Jean-Baptiste Rabouan (Photographe) "Chaque séjour en Inde apporte de nouvelles expériences, de nouvelles interrogations"

Photographe et journaliste, Jean-Baptiste Rabouan arpente avec passion l'Inde depuis près de 25 ans pour réaliser des reportages humanistes témoignant de la continuité de l'Inde rurale et traditionnelle dans l'Inde moderne et urbaine.
 

jean-baptiste rabouan avec une vieille land rover à la frontière de l'inde
Jean-Baptiste Rabouan avec une vieille Land Rover à la frontière de l'Inde © J.B.R.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous spécialiser dans ce pays, plus qu'un autre ?
Jean-Baptiste Rabouan : En réalité, je n'ai rien choisi : l'Inde et l'Himalaya me fascinent depuis mes 13 ans, c'est également à cette période que la passion de la photographie m'a prise. A cet âge je dévorais les récits des grands voyageurs comme Alexandra David Neel, un auteur qui m'a beaucoup marqué, et les ouvrages des photographes Américains de grands-espaces comme Ansel Adams, le maître incontesté du paysage. Naturellement, je suis parti photographier l'Inde dès que ce fut possible, c'est à dire en 1984, j'avais 22 ans... Mon premier voyage a été une seconde révélation où l'expérience vécue a confirmé ces deux vocations d'enfance : la photo de reportage humaniste et l'intérêt pour le monde indien. Même après une quarantaine de voyages, chaque séjour en Inde apporte de nouvelles expériences, de nouvelles interrogations - je n'ai plus de certitudes depuis longtemps...

De quelles mesures l'Inde traditionnelle parvient-elle à coexister avec un territoire de plus en plus rattrapé par l'urbanisation ?
L'urbanisation, c'est à dire la démographie, est un problème crucial pour l'Inde contemporaine. En soi, elle ne menace en rien les traditions sociales et religieuses qui s'adaptent sans difficulté à ce nouvel environnement. En revanche, beaucoup de milieux naturels sont menacés et, avec eux, la faune sauvage -je pense en particulier aux tigres- et le mode de vie des groupes ethniques qui dépendent d'un environnement naturel.

Avez-vous rencontré des formes de résistance particulières face à la modernisation ?
Le concept de modernité ne s'oppose pas de facto à celui de tradition. En Inde, il est tout à fait naturel d'aller au temple, de faire un pèlerinage ou de porter le voile tout en ayant un téléphone portable et un ordinateur... En revanche la croissance économique creuse les disparités sociales et culturelles. Les laissés pour compte ressentent encore plus violemment
leur dénuement devant les grosses cylindrées étrangères, les écrans plasma géants, les clubs ultra-chic...  

Mais surtout, et c'est peut être plus grave, ils se sentent déconnectés de ce monde dont les codes culturels leur sont étrangers. L'accès à l'éducation n'est pas donné à tout le monde et la société fonctionne à plusieurs vitesses. C'était déjà le cas avec le système des castes mais la société toute entière partageait la même vision alors qu'aujourd'hui l'Inde de la croissance adopte d'autres codes et une langue, l'anglais, devenu la langue maternelle pour la plupart des classes sociales supérieures.

Actuellement l'Est et le centre du pays sont touchés par une guérilla d'inspiration maoïste ultra-violente, les Naxalites, qui chaque année se répand un peu plus dans les milieux ruraux et défavorisés. J'ai le sentiment que les écarts culturels liés à la croissance sont en partie la cause de ce soulèvement et que les pouvoirs publics n'ont pas pris la mesure du fond du problème.

A l'inverse, quelles sont les formes d'adaptation les plus manifestes que vous ayez rencontrées ?
Sans aucun doute dans les anciens royaumes Himalayens Bouddhistes comme le Ladakh ou le Sikkim, où la cohésion sociale traditionnelle a permis une croissance harmonieuse dans l'ensemble de la société. Je préfère parler de croissance qui inclut la modernité mais aussi la dimension économique.

Comment peut-on définir aujourd'hui la culture indienne ?

Tous les orientalistes se posent cette question de l'identité Indienne. Elle existe mais elle semble indéfinissable du fait de l'immense diversité géographique et culturelle du sous-continent. Je parle parfois "des mailles invisibles d'une identité indienne" qui enserrent des centaines de cultures différentes...