ans. Et j'ai fait mes premières courses de grand fond à 40 ans.
Peut-être pas sur des 20 km ou des marathons, parce que je suis trop lent, vous seriez loin devant moi ! Mais plutôt sur des courses comme l'Ultra trail du Mont-blanc [158 km autour de la montagne]. Finalement, je me suis aussi aperçu que j'aimais énormément la solitude, et j'ai de plus en plus de mal à courir en groupe.
Je n'ai pas de sang vert dans les veines, je ne viens pas d'une autre planète... Je suis le commun des mortels et, en faisant ces traversées, j'ai simplement voulu montrer que tout le monde pouvait le faire. Enfin, ceux qui ont vraiment envie de le faire. Rien n'est impossible pour l'être humain, il n'y a rien de plus fort que la volonté de l'homme.
Je pense que 30 ans c'est l'âge moyen des gens qui viennent à la course à pied. Pour moi, c'est le bon âge car il faut une certaine forme d'humilité, de patience, que l'on n'a pas forcément à 20 ans. Ceci n'empêche pas les gens de 20 ans de pratiquer la course à pied !
Le mur, pour moi, a souvent été proche des 55-60 km sur une journée de 75 km. Et c'est là où le mental joue à 150 %.
L'envie d'aller au bout de ce défi est la principale motivation. Pour moi bien sûr, mais aussi pour toute l'équipe qui m'assiste. Et puis souvent, je pense à tous ces coureurs qui m'adressent des messages en me disant "On aimerait tant être à ta place". Je sais que je suis un privilégié et juste pour cela, je n'ai pas le droit d'abandonner. D'ailleurs, il y a une phrase que j'aime beaucoup, je ne sais pas de qui elle est : "Dans toute tentative, il n'y a jamais d'échec, il n'y a que des abandons".
D'autres sportifs ont-ils tenté l'expérience avant vous ? Sur Paris-Tokyo, non. Mais sur la traversée des USA et de l'Australie, oui.
C'est curieux parce que nous avons fait une longue interview avec une radio colombienne avant mon départ, et j'aimerais vraiment courir la Colombie. C'est certainement un des plus beaux pays du monde.
Oui, bien sûr. AGF est un des deux sponsors principaux. Ce ne sont pas encore mes anciens collègues, du moins je l'espère ! [Serge est encore salarié par AGF]. Ils me voient pour certains comme un illuminé, pour d'autres comme un modèle.
Plus on s'éloigne du monde moderne, plus on retrouve présentes les valeurs humaines telles que l'hospitalité, la convivialité, la gentillesse. Je crains que le modernisme effréné que l'on vit depuis 150 ans ne se fasse au détriment de ces valeurs qui sont la base de l'humanité.
Finalement, je ne sais pas si je reviens vraiment à la vie "normale". Car quand j'ai passé la ligne d'arrivée à Tokyo et qu'à 50 mètres de celle-ci, je voyais inscrit "Finish line", je savais que de l'autre côté de cette inscription, il y avait écrit "Ici commence le nouveau projet". Finalement, je suis toujours dans mon monde. Soit je cours, soit je prépare l'évènement futur.
Budget total : 400 000 euros. Financé principalement par AGF et Mizuno, et par d'autres partenaires tels que la ville du Havre, Delage Expansion et Garmin.
Les "produits dérivés" de vos formidables exploits permettent-ils de vivre? Ou les sponsors financent-ils votre vie "hors course" aussi ? Les produits dérivés ne me permettent pas de vivre. J'ai besoin du soutien de mes partenaires.
Gros débat : j'ai pris comme ligne de conduite de ne pas me servir de telles associations pour augmenter ma médiatisation. Je préfère intervenir discrètement et personnellement auprès de certaines associations.
Une réponse de Normand : oui et non. Oui, parce que les budgets des courses sont élevés. Non parce que je n'ai pas la prétention d'avoir les capacités physiques suffisantes pour être "professionnel".
Le but de mon voyage est très égoïste : trouver du plaisir dans la course que j'entreprends, toujours ce goût de l'effort. Il est vrai que tout le monde ne comprend pas ou n'admet pas cette démarche. Les rencontres que j'ai pu faire lors de cette traversée ont été des rencontres très simples mais très fortes et je n'ai pas eu besoin d'expliquer ce que je faisais.
Je ne suis pas au courant. D'ailleurs, je ne porte jamais de parfum... Mais je suis très flatté.
L'idée générale serait de partir de Tokyo, de passer par Los Angeles, New York, Londres, Paris, Moscou, Vladivostok, Sapporo, et d'arriver à Tokyo. Environ 24 000 km, durée : 365 jours.
La souffrance, c'est quelque chose de subi. Moi, je ne souffre pas car je suis volontaire. Bien sûr, il y a des maux mais tout cela n'est rien par rapport à certaines maladies ou handicaps contre lesquels des personnes doivent lutter une vie entière. Et souvent, je m'inspire du courage de ces gens dans les moments difficiles.
Pourquoi avoir choisi le Japon? Pour des raisons de sponsoring d'abord. Mais après avoir passé 8 semaines au Japon et parcouru près de 4 000 km, ce pays restera définitivement un des plus beaux souvenirs de ma vie, tant l'accueil de la population et le respect de ce type d'effort ont été grands.
Il est vrai que les avions ne mettent que 12 heures. Moi j'ai mis 8 mois et demi. Mais c'est tellement plus beau en bas qu'en haut...
"Le marin des continents". Lorsque j'étais enfant, je voulais être marin. Je rêvais de traverser les océans, et finalement je traverse les continents. Je suis l'homme le plus heureux du monde.
Serge Girard : Je vais citer une interrogation de Freud. "Et si la Terre était l'enfer d'une autre planète ?" Je crois qu'après avoir traversé tous les continents, je peux vous assurer que la Terre est certainement le paradis pour toutes les autres planètes. Cette Terre est si belle, les gens rencontrés sont si pacifiques, si hospitaliers qu'il faut de temps en temps le dire car bien trop souvent on montre la planète et les humains sous un côté négatif. Mais sachez que le contraire existe. Pour connaître les dates des conférences et les projections du film, vous pouvez vous connecter sur le site www.sergegirard.com Toutes les dates seront en ligne d'ici un mois. Merci, à bientôt !
En savoir plus : la présentation de Serge Girard
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