Le cessez-le-feu enfreint en Ukraine, une fausse trêve stratégique pour Poutine ?

Le cessez-le-feu enfreint en Ukraine, une fausse trêve stratégique pour Poutine ? GUERRE UKRAINE. Officiellement entré en vigueur vendredi 6 janvier, le cessez-le-feu annoncé par Vladimir Poutine est sévèrement critiqué par Kiev et l'Occident. À raison ?

[Mis à jour le 6 janvier 2023 à 22h14] Vladimir Poutine avait annoncé unilatéralement un cessez-le-feu vendredi 6 et samedi 7 janvier 2023. Cessez-le-feu qui devait commencer ce vendredi 6 à midi, soit 10 heures en France, et se conclure à minuit samedi 7 janvier, soit 22 heures à Paris. "Toute la ligne de contact entre les parties" devait être concernée. Alors que Volodymyr Zelensky avait d'emblée dénoncé une "excuse dans le but d'au moins arrêter l'avancée [des troupes ukrainiennes] dans le Donbass, apporter équipements, munitions, et rapprocher des hommes [des] positions" ukrainiennes, cette première journée de cessez-le-feu a notamment été marquée par des frappes à Kramatorsk, dans la région de Donetsk. 

Ainsi, à peine une heure après l'entrée en vigueur de la trêve, de nouvelles frappes ont retenti dans les deux camps. Si l'armée ukrainienne n'avait pas l'intention de se plier au cessez-le-feu décrété unilatéralement, les attaques russes ont contrevenu à l'arrêt temporaire des combats. Pourtant, le ministère russe de la Défense a assuré que les troupes du Kremlin respectaient la trêve et que les bombardements observés, en particulier à l'est du pays à Bakhmout et Kramatorsk où les combats font rage, étaient des réponses aux offensives de Kiev. Pour rappel, Vladimir Poutine avait justifié le cessez-le-feu par l'appel du patriarche Kirill, le patron de l'Église orthodoxe russe qui s'avère également être un ancien membre du KGB et un fervent défenseur de "l'opération spéciale" lancée le 24 février 2022.

Des attaques terroristes russes redoutées par Kiev lors des messes de Noël orthodoxe

Alors que le président ukrainien Volodymyr Zelensky a pris la parole ce vendredi soir, à l'occasion du Noël orthodoxe, assurant que "où que nous soyons - à la maison, au travail, dans une tranchée, sur la route, en Ukraine ou à l'étranger - notre famille est plus unie que jamais", la vice-Première ministre ukrainienne avait, elle, tenu un discours empreint d'inquiétude, plus tôt dans la journée.

"Nous avons des informations selon lesquelles les Russes préparent des attaques terroristes dans des églises des territoires temporairement occupés pour le Noël orthodoxe", a affirmé Iryna Vereshchuk, dont le Kyiv Independant se fait l'écho. D'autres médias ukrainiens assurent, pour leur part, qu'un groupe de renseignement ukrainien a également eu vent d'informations similaires. La Première ministre ukrainienne a, quoi qu'il en soit, recommandé aux Ukrainiens se trouvant dans les territoires occupés par les Russes de ne pas se rendre aux messes de Noël. 

Une véritable trêve ou une stratégie militaire ?

L'Ukraine ne croyait pas aux bonnes intentions de Vladimir Poutine ni à l'annonce du cessez-le-feu. La trêve d'à peine 36 heures n'est qu'une "excuse dans le but d'au moins arrêter l'avancée de nos troupes dans le Donbass et apporter équipements, munitions, et rapprocher des hommes de nos positions", d'après le président Volodymyr Zelensky. Et les frappes russes menées ce vendredi une heure seulement après le début du cessez-le-feu ont donné raison au chef de l'Etat. Le conseiller du président ukrainien Mykhaïlo Podoliak a même dénoncé l'"hypocrisie" du Kremlin avant que la trêve soit bafouée et a affirmé sur Twitter : "La Russie doit quitter les territoires occupés, c'est alors seulement qu'il y aura une 'trêve temporaire'." Au micro de BFMTV, plusieurs civils ont également critiqué la trêve russe se doutant qu'elle ne serait pas respectée : "Nous ne croyons pas Poutine (...). C'est une manipulation, une farce". Sur franceinfo, un autre Ukrainien a même rappelé que la Russie n'avait pas respecté la trêve pascale l'année dernière et a dit ne pas croire à ce nouveau cessez-le-feu.

La dimension stratégique prêtée au cessez-le-feu annoncé par Vladimir Poutine était envisagée par tous les Ukrainiens et par la communauté internationale. Et pour cause, les troupes russes se trouvent en position de défense et de faiblesse sur la majorité de la ligne de front. La trêve présentait donc plus d'avantage pour la Russie que pour l'Ukraine. Laquelle est restée, à raison, sur ses gardes en cas d'attaques surprises des forces de Moscou.

Critique de la communauté internationale

La communauté internationale doutait aussi des réelles intentions de Vladimir Poutine derrière l'annonce d'un cessez-le-feu. Après la confirmation de la poursuite des frappes entre les deux camps, le Quai d'Orsay a dénoncé "une tentative grossière de la part de la Russie de masquer sa responsabilité, alors qu'elle continue de multiplier les exactions et de bombarder sans relâche l'ensemble du territoire ukrainien". Et le ministère des Affaires étrangères de fustiger le "cynisme de la Russie".

"Le Kremlin manque tout à fait de crédibilité et cette déclaration d'une volonté de cessez-le-feu unilatéral n'est pas crédible", a taclé vendredi Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. Et d'ajouter : "La réponse qui nous vient tous à l'esprit, c'est le scepticisme face à tant d'hypocrisie." Un avis partagé par le Quai d'Orsay qui a estimé dans l'après-midi que "l'annonce unilatérale par le Kremlin d'un cessez-le-feu à l'occasion du Noël orthodoxe ne peut tromper personne". Et Paris de réaffirmer sa position : "La France rappelle sa conviction profonde qu'une paix juste et durable ne pourra advenir sans un retrait total des troupes russes de l'ensemble du territoire ukrainien."

Avant que le cessez-le-feu ne soit mis à mal, la Maison Blanche avait, elle, ouvertement critiqué la manœuvre jugée manipulatrice du Kremlin. Le président américain Joe Biden avait ainsi estimé que son homologue cherchait "à se donner de l'air" et avait sérieusement douté des motivations religieuses rappelant que le chef d'État était "prêt à bombarder des hôpitaux, des crèches et des églises (...) le 25 décembre et lors du Nouvel an". L'Allemagne s'est aussi montrée critique sur le cessez-le-feu de 36 heures par la voix de la ministre fédérale des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, qui a tweeté : "Si Poutine voulait la paix, il ramènerait ses soldats à la maison et la guerre serait terminée. Mais apparemment, il veut poursuivre la guerre, après une brève interruption."

Un cessez-le-feu qui ne présage pas de la fin du conflit

C'était couru d'avance, mais le cessez-le-feu annoncé par Vladimir Poutine pour les 6 et 7 janvier n'annonce en rien la fin de la guerre en Ukraine. Pour preuve les frappes qui se poursuivent malgré l'entrée en vigueur théorique de la trêve. Ni l'Ukraine, ni l'Occident ne se sont laissés prendre par la fausse interruption des combats. Le seul moyen de mettre un terme au conflit russo-ukrainien est de voir les deux belligérants assis à la table des négociations, mais aucun des deux pays n'est prêt à s'y rendre. Si Vladimir Poutine a assuré à son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, qui tient le rôle de médiateur, être "ouvert à un dialogue", il souhaite d'abord que Volodymyr Zelensky reconnaisse "les nouvelles réalités territoriales". Chose impensable pour Kiev qui considère comme une condition sine qua non de la paix la reprise par l'Ukraine de tout son territoire.

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