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Juin 2007

Sylvain Tesson : "on ne devient pas voyageur".

Entre un voyage au Chili et un autre en Sibérie, l'écrivain-vagabond Sylvain Tesson fait escale à Paris et confie sa vision des voyages.
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© Editions des Equateurs
 
"Voyager m'inspire, m'alimente, me remplit."

Comment devient-on voyageur ?

Sylvain Tesson : On ne devient pas voyageur. On naît ce que l'on est et réciproquement. Ou bien, au pire, on devient ce que l'on est. Je vous répondrai ce que Beckett disait à ceux qui lui demandait pourquoi il écrivait : "Bon qu'à ça !"...

Que préférez-vous dans les voyages ?

Me retrouver seul, au soir tombant, avec un cigare et un livre de poésie, après une étape harassante, devant un coucher de lune, allongé dans mon hamac que j'aurais tendu entre les deux branches d'un bel arbre accueillant. Belle position pour méditer sur le bonheur d'être sur le chemin et sur l'immense beauté du monde.

Les voyages sont-ils des vacances pour vous ?

Certainement pas pour deux raisons. La première est que je voyage pour écrire et je vis de mon écriture, donc je voyage pour vivre donc ce ne sont pas des vacances. Deuxièmement les voyages m'inspirent, m'alimentent, me remplissent et je ne peux donc pas être en état de vacance lorsque je voyage.

Pas trop dur de revenir à Paris après tout ça ?

Non, car lorsque je reviens à Paris c'est pour défaire mon sac et en préparer un autre. Voyez-vous par exemple, je rentre tout juste du Chili et repars samedi en Sibérie. En outre, lorsque je reste un peu plus longtemps à Paris, c'est pour écrire mes livres et donc prolonger l'aventure sur le terrain de l'écriture.

 
© © Agathe Azis/L'Internaute Magazine
 
"Un beau paysage c'est une cerise sur le gateau de l'effort."

Quel est le plus beau pays que vous ayez traversé ?

Le Tibet pour les lumières, la Russie pour la perspective des chemins s'enfonçant dans les plaines, la France pour l'inscription du travail des hommes dans le paysage.

A quand votre prochain voyage avec Alexandre Poussin ? Savez-vous où il se trouve en ce moment ?

Je ne sais pas. Nos routes se sont séparées.

Vos débuts ont-ils été difficiles, avant la reconnaissance et la rétribution financière de votre travail ?

Les débuts ont été difficiles parce que c'étaient des débuts. Et que, lorsque l'on commence, il manque un ustensile précieux dans le paquetage : l'expérience. Aujourd'hui, les choses me semblent moins dures, la route moins longue, le temps plus rapide, les efforts moins coûteux. Donc, la vie plus simple. Quand à la reconnaissance, je ne sais pas si elle est là, j'ai du mal à la reconnaître, je ne suis pas physionomiste pour ces choses là.

Etes-vous tombé malade pendant votre voyage en Asie ? Comment faites-vous pour vous soigner ?

J'ai déjà eu de menus tracas : infection des canaux lymphatiques, algue bleue, dysenterie, mais rien qui ne m'empêche de continuer.

Pour me soigner, à présent, lorsque je voyage, je n'emporte aucune pharmacie. Uniquement une boîte d'aspirine à cause de la vodka en Russie. Je pense que la marche, le fait de marcher pendant des heures fonctionne comme un alambic qui distille les mauvaises humeurs, lave les scories du corps, purifie la machine. Nul doute que les marcheurs au long cours développent une sorte de caparaçon contre les bactéries du chemin.

Quel est le pays du monde que vous n'avez pas envie de visiter, ou disons plutôt, que vous gardez pour la fin ?

Il n'y a aucun pays que je n'ai pas envie de visiter. Mais il y a des pays qui m'excite tellement (la Russie, la Mongolie, la Sibérie, la Belgique, la Scandinavie...) que j'aime y retourner pour les labourer comme une araire. Et du coup je manque de temps pour ceux qui se situent plus bas dans mon échelle affective.

 
© Agathe Azis/L'Internaute Magazine
 
"Les voyages m'inspirent, m'alimentent, me remplissent."

Combien de langues parlez-vous ?

Je baragouine très mal l'anglais. Je parle un peu le russe et j'ai déjà fait trois fautes d'orthographe au cours de cette conversation cybernétique.

Quel est votre écrivain préféré ?

C'est un monsieur qui n'existe pas mais qui parle comme Céline, qui voit le monde comme Shakespeare et qui a le cœur de Kerouac.

Les voyages vous changent-ils ?

Je dirais que non, mais comme avant je disais que oui c'est bien la preuve que lorsque je dis non, je devrais dire oui.

Quelle fut votre aventure la plus drôle en Asie Centrale ?

C'est lorsque je suis allé sur les bords de la mer d'Aral en side-car soviétique. La machine que j'avais achetée 100 dollars était tellement pourrie que pour rouler avec les phares allumés je devais maintenir le klaxon appuyé afin de créer un court-circuit. Je n'avais pas de frein arrière et un jour, en pleine nuit, une voiture de flics ouzbek (équivalent des DPS russes) m'a bloqué le passage en doublant et le frein droit a lâché et je leur suis rentré dedans et j'ai été emmené au poste et ils ont trouvé dans le coffre du side-car la vodka que j'avais achetée en prévision des soirées à venir. Bref les choses étaient très mal parties pour moi mais heureusement mon interprète est arrivée et a sorti une carte du ministère qui m'autorisait à faire le film que j'étais en train de tourner et je n'ai eu qu'une verbalisation pour tapage nocturne (à cause du klaxon maintenu en permanence pour faire fonctionner les phares.)

Quels sont vos plus grandes craintes lors des voyages (maladie, attaque...) ?

Par dessus tout les accidents de la route. J'ai vécu une terrible tragédie en Afghanistan il y a six ans. J'ai perdu sous mes yeux quatre camarades, deux Afghans et deux Français. Je les ai tenus dans mes bras au moment où ils rendaient l'âme et depuis je hais les chauffards, la vitesse et je tiens les apprentis-Fangio pour des assassins.

 
© Agathe Azis/L'Internaute Magazine
 
"La marche fonctionne comme un alambic qui distille les mauvaises humeurs."

Y a t-il quelque chose que vous amenez toujours avec vous en voyage ?

Dans l'ordre : un couteau, un cigare (Partagas par exemple) et un livre de poésie française. Avec le premier je coupe le bout du second que je fume en lisant le troisième.

Du coup, ne laissez-vous pas de côté votre vie privée ou familiale ?

Je n'ai pas d'enfants. Je n'ai pas de femme. Et pire que tout je n'ai pas le désir (pas encore peut-être, pas encore, me dis-je) de fonder une famille. J'ai les livres que j'écris en guise de mouflets, ils sont sages et bien rangés. Ils ne me réveillent pas la nuit (sauf lorsque je les écris parce qu'alors, ils m'occupent drôlement l'esprit). J'ai une fratrie et des parents que j'aime, que je ne vois pas souvent. Mais je ne crois pas du tout qu'il y ait un rapport proportionnel entre le temps qu'on passe avec les gens et l'intensité des sentiments qu'on nourrit à leur égard.

Quel est le plus beau paysage que vous ayez vu dans vos voyages ?

Le plus beau paysage que j'ai vu c'était un paysage que j'avais longtemps attendu, désiré et que j'avais lutté pour atteindre. Par exemple Lhassa, entrevu au soir tombant du haut d'un col après des mois de marche. Ou les eaux du Baïkal que j'avais tant envie de connaître. Ou même le sommet de la Sainte Victoire après une escalade épique. Je pense qu'un paysage est une toile sur laquelle nous projetons des faisceaux intérieurs, nous le reconnaissons parce que nous le désirions et soudain le voilà qui s'offre. Et le fait de l'avoir enfin, là, sous ses pieds, veut dire qu'on est parvenu au bout du chemin qu'on est venu à bout de tous ces kilomètres difficiles. Un paysage c'est une cerise sur le gâteau de l'effort.

 
© Agathe Azis/L'Internaute Magazine
 
"Lorsque je voyage, j'ai le sentiment que le temps ralentit un peu."

Si vous deviez vous décrire en un adjectif, quel serait-ce ?

Insatisfait.

Pourquoi avoir choisi les énergies comme thème de voyage ?

Parce que j'étais obsédé par cette question. Qu'est-ce qui nous meut (du verbe mouvoir, pas meugler) ? Pourquoi y a-t-il des gens survoltés et d'autres lymphatiques par nature ? D'où vient cette inégalité entre les êtres ? Comment mieux exploiter notre force vitale, comme canaliser le trop plein de lave qui jaillit de nos volcans intérieurs. Bref comment mieux nous occuper de la petite centrale énergétique qui est en chacun de nous ? Et je trouvais que partir pour consacrer quelques mois de méditation sur ce thème mystérieux mais total, essentiel n'était pas de trop.

Pourquoi voyagez-vous autant ?

Parce que je suis insatisfait (voir question précédente). Parce que j'ai le sentiment que le temps va trop vite et lorsque je voyage il me semble qu'il ralentit un peu. Parce que lorsque le paysage défile sous mes pieds ou sous mes yeux, soudain j'ai l'impression de faire l'unité en moi. Parce que comment faire autrement si l'on veut essayer de vivre plusieurs vies. Vous connaissez la réponse de Cendrars à cette question ? Il disait "parce que !" Ce qui n'est pas totalement idiot comme réponse, cela veut dire qu'il n'y a pas de raisons. Il y a un appel. L'appel de la route. Et lorsqu'on entend un appel on ne s'embarrasse pas de savoir pourquoi on y répond, on part.

Avez-vous un sponsor ? Comment financez-vous vos voyages ?

Par mes livres, mes conférences, mes films, mes articles. Le Vieux Campeur me fait une remise. Patagonia aussi. Et parfois Mouton Cadet (vin de Bordeaux) s'investit dans certaines aventures, ce qui me permet de faire suivre l'intendance et d'y mettre quelques belles bouteilles.

 
© Agathe Azis/L'Internaute Magazine
 
"Je pars samedi pour la Sibérie."

Quel moyen de transport original pourriez-vous emprunter pour votre prochain voyage ?

Il y en a quelques-uns que je trouve attirants : l'éléphant (un peu lent cependant). Les radeaux de bois, le kayak, l'Ulm peut-être. Mais un jour j'aimerais faire un voyage immobile, solitaire, reclus quelque part dans une très belle nature, en cabane peut-être. Donc là il n'y aura pas de moyens de transport.

Aurons-nous le plaisir un jour de vous rencontrer à une foire aux livres en Limousin (Limoges ou Brive) ?

Pour l'instant, je n'ai jamais été ailleurs qu'à Boisseuil, au sud de Limoges je crois. Mais je répondrai oui si on m'invite.

Quel sera votre prochain voyage ? Votre prochaine destination ?

Je pars samedi pour la Sibérie. Je vais faire le tour du lac Baïkal en canot. Afin de rencontrer les Russes qui vivent dans les forêts, qui quittent les villes, restaurent des cabanes, s'installent dans la beauté des bois, tournent le dos à la modernité et célèbrent la belle tentation du "retour aux forêts", laquelle repose en chacun de nous.

Le mot de la fin ?

Je n'avais jamais fait de Chat. Je ne suis pas un garçon très cybernétique. Evidemment, il manque à cette conversation le tintement des verres, les toasts portés, la rumeur du troquet. Mais j'ai été très heureux de vos questions et lorsque je serai tout seul dans mon canot sur le Baïkal, je regretterai ce bon moment. Merci !

 

En savoir plus : Sylvain Tesson, éloge de l'énergie vagabonde.

 

EN IMAGES Les plus belles photos de Siberia avec Philippe Sauve


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