Sébastien Fleuriel "Imaginer qu'il existe un gène du sport est une absurdité"

Comment expliquer que certaines familles engendrent des générations successives de champions ? Sébastien Fleuriel, sociologue au CERAPS (CNRS) à l'Université de Lille 2, nous éclaire sur le sujet.

L'Internaute Magazine : Le facteur héréditaire peut-il expliquer que de grands champions soient nés dans même famille ?

Sébastien Fleuriel : Imaginer qu'il existe un gène du tennis, du basket, ou du sport plus généralement, est d'une grande absurdité. Un gène n'est rien en soi, il ne s'exprime que dans un environnement qui dépend tout autant de données naturelles que de la réalité sociale.

Concrètement, quel rôle joue l'environnement social ?

La notoriété sportive ressemble à un trésor familial

Dans les familles dites sportives, cet environnement se caractérise par la mise en valeur d'une véritable notoriété sportive composée de titres, performances, exploits... qui fondent la réputation sportive de la famille. Dans le jargon sociologique, on parle de "capital sportif" qui s'accumule, se transmet, s'hérite. Ce capital peut donc donner lieu à des stratégies de reproduction et de transmission.

Pour reprendre une image, la notoriété sportive ressemble à une sorte de trésor familial, qu'on peut soit remiser au grenier, soit entretenir et valoriser.

Comment ce "trésor familial" atteint-il les enfants de sportifs ?

Nos travaux montrent que les anciens sportifs conservent farouchement leurs coupes, médailles, mais aussi documentaires, reportages, revues de presse, vieux maillots... Si ces trophées ne sont pas forcément exposés dans le séjour, ils restent présents, dans un carton, à la cave, chez les parents. En bref, ils sont là, et bien là. Que les enfants continuent, ou au contraire s'affranchissent, de ce patrimoine sportif, ils sont dans tous les cas "condamnés" à se positionner par rapport à celui-ci. Ils sont et seront toujours enfants de sportifs renommés comme on reste définitivement enfant d'artiste connu.

Est-il plus facile de devenir un grand champion quand on a un père ou une mère qui a été sportif au plus haut niveau ?

Les enfants de sportifs sont condamnés à se positionner par rapport à leurs parents

Quand l'enfant reprend à son compte ce capital sportif, il se trouve considérablement avantagé par rapport à un sportif "ordinaire" : l'héritage dont il bénéficie permet de mieux comprendre le monde sportif dans lequel il doit évoluer. A la manière des enfants d'enseignants qui réussissent mieux au plan scolaire parce qu'ils comprennent plus rapidement ce que l'école attend d'eux, parce qu'ils s'orientent mieux dans le dédale des formations... les enfants de sportifs anticipent mieux les exigences du monde sportif. Ils savent d'emblée, avec l'aide de leur parent sportif, quel club, quel entraîneur, quelle structure, quel médecin leur seront le plus utile pour réussir.

Le nom de famille a-t-il une quelconque influence sur le parcours des jeunes champions ? 

Il sert souvent, comme chez les artistes, de marque de fabrique qui facilite l'ouverture de certaines portes (sélections nationales, recrutements, etc.) sur un marché sportif par définition fortement concurrentiel. Autrement dit, à compétences sportives égales, rien n'exclut qu'un enfant de sportif ait sérieusement plus de chances d'être remarqué qu'un autre. La preuve en est que les médias s'intéressent à eux plus qu'aux autres !

 En savoir plus : Le site personnel de Sébastien Fleuriel

 Le site du CERAPS de Lille

"Le sport de haut niveau en France. Sociologie d'une catégorie de pensée"

Par Sébastien Fleuriel
95 pages, Presses Universitaires de Grenoble

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