Annexions en Ukraine : la Russie va-t-elle vraiment prendre le contrôle de quatre régions ukrainiennes ?

Annexions en Ukraine : la Russie va-t-elle vraiment prendre le contrôle de quatre régions ukrainiennes ? UKRAINE. Alors que le "oui" au rattachement à la Russie l'a emporté dans quatre régions d'Ukraine, Vladimir Poutine peut-il vraiment prendre le contrôle sur ces territoires ? Eléments de réponse.

La mascarade des référendums va donc se conclure par un cérémonial, au Kremlin. Quatre régions de l'Ukraine doivent officiellement être rattachées à la Russie par Vladimir Poutine ce vendredi 30 septembre 2022. Le président russe doit recevoir les chefs russes autoproclamés des régions de Lougansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson en son palais présidentiel pour acter le rattachement de ces territoires, après que le "oui" l'a emporté massivement lors des votes organisés du 23 au 27 septembre dernier. Selon les résultats officiels et définitifs, ce sont plus de 95% de votants qui se sont prononcés en faveur d'un rattachement de leur région au pays voisin. Des votants et non du total des habitants, ces régions s'étant grandement vidées depuis le début de la guerre avec une population restante plutôt pro-russe, notamment dans les régions de Lougansk et Donetsk (qui forment à elles deux le Donbass).

Dans des décrets, Vladimir Poutine a d'ores et déjà reconnu l'indépendance de deux régions, celles de Kherson et Zaporijjia, "conformément aux principes et normes généralement reconnus du droit international, reconnaissant et confirmant le principe de l'égalité des droits et de l'autodétermination des peuples, consacré dans la Charte des Nations Unies." Et le Kremlin a prévenu, ce vendredi 30 septembre 2022 : "Moscou considérera toute possible attaque ukrainienne contre les territoires qui seront annexés à la fédération de Russie comme un acte d'agression à l'égard de la Russie." Alors que la grande majorité de la communauté internationale n'a pas reconnu la véracité de ce référendum, le président russe peut-il réellement prendre le contrôle de ces territoires ?

La Russie va-t-elle contrôler quatre régions d'Ukraine ?

Un tour de force pour annexer un territoire, Vladimir Poutine l'a déjà fait. C'était en 2014, en Crimée. Une offensive militaire, un pseudo-référendum, un "oui" largement gagnant et, au final, une prise de contrôle du territoire. Le dirigeant russe mène une opération similaire dans l'est de l'Ukraine pour tenter de prendre le contrôle de quatre régions (Donetsk, Lougansk, Zaporijjia et Kherson). Mais face à la non-reconnaissance de légitimité de ces votes par la plupart des pays du monde, comment la Russie peut-elle s'emparer de ces territoires ?

Vladimir Poutine invoque le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Une notion pilier des Nations unies. Cependant, elle ne semble pas, aux yeux de l'ONU, applicable dans tous les cas de figure. La résolution n°1514 précise que seuls les peuples qui ont subis une "subjugation, domination et exploitation étrangères" peuvent prétendre au droit à l'autodétermination. En somme, cela concerne notamment les questions de décolonisation, notamment en Afrique. Et cela ne peut intervenir dans un contexte de pression militaire.

Cependant, le droit international est flou. De quoi permettre à la Russie de s'imposer ? Pas si évident. "Si le droit international ne conforte pas toute revendication sécessionniste, il ne les interdit pas non plus" expliquait Yann Kerbrat en 2014, après l'annexion de la Crimée. Mais le Directeur de laboratoire à l'Institut de recherche en droit international et européen de la Sorbonne ajoutait : "Toute ingérence n'est pas illicite mais elle l'est au moins lorsque, comme ici, elle utilise des moyens de contrainte : la menace d'une intervention militaire, des incursions de militaires russes sur le territoire ukrainien, une aide matérielle et militaire aux sécessionnistes." Autant de points communs aujourd'hui avec les quatre régions de l'est de l'Ukraine. "Elle fait en outre planer un doute sérieux sur la sincérité du processus de sécession et tend à montrer que le rattachement est en réalité une annexion pure et simple de la Crimée par la Russie, contraire au droit international", avait-il ajouté.

Alors, quelle pourrait être la légitimité de la Russie dans ses "nouveaux territoires" ? Comme il y a eu "référendum" et que les autorités autoproclamées de ces régions ont validé le processus, il n'y aura pas de nullité absolue des traités de ratification. Cependant, si le droit international permettra à l'Ukraine de conserver officiellement ses frontières, ces régions seront dominées par la Russie.

Quels sont les résultats des référendums en Ukraine ?

Après cinq jours de vote, les référendums en Ukraine ont pris fin mardi 27 septembre. L'agence de presse russe Interfax a annoncé le détail, région par région :

  • région de Donetsk : 99,23% en faveur du oui 
  • région de Louhansk : 98,42% en faveur du oui 
  • région de Zaporijjia : 93,11% en faveur du oui
  • région de Kherson : 87,05% en faveur du oui

À noter que l'annonce des résultats n'acte pas l'entrée immédiate des régions ukrainiennes dans le territoire national russe. Cette annexion pourrait en revanche se concrétiser le 30 septembre à l'occasion d'une prise de parole de Vladimir Poutine devant le Parlement russe selon le ministère de la Défense britannique.

Quelles conséquences aux référendums en Ukraine ?

Les référendums organisés en Ukraine invitaient les électeurs à se prononcer pour ou contre l'annexion de leur région par la Russie. La victoire du "oui" va avoir pour conséquence l'intégration rapide des quatre régions ukrainiennes - le Donetsk, le Louhansk, Zaporijjia et Kherson - au territoire national russe. Ainsi et comme l'a fait savoir le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, le 23 septembre "la Russie considérera les tentatives de l'Ukraine de reprendre 'les territoires libérés' comme une attaque contre son territoire". Le sous texte de cette déclaration est une mise en garde contre une riposte de Moscou et une possible attaque nucléaire comme l'a laissé entendre Vladimir Poutine dans son allocution du 21 septembre. 

Les référendums en Ukraine sont finalement une tentative du Kremlin de justifier son "opération militaire" qui devait soit disant secourir les régions ukrainiennes oppressées par le gouvernement de Kiev. Et l'issue du vote va pouvoir, à l'avenir, justifier une offensive nucléaire russe, une menace plusieurs fois brandie par Moscou, mais qui ne pouvait pas encore être mise à exécution. Selon la politologue Tatiana Stanovaya interrogée par le Monde, l'objectif derrière ces scrutins était de poser "un ultimatum" : "Soit l'Ukraine bat en retraite, soit c'est la guerre nucléaire. Le but n'est pas de gagner sur le champ de bataille, mais de forcer Kiev à capituler."

L'annexion des régions ukrainiennes par la Russie permettra aussi à Moscou de bénéficier de nouveaux renforts car tous les Ukrainiens vivant dans les territoires annexés seront mobilisables pour la guerre. Un détail qui a toute son importance alors que quelques jours avant le début des référendums, Vladimir Poutine a annoncé la mobilisation de centaines de milliers d'hommes. Face à cette perspective, les Ukrainiens ont été nombreux à quitter les régions occupées jusqu'à ce que les troupes russes retiennent de force les hommes de 18 à 35 ans.

Quelles sont les régions d'Ukraine concernées par les référendums ?

Quatre régions ukrainiennes étaient concernées par les référendums d'annexion. Il s'agit des régions de Donetsk et Lougansk, qui forment ensemble à l'est du pays ce qui est appelé le Donbass, mais aussi celles de Kherson, située dans le Sud-Ouest, et de Zaporijjia, dans le sud de l'Ukraine. Ces quatre régions sont particulièrement affectées par les combats qui opposent Russes et Ukrainiens. Lors du référendum sur l'indépendance de l'Ukraine, en 1991, ces différentes régions avaient toutefois largement voté en faveur du "oui" (entre 80 et 90%), contrairement à la Crimée, qui s'était distinguée avec un score particulièrement faible (54%). 

© Maxime Gil / Linternaute

Pourquoi des référendums étaient-ils organisés ?

Depuis plusieurs semaines, l'offensive de la Russie en Ukraine stagne. Les troupes de Vladimir Poutine ne gagnent plus de terrain, le conflit s'enlise et les Ukrainiens ont même lancé une contre-offensive qui semble mettre à mal leur adversaire. Acculé jusque dans son propre pays, le président russe entendait ainsi passer par la voie "démocratique" pour atteindre son objectif : annexer officiellement les régions de Donetsk et Lougansk, lesquelles sont autoproclamées indépendantes depuis 2014 et dirigées par un parlement de dirigeants pro-russes, bien que non reconnu par la communauté internationale. En revanche, Vladimir Poutine avait reconnu leur indépendance à l'époque. Dans les régions de Kherson et Zaporijjia, les Russes contrôlaient déjà une partie de ces territoires et entendent désormais s'y établir officiellement.

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