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VOYAGEUR
 
06/10/2006

"Chaque voyage que je fais est un pèlerinage"

Journaliste, passionnée de culture étrangère, historienne et architecte de formation, Ariane Wilson est l'auteur du Pèlerinage des 88 temples. Elle a accepté de répondre aux questions de L'Internaute concernant son périple à pieds sur les chemins sacrés du Japon.

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Comme son titre l'indique, votre livre raconte le pèlerinage reliant 88 temples que vous avez effectué sur l'île de Shikoku. Que représente-t-il dans la religion japonaise ?

Ariane Wilson L'île de Shikoku, nichée au sud-ouest de la grande île de Honshu, doit sa notoriété au pèlerinage qui l'encercle. Il consiste à rallier 88 temples associés selon la légende au saint Kûkai. Au IXème siècle, ce riche natif de l'île, devenu ermite de montagne puis prêtre itinérant, s'initia en Chine au bouddhisme ésotérique. Il fonda à son retour l'école bouddhique Shingon et gagna l'affection du peuple et de l'empereur par ses dons de pédagogue, de lexicographe, d'ingénieur, de thaumaturge (qui fait des miracles)… Un culte se développa autour de sa personne, et peu à peu, sur ses pas historiques comme mythiques, se dessina l'itinéraire du pèlerinage, intégrant au passage les hauts lieux d'autres croyances au croisement du shintoïsme, du bouddhisme et du shugendô (tradition syncrétique d'ascétisme de montagne au Japon qui influença le développement de pèlerinages).

Photo © Ariane Wilson

Le chemin décrit une boucle de 1400km autour de l'île, traversant villages, villes et odieuses périphéries, longeant la côte ou gravissant des montagnes. Les arbres et les rochers, les grottes et les sources, les cimes et la mer, infus de mémoire légendaire, sont tout aussi sacrés que les 88 temples répartis le long du circuit, parfois regroupés, parfois distants les uns des autres. Au bord de la route, des mains moussues sculptées dans la pierre indiquent la direction à prendre jusqu'au prochain temple. Les pèlerins, accompagnés du bâton qui personnifie le saint, cheminent ainsi toujours à ses côtés.

Arrivés aux temples, ils lavent le pied du bâton, se nettoient les mains et la bouche et progressent ensuite de pavillon en pavillon. Devant chaque autel, ils allument de l'encens, frappent un petit gong, déposent offrandes et voeux, récitent des incantations à l'intention de la divinité principale du temple et une série de prières - identique à chaque halte - pour célébrer Kûkai. Aujourd'hui, les nombreux pèlerins entreprennent le parcours d'une traite ou par sections, en autocar, en voyage organisé, en voiture, en taxi, en troupeau, en couple ou seuls. Ceux qui choisissent la marche sont peu nombreux, mais ils incarnent le souvenir des premiers moines errants qui foulèrent ce chemin. Les henro, - c'est ainsi que l'on désigne les pèlerins de Shikoku mais aussi le chemin lui-même, pèlerins et chemin ne faisant qu'un - sont soignés comme des incarnations de Kûkai. Le settai, offrande faite au pèlerin, est une pratique restée vivace à Shikoku.

Les motifs des pèlerins varient : la vénération de Kûkai, une quête spirituelle, un objectif à atteindre, un chagrin à réconforter, une maladie à guérir, un deuil à traverser, un proche à honorer, une intention vague qui cherche à se définir. Il ne faut pas nécessairement être adepte du Shingon pour entreprendre le pèlerinage : au Japon, en général, la religion est non-sectaire, et la foi en Kûkai dépasse les appartenances à telle ou telle école bouddhique. Le pèlerinage de Shikoku fut longtemps une affaire de vieux. Mais les jeunes se font de plus en plus nombreux sur ses chemins. Ils escomptent obtenir quelque perfectionnement moral ou psychologique, quelque inspiration pour leur vie future. Ils reflètent peut-être les craintes nées des bouleversements de la société japonaise depuis la récession économique. Le pèlerinage de Shikoku a toujours été plus populaire que les autres grands pèlerinages du Japon. Il concerne toutes les classes sociales et laisse à voir une facette peu connue du Japon, le monde des marginaux : des malades, des mendiants, des exclus et des "renonçants" dédient leur vie à tourner autour de son tracé.

Aujourd'hui encore perdure une tradition de recommencement. Nous avons rencontré une femme parfaitement francophone, interprète pour une grande entreprise japonaise en Tunisie, qui venait de rencontrer sur les chemins son futur mari. Tous deux avaient décidé de quitter leurs vies passées et d'en commencer une nouvelle, en pèlerins éternels, répétant à l'infini la boucle des 88 temples.


Photo © Ariane Wilson

Pourquoi, en tant qu'occidentale, entreprendre ce pèlerinage ?

Ariane Wilson Chaque voyage que je fais est en quelque sorte un pèlerinage, surtout s'il implique la marche et un effort soutenu. Il entraîne une transformation de soi, une quête, une prise de distance que les pèlerins japonais appellent "mort au monde". Je n'ai pas fait ce pèlerinage par appartenance à sa tradition religieuse, bien que le bouddhisme en tant que philosophie soit une école de vie qui m'intéresse beaucoup. Je l'ai fait par ce que le Japon, où j'avais travaillé une année, sept ans avant ce voyage, me fascine par ses aspects traditionnels mais aussi modernes. Parce que l'esthétique japonaise est pleine de cette notion de l'éphémère qui correspond a ma sensibilité artistique. Parce que j'imaginais y trouver terrain propice à expérimenter un objet habitable, un abri onirique qu'en tant qu'architecte un peu rêveuse je souhaitais mettre en vie, parce que les premiers moines errants qui foulèrent ce chemin dormaient sur un "oreiller d'herbe", selon cette belle formule de la littérature japonaise, synonyme de voyage et de nuits à la belle étoile, de dénuement, de simplicité et de rapprochement de la nature. L'attachement au Japon, la curiosité pour sa culture religieuse et le goût pour sa culture artistique d'une part, l'idée de l'abri d'autre part sont nés séparément, se sont rejoints.


Vous semblez attacher une grande importance à votre abri de fortune. Pour quelles raisons ?

Ariane Wilson Je souhaitais exprimer l'idéal de "l'oreiller d'herbe" dans un objet qui servirait d'abri tout au long d'une marche : un habitacle fugace, nomade, mais ancré le temps d'une nuit par une correspondance délicate avec son environnement. Cette idée était empreinte d'une esthétique toute japonaise de l'éphémère, célébrant l'impermanent, le provisoire, le périssable. J'imaginais l'abri sans cesse changeant, à l'aspect délicat, aérien, presque immatériel. Un minimum vital, donc, mais un minimum vital empreint de rêve. J'ai conçu l'abri avec une amie, Aude Lerpinière, qui a entrepris avec moi le pèlerinage. Au gré de nombreuses esquisses, nous avons imaginé une peau qui tiendrait toute seule, sans structure supplémentaire, qui prendrait autant de formes qu'il y aurait de nuitées et qui servirait de support d'écriture.

Son aspect et la manière dont nous imaginions le mettre en forme étaient une réinterprétation de certaines traditions liées au pèlerinage de Shikoku. Il serait blanc, car les pèlerins de Shikoku sont vêtus tout de blanc, symbolisant la mort du pèlerin au monde. Il pourrait être marqué d'écritures : à chaque temple, les pèlerins récoltent dans un carnet un sceau rouge et des calligraphies signifiant les noms du sanctuaire et de sa divinité bouddhique - en guise de page blanche, nous présenterions la surface de notre abri, marquée ainsi par l'empreinte de chaque étape comme une fresque mouvante de notre progression mentale et géographique. Les pèlerins, enfin, déposent à chaque autel de fines bandes de papier nommées fuda pour faire part de leurs vœux et indiquer leur passage. Nous laisserions quant à nous un petit morceau de tissu découpé dans notre abri, la mue naturelle de notre métamorphose. Un grillage métallique, une couche de textile servant à fabriquer des vêtements de travail, un filet pour banderoles publicitaires, du fil et des aiguilles : avec des moyens de fortune et des matériaux de pointe, nous avons élaboré cet abri à la fois léger et solide, facile à rapiécer, souple mais structurel, imperméable mais diaphane, flexible et versatile.

Photo © Ariane Wilson

Nous l'avons construit en l'éclair d'une semaine, plié en deux, roulé, enfilé dans un sac blanc et hissé sur nos épaules. Puis nous sommes parties avec pour baluchon ce cylindre long comme la cheminée d'un foyer nomade. De sentiers isolés en grandes routes, de baies maritimes en piton rocheux, de col en col, de forêts de bambous en jardins épurés, de rizières en vergers d'agrumes, de maisons de terre en commerces clinquants, nous avons foulé 1400 km en 55 jours, deux SDF au domicile mobile. L'abri s'est greffé au paysage comme un intrus insolite et adapté, un parasite respectueux, une appropriation sans trace, ajoutant une ondulation aux topographies ondulantes, une dune à la plage, un toit aux temples. Il s'est érigé en vague pétrifiée, suspendu en dais sacré, posé en coque fragile. Il a brillé comme une luciole repue, s'est froissé comme une boule de papier ou fermé comme un caillou.

Dans les jardins des temples, au creux des autels, au pied de statues divines, sur les plages, en face de gares, au bas de digues, dans des buissons de roses, à l'intérieur de cabanes ou dans des salons coquets, nous étions toujours chez nous, dans notre cocon opalescent. L'abri était l'espace de notre "mort au monde", cette absence du monde quotidien et profane que le pèlerin japonais exprime en tirant sur son corps l'écran d'un habit blanc. Sans aller jusqu'à revêtir ce costume, Aude et moi portions l'abri comme un signe de ce même retrait. Surtout, nous vivions cette mise à l'écart. Blotties dans l'abri, nous étions dans un étrange ailleurs. Un ailleurs dans l'ailleurs du pèlerinage, auquel nous donnions nous-même la forme. Un ailleurs apprivoisé dont le mystère nous appartenait. Hissé sur notre dos, en mouvement dans le paysage, installé pour la nuit, l'abri a été pour nous une marque identitaire qui symbolisait bien cette ambivalence : nous étions pèlerines, sans être tout à fait de la culture de ce pèlerinage japonais. Toutefois, en l'interprétant à notre manière, nous intégrions inconsciemment les traits universels de tout pèlerinage.

Par l'effort, par la marche, le pèlerin vit avec le corps des lieux sacrés et se transforme dans les intervalles qui les séparent. L'expérience de l'abri fut pour moi une intensification de ce phénomène : un enracinement provisoire en symbiose avec le lieu, un chez-moi nomade qui traduisait en espace muant mes métamorphoses intérieures. Le geste de façonner cet espace correspondait, comme un combat créateur, au façonnage de soi. Il y avait aussi dans la pratique de notre abri une dimension rituelle. La répétition du déballage, du montage, de la présentation aux temples équivalait pour nous à la répétition d'une incantation : un gestuaire aidant à la fixation mentale, chaque répétition étant l'étape d'une progression. Dans les calligraphies récoltées sur la toile de l'abri, nous saisissions la substance physique des temples ; par le morceau de tissu que nous y déposions, nous laissions un peu de nous-même dans chaque lieu pèlerin. Venir, agir, partir, et se transformer dans ce mouvement. Le pèlerin traverse le temps et l'espace comme il traverse la vie. Le rapprochement métaphorique entre pèlerinage et vie est bien connu : un passage éphémère que symbolisait notre abri.

 

D'après vos écrits, vous avez douté parfois de l'intérêt d'un tel pèlerinage. Avez-vous failli renoncer ?

 

Photo © Ariane Wilson

Ariane Wilson Aux premières étapes, ce cheminement m'a inspiré frustration et déception plutôt qu'un sentiment de complétude. Les pratiques religieuses de Shikoku me restaient étrangères : un bouddhisme ritualisé bien loin de la version plus éthérée qui m'attirait, le bouddhisme philosophique qui se propage à l'Occident. Il manquait au pèlerinage de Shikoku cette consistance transcendante et ce caractère solitaire que j'avais si bien éprouvés lors de ma traversée du Zanskar himalayen, accomplie en 2000 avec mon violoncelle sur le dos (Un Violoncelle sur le Toit du monde, Presses de la Renaissance, 2002). Je trouvais ce pèlerinage souvent trop urbain, trop peuplé et rendu trop sociable par la tradition du settai. Je me trompais : le spirituel est parfois moins désincarné… C'est la mise en forme de notre abri et la fidélité des "anges" rencontrés sur le chemin qui porta notre entreprise et nous insuffla l'esprit du henro. L'apparition fortuite mais toujours opportune de nos bienfaiteurs semblait relever de l'extraordinaire.

 

Quel rapport avez-vous gardé avec les personnes qui ont guidé vos pas et que vous surnommez vos "anges gardiens" ?

Ariane Wilson Notre ermitage mobile, refuge des scories du monde, fut aussi le prétexte de nombreuses rencontres. Pèlerins et habitants de Shikoku s'en étonnaient. Monté dans quelque temple de quartier, il surprenait les habitués venus offrir leurs prières matinales. Plutôt que de crier au sacrilège, ils nous apportaient le petit déjeuner ou nous parlaient du soleil et de la lune. Le fait que des étrangères épousent la tradition du henro, dormant à la belle étoile, émouvait d'autant plus les autochtones et nous avons été comblées de settai : les uns nous hélaient depuis leurs champs pour nous offrir des mandarines, les autres nous invitaient sous leur toit. Ainsi avons-nous pénétré les demeures de fermiers, de restaurateurs, d'employés de bureau, de prêtres, de professeurs et de veuves. Nous y montions notre abri comme nous le faisions à l'extérieur, marquant de notre griffe chaque territoire.

À travers les gestes de générosité qui nous étaient adressés ressortaient des personnalités attachantes qui nous léguaient une petite tranche de leur histoire. Un homme à une dent nous a suivies un temps comme un chien fidèle. Un vieux couple a cherché à nous retrouver dans chacune des quatre provinces de Shikoku, nous transmettant la sagesse de haïkus et nous quittant après chaque rencontre avec une énigme à résoudre. Un ami japonais, Shinji Yoshida, qui effectue le pèlerinage par fragments sur plusieurs années, a entrepris plusieurs fois la traversée vers Shikoku pendant notre périple. Dans l'espoir que nous nous retrouvions, il laissait au pied des autels une trace de son passage : des petits bonshommes blancs en papier plié qu'il fabrique par milliers pour exprimer son identité. Ses Papersons devinrent le symbole de tous ces guides qui s'alignaient sur notre chemin et nous livrèrent le sens du pèlerinage.

Nous avons gardé contact avec certains de ces "anges" par une correspondance régulière. D'autres appartiennent à toutes les expériences de ces voyages qui étaient aussi fortes qu'elles étaient éphémères. Nous aimerions organiser la venue en France de Shinji Yoshida et de ses Papersons pour faire découvrir sa manière si délicate de s'exprimer.

 

Quel est votre meilleur souvenir ?

Ariane Wilson Il m'est très difficile d'en isoler un seul ! Je dirais que les souvenirs les plus forts qui me restent émanent d'une part des mise-en-scène de l'abri et d'autre part des rencontres faites sur le chemin. Le fait de vivre dans un espace différent chaque soir, façonné par ses propres mains, aiguisait nos sens et nous faisait percevoir les choses de manière toujours nouvelle. Je me souviendrai de Ryôzen-ji, le premier temple, où l'abri, à l'ombre de la pagode, ressemblait à un crustacé timide avec un unique signe cryptique sur sa queue, et de notre petite peur du temple vide où de petites flammes marquent à chaque autel la veille des divinités.

Photo © Ariane Wilson

Je me souviendrai de Ido-ji, dix-septième temple, où l'abri s'est échoué contre un rocher, entre une lanterne de pierre et un cerisier en deuil d'hiver. De l'antre de cette vague pétrifiée nous entendions danser les carpes de l'étang et contemplions le son figé de la grande cloche. De notre nuit devant la Gare De Nahari : les calligraphies étaient un peu comme des talismans qui chasseraient les mauvais esprits d'un lieu solitaire. D'une nuit de pluie violente. Le vent à la voix tantôt stridente, tantôt creuse, s'annonçait d'un point lointain, approchait en crescendo, prenait de côté l'abri puis l'embrassait dans un élan fougueux. Notre bulle laiteuse frémissait et résistait comme une Arche de Noë. De la lune que nous contemplions au travers le filet calligraphié de notre dais de nuit.

Des rencontres, je garde le souvenir de l'économie de paroles, de relations qui se nouaient par des gestes minimes d'une grande délicatesse, un regard, une manière de nous tendre une mandarine, de nous souhaiter bonne route. L'homme à une dent m'a ému par sa discrétion et sa présence muette et fidèle. Shinji Yoshida parlait peu, lui aussi, et pourtant nous avons noué une amitié extraordinaire avec lui, construite autour du langage symbolique de ses Papersons. Je garde en souvenir aussi le geste du petit garçon des Tani qui nous ont logé dans leur maison. Il a voulu dormir près de nous. Muni de sa mappe-monde en plastique bleu et de son duvet, il s'est fabriqué lui aussi un abri de vagabond, le regard perdu dans des mers lointaines.

 

Que vous a apporté cette expérience ? A-t-elle changée votre regard sur la vie moderne ?

Ariane Wilson Sur les chemins de Shikoku, l'on n'échappe pas à la vie moderne. C'est bien ce qui m'a gêné, parfois, aux premières semaines de notre aventure. Il y a bien des incursions étonnantes dans un Japon rural d'autrefois avec ses maisons en terre et ses rizières, mais le retour aux grandes routes est inévitable. Il est difficile de se concentrer, parvenir à ce détachement auquel on aspire lorsque l'on part en pèlerinage sur ces voies rapides et laides. La marche lente, constante, quotidienne, sur 1 400 km est cependant, dans ce monde moderne, un rythme qui conduit au détachement. Dans le vaste mouvement circulaire de notre marche, peu à peu, nous nous sommes détachées des temps du monde. Les échelles se distordaient. Des bonsaïs alignés sur un gradin formaient une forêt contorsionnée, les plaqueminiers, une grande ourse de planètes oranges. Les stèles d'un cimetière devenaient les tours de Manhatten, un distributeur d'œufs frais les fenêtres d'un HLM et les sèches séchant, des cerfs-volants en papier de soie. Mais j'ai surtout appris qu'il ne fallait pas forcément chercher la solitude, l'isolement, en fuyant la "vie moderne", pour vivre pleinement les choses.

Le bouddhisme Shingon prêche que l'illumination est accessible dans tout geste quotidien, y compris le plus ordinaire dans le contexte le plus banal, qu'il faut se consacrer entièrement à chaque moment, chaque pas, chaque geste. Parallèlement à cela, j'ai appris aussi à me laisser conduire par les gens, à lâcher prise sur la conduite des évènements. La pratique du settai nous rendait presque esclaves de la générosité des gens, nous enlevait parfois la maîtrise de notre temps ou de nos plans. Le settai ne se refuse pas : si la nuitée vous est offerte en tant que settai vous ne pouvez tourner le dos à votre hôte et installer votre tente dans un verger idyllique. J'ai appris à me laisser guider par ces rencontres fortuites… ou peut-être pas si fortuites que cela.

Enfin, l'expérience de l'abri a été pour moi la réalisation d'une petite utopie personnelle. L'abri permettait d'être à la fois ancré et très libre, de faire sien un lieu en y exerçant une espèce d'alchimie de l'art. Comme lors du voyage que j'ai effectué dans l'Himalaya avec mon violoncelle, je garde de cette réalisation l'espoir que l'on peut se créer un environnement onirique dans tout contexte, qu'il est possible de vivre un idéal poétique. Pour cela, il faut rester vagabond au sein du monde moderne.

 

Photo © Ariane Wilson

Qu'avez-vous fait de votre abri recouvert de calligraphies japonaises ?

Ariane Wilson L'abri, vierge au premier jour, est devenu comme un vaste mandala symbole de notre progression. Des calligraphies flottent sur sa surface, des bosses des déchirures des tâches, des traces, racontent son aventure et contribuent à sa beauté. Roulé et emballé, il trône désormais chez Aude ou chez moi. Il se dresse dans un coin de nos appartements comme un rouleau manuscrit plein de secrets ou comme un phare appelant au large.

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  • Le livre : Le pèlerinage des 88 temples
  • Auteur : Ariane Wilson
  • Editions : Presses de la Renaissance
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Souvent, j'ai envie de le hisser sur mon dos et de repartir. Le temps pour cela viendra. En attendant, nous l'avons exposé en lui donnant encore de nouvelles formes. Le prêtre du cinquante-neuvième temple nous avait conjuré, à notre retour en France, d'ériger notre toile en un cylindre vertical, de l'éclairer de l'intérieur et d'inviter nos proches à tourner autour de cette lanterne monumentale afin qu'ils comprennent quelque chose du pèlerinage de Shikoku !

 


EN IMAGES Les plus belles photos du Pèlerinage des 88 temples
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