Interview
 
Janvier 2008

L'Aventure en solo : les femmes aussi ?

Editrice d'un ouvrage itinérant et contributif, adepte de grands voyages en solo, Karen Guillorel a répondu aux questions des internautes sur ses rencontres en voyage, son travail d'écriture, et quelques grosses frayeurs.
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Karen Guillorel dans les locaux de L'Internaute Photo © Cécile DEBISE, L'Internaute
 

Bonjour, j'aimerais savoir combien de grands voyages vous avez fait ?

Karen Guillorel : C'est mon deuxième grand voyage. Le 1er était le Gr65, un circuit de randonnée intense, en France et en Espagne. Pour le second, je suis allée de Paris à Jérusalem à pied et à vélo. Avant ça je suis partie plusieurs fois, notamment trois mois en Asie du Sud Est - mais en "routard", c'est à dire avec un sac à dos en prenant des transports en commun du pays. Cet été, je pars trois mois à travers l'Europe, de l'Espagne aux Pays Bas, mais avec des ânes !

D'où vous vient votre passion pour les voyages ?

Quand j'ai eu 12 ans, j'ai dit à mes parents que je voulais faire le tour du monde, je suppose qu'à l'époque, ça ne faisait pas très sérieux. Mais c'est mon grand-père en particulier (mon héros) qui m'a donné ce goût là. Lui-même était marin et a beaucoup voyagé sur la planète.

"A 12 ans, j'ai dit à mes parents que je voulais faire le tour du monde."

Quels pays avez-vous traversé durant votre voyage vers Jérusalem?

Alors : la France, l'Allemagne, la Suisse, l'Autriche, l'Italie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie et Herzégovine, la Serbie, la Bulgarie, la Turquie, la Syrie, la Jordanie et l'Israël. Je voulais passer par le Liban, mais c'était la guerre…

J'envisage aussi d'entamer une traversée de l'Europe à pied cet été. Pouvez-vous me dire combien de temps a duré votre voyage et combien de kilomètres vous parcouriez par jour environ ?

Mon voyage a duré 7 mois en tout, 5 mois de Paris à Istanbul, c'est à dire environ 4 000 km. Par jour, cela représentait 30 à 40 km en moyenne, quand j'étais en marche et seule. On marche à environ 4 km /heure. J'ai eu des pics à 65 km/jour.

Est-ce que certains pays réservent un meilleur accueil aux femmes voyageuses que d'autres ?

Question compliquée : les différences culturelles font qu'être une femme en voyage est parfois mal compris. Il est donc plus aisé d'être une femme en voyage dans les pays où les femmes voyagent seules depuis un certain temps.

N'avez-vous pas trop peur de voyager seule (surtout sans comprendre la langue) ? Auriez-vous des conseils pour les femmes qui veulent voyager seules ?

Personnellement je n'ai pas vraiment peur d'une manière générale, mais j'ai eu parfois de belles terreurs. On fait toujours de mauvaises rencontres à un moment ou à un autre, mais ça reste ponctuel. La langue est un problème lorsque les hommes cherchent à ne pas en savoir plus, par exemple en décidant pour vous que vous êtes "consentante".

Il y a beaucoup de conseils pour les femmes voyageant seules, le premier étant de se renseigner sur le statut des femmes dans les pays avant de partir, et se préparer en conséquence. Il y a une conférence appelée " Voyager au féminin ", le 16 février 2008 au festival Culture-Aventure à Paris, qui traite explicitement de la question.

 
Photo © Cécile DEBISE
 

Quels sont vos moyens financiers quand vous partez à l'aventure ? Avez vous des sponsors qui vous suivent ?

Non, je n'ai pas de sponsor, et les moyens financiers sont essentiellement les miens, mais ça devrait changer d'ici peu. Il existe des bourses pour les jeunes voyageurs, Défi Jeune par exemple.

Vous vous sentez avant tout écrivain ou voyageuse ?

Mes voyages m'inspirent beaucoup, ils sont même une source inépuisable. Je me sens tout autant écrivain que voyageuse. Mais je suis aussi : vidéaste, graphiste… Je m'inscris dans une démarche artistique de manière générale, quand je suis en voyage.

"Je suis tout autant écrivain que voyageuse. Mes voyages sont une source inépuisable d'inspiration."

 

Etait-ce une sorte de défi de partir en solo ? C'était la première fois que vous partiez seule ?

Un défi, oui, bien sûr, l'envie de prendre le temps de réfléchir surtout, et d'aller à la rencontre de gens que jamais je ne croiserais autrement, et pas seulement d`autres cultures, mais aussi d'autres couches sociales que la mienne. Je suis quasiment toujours partie seule en fait.

Pour vous, qu'est ce qui est le plus important dans le voyage : la découverte d'un pays, ses monuments, son histoire et ses paysages, ou plutôt les rencontres ?

Je pars avant tout pour les rencontres, mais j'aime profondément découvrir les aspects culturels, architecturaux et artistiques des autres pays. En fait, quand on marche, on aime encore plus aller dans les musées, parce qu'on reste tellement loin de l'urbain et des images, qu'on savoure d'autant plus de voir un tableau dans les musées.

Quel constat faites vous après toutes ces rencontres multi-culturelles ?

J'avais envie de découvrir d'autres populations, d'autres modes de vie. Lorsque je suis partie, j'étais très optimiste. Lorsque je suis revenue, j'étais toujours très optimiste, mais très pessimiste en même temps. Quelque part, j'ai découvert à quel point l'humain était compliqué pendant ce voyage. Finalement, il n'y a pas grand chose à dire sauf : "c'est ainsi". Et c'est bien de ne pas avoir de réponses, je trouve.

 

 
Photo © Cécile DEBISE
 

Dessinez vous pendant vos voyages?

Oui, j'aime beaucoup dessiner, j'ai des carnets dans lesquels je mets plein de choses, des croquis ou des dessins d'imagination. Sur mon voyage au Japon en avril dernier (pas du tout routard pour le coup), j'ai fait 8 dessins par jour à l'encre, et j'en ai fait une espèce de bande dessinée. J'aime beaucoup cette expérience multimédia : je dessine, j'écris, je réalise des films, je fais des photos, il ne manque plus que la musique !

 

Préparez vous physiquement ces voyages ?

Je fais du sport une heure par jour (en tout cas je suis supposée, parce que ces derniers temps, hum !) mais ce n'est pas nécessaire pour faire ce type de voyage à vrai dire. C'est surtout la volonté qui compte. Après, mieux vaut ne pas avoir de problèmes conséquents de dos ou de genoux bien sûr. Ce n'est que depuis mon retour que je fais autant de sport. Avant, j'en faisais un peu, un petit footing par semaine, rien de méchant.

Quel est le meilleur moyen de transport pour rencontrer les gens au cours d'un périple, d'après vous ?

Mon expérience me fait dire : "la marche". On est plus vulnérable, mais plus perméable aussi. Les gens sont très émus qu'on fasse des milliers de kilomètres pour aller à leur rencontre. Ils ont envie d'en savoir plus, car ils voient qu'on est disponible à la rencontre. Le vélo est différent : comment arrêter un vélo en train de rouler ? Donc les gens hésitent à vous inviter à les rejoindre, car vous passez trop vite. A cheval ça doit être très chouette, mais je n'ai pas encore expérimenté

"La marche est le meilleur moyen de déplacement pour faire des rencontres en voyage."

 

Vous avez une sacrée force de caractère pour partir seule dans tous vos voyages ! Ou avez-vous eu le plus peur ?

J'ai eu peur dans tous les pays à un moment ou à un autre et pour des raisons différentes. Par exemple, j'ai eu peur en Autriche, dans le Tyrol, à cause de la fonte des neiges. J'ai pris des risques complètement idiots à cette occasion ; j'ai vraiment eu peur d'y laisser ma peau. J'ai eu peur aussi en Bosnie, du fait d'un homme qui m'attendait sur la berge alors que je me baignais. Je n'avais pas mon passeport ni ma carte bleue, qui étaient à côté de lui… Mais ce n'était pas un mauvais bougre, donc je lui ai juste crié dessus et il est parti. Et puis, des fois, j`ai eu un pistolet devant la figure, et là, j'ai vraiment eu très très peur. Mais je m'en suis toujours sortie. On fait toujours de mauvaises rencontres à un moment ou à un autre, et il faut alors surmonter le choc émotionnel après avoir surmonté la situation elle-même.

Pouvez-vous citer un temps fort en particulier de vos voyages ?

Je me souviens d'une femme en Italie, dans les Dolomites. Elle était très vieille, et elle me parlait de pyramides de terre. Mais cette femme était sans doute gâteuse, alors elle répétait ça comme un disque rayé. Elle avait l'air désespérée que les mots qui sortent de sa bouche ne soient pas ce qu'elle voulait dire. Mais un contact s`est fait, très fort, par les yeux, et on s'est comprises, ce qui nous a rendues toutes les deux très heureuses.

Vous passez plus de temps en vadrouille ou en France ?

Je passe plus de temps en France qu'en voyage, heureusement - cela dit je vadrouille aussi en France ! Je pars environ 4 mois par an en voyage.

 
Karen Guillorel dans les locaux de L'Internaute Photo © Cécile DEBISE, L'Internaute
 

Je n'ai pas très bien compris le principe de "Traverses, livre voyageur ". Vous pouvez m'en dire plus ?

A l'issue de mon voyage de Paris à Jérusalem, j'ai décidé d'éditer cet ouvrage inhabituel. Il a pour vocation de faire du liant entre les gens. Il n`est pas vendu, mais échangé, et le principe est qu`on le lit et qu`on doit le transmettre immédiatement après. Grâce à un nom imaginaire, une sorte de code individuel, inscrit à l'arrière de chacun des ouvrages imprimés, vous pouvez inscrire le passage du livre entre vos mains sur http://traverses-lelivre.com, puis suivre ses migrations. C'est un livre "libre" qui utilise ses lecteurs pour se balader dans le monde entier ! Et aussi dans les mondes virtuels (puisqu'il est sur Second Life…)

Comment avez-vous sélectionné les auteurs qui ont participé à l'ouvrage Traverses ?

J'ai rassemblé des personnes avec lesquelles j'avais déjà travaillé auparavant en leur proposant la thématique du voyage. Les prochains tomes seront à base d`un appel à texte ou image, ouvert à tous. L'appel à image prochain aura lieu le 12 mars 2008, sur le site de l'ouvrage, et la nouvelle thématique sera donnée ce jour-là. Le prochain tome doit paraître le 18 octobre 2008.

Comment peut-on se le procurer ? Uniquement au hasard de l'échange ?

On peut se le procurer soit sur des événements, des passages "simples" dont la date et le lieu sont indiqués sur le site http://traverses-lelivre.com, soit des événements culturels particuliers, soit en le demandant par mail sur le site web (vous nous envoyez une enveloppe pré timbrée, et on vous l'envoie par la poste.) Et par le hasard des échanges bien sûr !

Vous ne pensez pas que vous pourriez toucher un public plus large en le vendant en librairie ?

Traverses est délibérément un objet non marchand, une espèce d'expérience hors des systèmes de diffusion habituels. Viendra un moment où notre diffusion sera plus grande, mais en attendant, on met notre énergie à ce qu'elle soit de qualité. D'ailleurs le voyage de trois mois cet été que je fais avec Vincent Radix c'est pour transmettre Traverses à travers l'Europe, de main à main. Ce sont les ânes qui vont le porter ! On emmène des exemplaires avec nous, et il y a aussi des événements dans des lieux culturels en chemin, qui recevront eux les livres par poste. Pour le coup, l'aspect logistique n'est pas léger !

 

"Traverses est un livre libre, délibérément un objet non-marchand."

Votre démarche est-elle littéraire avant tout, ou aussi un peu sociale et politique ?

On se définit comme des troubadours électroniques - notre démarche est artistique, mais inscrite dans le désir de créer du liant entre les gens. En cela, je pense qu'on peut dire qu'elle est politique au sens premier, c'est à dire : "comment vivre ensemble".

Combien d'exemplaires ont été distribués jusqu'à présent ?

Environ 1 200 je pense. Le premier tirage était à 2 000 exemplaires - je parle du tirage imprimé, car tout le monde peut télécharger l'intégralité du livre sur le site.

Combien de personnes se sont échangés cet ouvrage?

Nous ne savons pas ! Il y a les échanges inscrits sur le site, et puis il y a tous ceux qui continuent leur vie et sont échangés sans qu'on le sache, mais qui réapparaîtront à un moment donné ou à une autre. En cela aussi c'est un ouvrage libre, on invite les gens à inscrire le livre quand ils le récupèrent, mais ce n'est pas une obligation. L'expérience ne fait que commencer, il faut imaginer que Traverses est une espèce de livre qui s'écrit au fur et à mesure, et dont une partie nous arrive chaque année.

Site de voyage de Karen Guillorel : http://www.loindevant.com



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