Serge Simon : "La mêlée est une expérience sensorielle étonnante"

L'ancien international de rugby vient de publier un essai baptisé "La mêlée". Serge Simon invite le lecteur à prendre la place du pilier pour découvrir ce qui se passe sous cette "carapace". Il a répondu à vos questions lors d'un chat.

Serge Simon est un homme aux multiples facettes. Né le 3 juillet 1967, il a évolué au poste de pilier. Sélectionné plusieurs fois en équipe de France, il a été champion de France en 1991 avec Bègles puis en 1998 avec le Stade Français. Médecin de formation, il est désormais consultant rugby pour différents médias et écrivain.

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Serge Simon © Cécile Genest / L'Internaute Magazine

La mêlée, ça mérite vraiment un livre ? Qu'est ce vous avez écrit là-dessus ?
Serge Simon :
Tu as raison, je suis le premier surpris du résultat. L'idée de départ, ou plutôt le pari, était de raconter dans ses moindres détails tout ce qui pouvait se passer et être ressenti dans cette antre... Etiré sur 80 pages, cela donne le bouquin.


Votre livre, c'est une explication technique de la mêlée ou un roman ?
Absolument pas une explication technique... Roman est un peu fort pour un texte de 80 pages. L'éditeur qualifie l'ouvrage d'Essai littéraire.
 

Comment on passe du rugby à l'écriture? C'est quelque chose qui vous a toujours attiré la littérature ?
En fait, j'ai toujours écrit. Depuis l'arrêt de ma carrière, l'écriture a pris petit à petit une place dans ma vie professionnelle. Tout d'abord par des chroniques dans les journaux puis par des ouvrages...
 

"La mêlée, c'est la nécessité de se lier à l'autre, de se fondre dans l'autre, de devenir le membre d'un étrange animal"

J'ai feuilleté les premières pages de votre bouquin. Le début me paraît très sensuel. Vous utilisez beaucoup de termes sensuels pour décrire une mêlée !
Tout à fait. La mêlée est avant tout une expérience sensorielle étonnante où les corps s'entrelacent étonnement. Cette dimension physique, je tenais à la retranscrire le plus intensément possible.
 

Pourquoi vous aimez tant la mêlée ? Pourquoi cette action là plus que les autres? Moi je trouve qu'une course de 3/4 est plus belle qu'une mêlée !
La mêlée est bien plus qu'une simple phase technique. C'est une expérience à multiples facettes. La plus grande d'entre elles est certainement la nécessité de se LIER à l'autre, de se fondre dans l'autre, de devenir le membre d'un étrange animal. Cela correspond à une métamorphose physique de chacun des participants, je voulais décrire cet aspect qui dépasse de loin et la technique et le spectaculaire...
 

Avez-vous eu des retours de rugbymen concernant votre livre ?
Oui, de nombreux. Ils sont très heureux.

Le poste de pilier est souvent dévalorisé. D'ailleurs, il n'y a plus de jeunes qui veulent occuper ce poste. Que diriez-vous pour les convaincre ?
Lisez le livre...

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Serge Simon © L'Internaute Magazine

Ce n'est pas dangereux l'entrée en mêlée ? Moi, ça m'impressionne toujours !
Le Rugby est un sport de combat. Le danger est inhérent à la pratique. La mêlée est une des phases de combat les plus violentes. Le rapport au danger est fondamentale dans la culture de notre sport. Nous sommes le seul sport de combat collectif... Cette dimension qui nous fait affronter la peur ensemble est certainement le terreau de notre culture.

J'aime bien votre démarche. Les avants sont trop souvent pris pour des "billes", alors que la mêlée est une action très exigeante. Vous avez déjà songé à être entraîneur des avants dans un club ?
Non jamais, je n'ai pas le profil... Etre entraîneur exige de nombreuses qualités, et de nombreux défauts que je n'ai pas.

Une question que je me suis toujours posée : pilier droit et pilier gauche, c'est pareil ? Ils ont la même fonction ?
Non, absolument pas ! Je vous renvoie à l'ouvrage. Ce sont deux mondes, deux cultures différentes. L'un est un pilier de la lumière, de l'ouverture, un pilier solaire (le gaucher) ; et l'autre est un pilier de "l'en-bas", de la fermeture...

Est-ce qu'il y a une "rivalité" ou une différence de points de vue entre les avants et les arrières dans une équipe ?
Bien sûr, les avants et les arrières sont comme chiens et chats dans une équipe. Les avants revendiquent la force, le courage, la virilité, les arrières revendiquent la vitesse, la légèreté, l'intelligence... Cette gentille opposition façonne des rapports extrêmement drôles dans les équipes de rugby.

En tant que fille, je me suis toujours demandée s'il n'y avait un peu de "tripotage" lors de la mêlée, que ce soit pour s'amuser ou déstabiliser l'adversaire ?
Il y a bien plus que du tripotage sous la mêlée. Nous nous enlaçons corps et âmes...
 

Que dit-on à son homologue d'en face dans une mêlée ?
Certains piliers sont taiseux (la plupart), d'autres sont bavards. Ceux-là cherchent le bon mot, la pique qui déstabilisera, achèvera l'adversaire. Une célèbre fut dite à un pilier qui reculait abondamment sur toutes les mêlées : "Donnes-nous ton adresse, on va te déposer !"... Cruel non ?

Quel est votre meilleur souvenir de rugbyman : le titre de champion de France, les matchs en équipe de France ?
Les deux titres de champions de France. Le titre est l'histoire d'un groupe d'hommes qui s'étire sur plusieurs mois, voire pour moi, sur plusieurs années. La consécration de ces parcours est toujours beaucoup plus profonde que les sélections, fussent-elles nationales. En tous les cas à mon sens.

Est-ce que ça vous gêne que la première ligne soit appelée "les gros" ?
Non, c'est affectueux chez nous...

"Les avants revendiquent la force, le courage, la virilité, les arrières revendiquent la vitesse, la légèreté, l'intelligence..."


Quand et comment avez-vous commencé le rugby ? C'est vous qui avez voulu jouer au poste d'avant ou on vous l'a imposé ?
J'ai joué au rugby par défaut. Je faisais du foot. J'étais trop gros et très maladroit. Je faisais mal à tout le monde. Mon instit, un Narbonnais, m'a dit : "Je crois que j'ai un sport pour toi". C'était le rugby. Pilier, je ne l'ai pas choisi. J'étais troisième ligne. Médiocre. Ma seule chance de pouvoir percer était d'essayer et de réussir à ce poste. Heureusement, ça a marché et surtout c'est devenu une histoire d'amour...
 

Est-il difficile de souder les membres d'une mêlée en équipe de France alors que les joueurs sont habituellement adversaires en club ?
Ce n'est pas difficile mais cela demande du temps. C'est pour cela qu'il faut construire une politique de sélection sur un minimum de continuité pour laisser le temps aux indispensables liens de se créer entre les hommes.
 

Vous vous êtes déjà fait mal sur une mêlée ?
Oui mais jamais gravement. Si, une fois je me suis rompu le tendon d'Achille, à l'entraînement !
 

Dans quel club auriez-vous aimé jouer ?
J'ai un regret : ne pas avoir plus joué à l'étranger. Si c'était à refaire (phrase idiote), le rugby serait mon passeport pour découvrir le monde (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Nouvelle-Zélande, etc.)
 

Est-ce qu'il y a 1 ou 2 joueurs en particulier que vous n'aimiez pas rencontrer ? Ou même que vous détestiez ?
Non, je ne détestais personne. Des joueurs que je n'aimais pas joué, il y en a plein : tous ceux qui courraient beaucoup plus vite que moi et que je n'arrivais jamais à attraper !
 

Pour vous, quel est le club français qui propose le plus beau jeu dans le Top 14 ?
Toulouse et Clermont ont les jeux les plus spectaculaires en ce moment.
 

Qui sont vos meilleurs potes dans le rugby ?
Vincent Moscato, que je vais voir ce soir au théâtre, et quelques autres joueurs de l'équipe de Bègles de 91 et du Stade Français de 98 (Dominici, Lombard, Blond...)
 

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Serge Simon a gagné deux titres de champion de France © L'Internaute Magazine

C'est quoi le match qui vous a le plus marqué ?
Le Toulon-Bègles de 91. Tapez cela dans un moteur de recherche et vous aurez un petit aperçu de ce match incroyablement dur.

Avez-vous un "chouchou" parmi les joueurs de l'équipe de France actuelle ?
Nallet. Je trouve que c'est un joueur brave qui donne un assez beau reflet du joueur de rugby.


Que pensez-vous de la politique d'ouverture de Marc Lièvremont ?
Je trouve que c'est intéressant à bien des égards... mais pas en Equipe de France. Je l'ai dit et écrit : il y a des côtés positifs mais au détriment de la valeur symbolique de la sélection nationale qui, à terme, posera des problèmes.


La mêlée du XV de France a eu beaucoup de difficultés pendant le Tournoi des VI Nations. Pourquoi d'après vous? Comment peut-on expliquer qu'on se fasse dominer de cette façon en mêlée par toutes les équipes ? Question de positionnement ou de force pure ?
On n'a pas pris les joueurs les plus expérimentés et les plus forts. On a l'impression que l'on met des joueurs pour les "tester". L'équipe de France n'est pas un laboratoire, mais un aboutissement.


Votre pronostic pour Pays de Galles - France (du 15 mars, ndlr) ?
Ce sera très difficile de gagner et encore plus dur avec 20 points d'écart !


Selon vous, quelle est la 1ère ligne idéale en équipe de France aujourd'hui ?
Marconnet, Szarzewski, Mas et quand Milloud reviendra : Milloud, Szarzewski, Marconnet
 

Ça vous a plu de commenter la Coupe du monde de rugby ?
En 2003, ce fut vraiment une super expérience sur France Télévision. En 2007, je ne puis pas dire que ce fut aussi riche et aussi drôle avec TF1...
 

Je vous aime bien monsieur Simon mais pendant le Mondial de rugby, vous avez un peu "déconné" en disant que les Portugais ne savaient que faire de la maçonnerie. Vous regrettez ces propos ?
Vous vous trompez. Ce n'est pas moi qui ait dit cela.

Vous vous considérez plus comme un consultant rugby, un écrivain, un médecin... ?
Un homme d'ici et d'ailleurs...
 

"Toulouse et Clermont ont les jeux les plus spectaculaires en ce moment"

Vous exercez toujours en tant que médecin ?
Oui, je suis le chef d'un service que j'ai créé en 2000 et qui s'occupe des sportifs en difficulté psychologique. A Bordeaux, au CHU.
 

Ce n'est pas trop dur de se reconvertir après une carrière dans le rugby ?
Pas pour ma génération. Nous étions à 80 % pluriactifs, comprenez avec une activité à côté (étudiant, boulot...)
 

Envisagez-vous une fonction fédérale pour aider dans la construction de la future équipe de France pour l'échéance de 2011 ?
Non. J'ai donné 6 ans de ma vie à l'institutionnel en créant et en développant le syndicat des joueurs. Cela me suffit. Je préfère rester en dehors et libre.

Est-ce qu'en dehors du rugby, vous avez un faible pour d'autres sports ?
A pratiquer : la voile, le squash. A regarder aucun. Je ne suis pas un spectateur.

Aviez-vous un rituel, une habitude ou une superstition avant de vous lancer dans une mêlée ?
Non, aucun.
 

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Serge Simon n'est pas convaincu par la politique d'ouverture de Marc Lièvremont en équipe de France © L'Internaute Magazine

Est-ce que vous vous entraînez toujours ? Si oui, où ça ?
Non, malheureusement mon corps est assez abîmé. J'essaye de préserver du naufrage ce qui peut l'être !
 

Votre joueur favori de tous les temps ?
JPR Williams : arrière de la grande équipe du Pays de Galles au look incroyable, et chirurgien.


De nouvelles règles sont en expérimentation dans le championnat dans le Super 14, dans l'hémisphère sud. Avez-vous déjà un retour ? Est-ce positif pour le jeu ?
Non, je n'ai que quelques infos imprécises qui pour le moment ne semblent pas très convaincantes. Mais attendons...
 

Serge Simon : Si je devais trouver un argument pour lire "La Mêlée", je dirais que c'est l'occasion unique de voyager au cœur d'un des derniers mystères de l'humanité avec les statues de l'Ile de Pâques et le Triangle des Bermudes !