Programme nucléaire en Iran : la bombe accessible dans quelques années malgré les frappes ?

Programme nucléaire en Iran : la bombe accessible dans quelques années malgré les frappes ? Les Etats-Unis et Israël assurent avoir détruit et mis fin au programme nucléaire de l'Iran, mais les premières analyses des dégâts et les experts tirent des conclusions bien différentes.

"Les sites nucléaires iraniens sont complètement détruits !" Donald Trump est catégorique sur l'état du programme nucléaire iranien après les frappes américaines menées à l'aide de bombardiers B-2 ayant largué une douzaine de bombes anti-bunker GBU-57, le samedi 21 juin. Pourtant, la Defense Intelligence Agency (DIA), l'agence de renseignement du Pentagone, tirent des conclusions bien différentes dans une évaluation rendue publique par des médias américains le mercredi 25 juin.

Les frappes américaines ont bien touché les usines d'enrichissement d'uranium de Fordo et de Natanz ainsi que le site stratégique d'Ispahan, mais les dégâts se limiteraient en grande partie aux structures de surface, alors que les composants essentiels du programme nucléaire iranien se trouvent profondément enfouis dans le sol. Les infrastructures électriques des sites et certaines installations utilisées pour transformer l'uranium en métal pour la fabrication de bombes auraient bien été endommagées, mais l'offensive n'aurait pas permis de détruire les centrifugeuses et l'uranium hautement enrichi des sites selon des sources proches du dossier citées par CNN.

Le programme nucléaire retardé de "quelques mois" à "deux ans"

Une des sources de CNN affirme que les centrifugeuses permettant d'enrichir l'uranium sont pour la plupart "intactes". L'évaluation de la DIA conclut donc que les Etats-Unis n'ont pas détruit le programme nucléaire de l'Iran, mais l'ont "retardé de quelques mois, au maximum" selon cette même source.

Un autre évaluation, israélienne cette fois, des dégâts infligés aux sites nucléaires iraniens constate des dommages moins importants que prévu à Fordo. Mais la Commission israélienne de l'énergie atomique a présenté l'installation d'enrichissement de Fordo "inopérante" dans un communiqué publié le 25 juin. "Nous estimons que les frappes [...] ont retardé de plusieurs années la capacité de l'Iran à développer des armes nucléaires. Cet exploit pourrait perdurer indéfiniment si l'Iran n'obtient pas accès aux matières nucléaires", ajoute la Commission. 

Si les premiers rapports ont été rendus, l'analyse des dommages causés aux sites nucléaires iraniens est encore en cours et peut évoluer. Héloïse Fayet, chercheuse spécialiste du nucléaire et du Moyen-Orient, prévient d'ailleurs sur X que le rapport du DIA est très partiel : "Les éléments ont probablement été acquis grâce à des images (satellites, drones), car l'accès physique aux installations ne semble pas possible actuellement. Or, ces images ne permettent évidemment pas de voir l'intérieur des sites".  Le chef d'état-major interarmées américain et le porte-parole de l'armée israélienne ont indiqué qu'il était "bien trop tôt" pour s'avancer sur les capacités nucléaires restantes de l'Iran, mesurant les propos de Donald Trump et Benyamin Nétanyahou.

Le rapport de la DIA a été jugé "non-concluant" par Donald Trump lors de son déplacement au sommet de l'OTAN à La Haye, le mercredi 25 juin. La porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, a d'ailleurs assuré que l'évaluation des renseignements du Pentagone était "tout à fait erroné".

De l'uranium protégé et caché

Si les frappes américaines ont bien infligé des dommages aux trois sites nucléaires de Natanz, Fordo et Ispahan, elles n'ont pas détruit tous les stocks d'uranium enrichis dont disposait le pays. Le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, a déclaré dimanche à CNN que l'Iran avait "protégé" un stock de 400 kg d'uranium enrichi à 60 %. Pour rappel, l'uranium doit être enrichi à 90 % pour permettre la fabrication d'une bombe atomique.

L'Iran pourrait avoir mis en lieu sûr des quantités plus importantes d'uranium enrichi selon Kelsey Davenport, directrice de la politique de non-prolifération à l'Association pour le contrôle des armements. "Les frappes ont endommagé des installations nucléaires iraniennes clés. Mais Téhéran a eu amplement le temps avant les frappes de transférer son stock d'uranium de qualité quasi militaire vers un lieu secret, et il est probable qu'il l'ait fait", a-t-elle déclaré à CNN. Des images satellites prises avant les frappes américaines permettent également de voir des lignées de camions se rendre puis quitter les sites d'enrichissement en uranium de l'Iran.

Peut-on détruire le programme nucléaire iranien ?

Les spécialistes en non-prolifération des armes nucléaires s'accordent à dire depuis des années qu'il est presque impossible de détruire la totalité des infrastructures nucléaires iraniennes par de simples bombardements. Le programme existe depuis plusieurs décennies et n'a jamais été mis hors d'état, malgré l'opposition unanime des forces occidentales à la confection d'une arme nucléaire au profit de l'Iran.

Et si des bombes peuvent endommager des installations, elles ne sont pas en mesure de détruire le savoir-faire iranien ou l'uranium enrichi qui resteront acquis au paus a expliqué l'expert en non-prolifération Joseph Cirincione dans l'émission The Lead. Ces connaissances permettront au pays de rebâtir des infrastructures nécessaires et les stocks d'uranium de reprendre l'enrichissement jusqu'à atteindre le taux de 90 %. Un autre expert en armement, Jeffrey Lewis, a indiqué à CNN avoir examiné les images satellites commerciales des sites visés et estime que le programme nucléaire iranien n'a pas pris fin. "Le cessez-le-feu est intervenu sans qu'Israël ni les États-Unis n'aient pu détruire plusieurs installations nucléaires souterraines clés, notamment près de Natanz, Ispahan et Parchin. Ces installations pourraient servir de base à la reconstitution rapide du programme nucléaire iranien".