Procès Lafarge : pourquoi le groupe français a-t-il versé plusieurs millions d'euros à Daesh ?
Le procès du géant industriel français Lafarge s'ouvre ce mardi à Paris. Le cimentier est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), cinq millions d'euros selon le Parquet national antiterroriste à des groupes djihadistes, dont l'Etat islamique (EI) et le Jabhat Al-Nosra, filiale syrienne d'Al-Qaida, afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord de la Syrie.
Aujourd'hui, neuf prévenus sont renvoyés pour "financement du terrorisme" et, pour certains, pour une infraction douanière, le "non-respect de sanctions financières internationales". Cela concerne la société Lafarge SA, devenue en 2015 une filiale du groupe LafargeHolcim, et huit personnes physiques, dont plusieurs ex-cadres du cimentier. La société avait investi 680 millions de dollars dans le site de Jalabiya, dont la construction avait été achevée en 2010.
"Lafarge a accepté de rémunérer des groupes terroristes"
Près de 180 anciens salariés syriens se sont constitués partie civile dans ce dossier, sur les 241 au total. L'ordonnance de renvoi - consultée par le journal Le Monde - indique que les prévenus ont, "dans une logique de recherche de profits pour l'entité économique qu'ils servaient, ou pour certains de profit personnel direct, organisé, validé, facilité ou mis en œuvre une politique supposant de faire parvenir un financement aux organisations terroristes implantées autour de la cimenterie" de Jalabiya.
Peu après la fin des travaux de la cimenterie de Jalabiya, la Syrie est entrée dans une terrible période de guerre civile. Si certains groupes français ont quitté les lieux, Lafarge est resté sur place. Depuis 2012, il est le dernier groupe français encore présent en Syrie. Selon les juges d'instruction, "Lafarge a accepté de rémunérer des groupes terroristes qui contrôlaient les axes routiers pour permettre la circulation de ses employés, des matières premières et des marchandises", apprend-on. Les salariés de la cimenterie syrienne étaient exposés au racket et aux exactions des djihadistes.
Le cimentier encourt plusieurs millions d'euros d'amende
Interrogé par Radio France, Hicham fait partie de ces salariés de Lafarge en Syrie, recruté comme informaticien en 2012. "Il y avait chaque jour de nouveaux checkpoints. Après cela, des collègues ont été kidnappés, d'autres arrêtés (...) Les salariés n'ont ainsi pas d'autre choix que de rester. Ils doivent nourrir leurs familles et sont coincés entre le territoire aux mains de Bachar al-Assad et celui des djihadistes", confie-t-il.
Désormais réfugié en Allemagne, l'homme a rapidement soupçonné Lafarge d'avoir livré "du ciment dans des villes où Daesh construisait des murs et des installations et puis ils recevaient du pétrole de zones contrôlées par Daesh", explique-t-il. Pour rappel, dès 2013, l'Union européenne avait interdit toute relation financière ou commerciale avec l'Etat islamique. Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation de l'embargo imposé par l'UE, l'amende encourue est plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu par la justice.