Brexit : un accord trouvé, le résumé d'un long divorce

Brexit : un accord trouvé, le résumé d'un long divorce Après dix mois de négociations, l'Union européenne et le Royaume-Uni sont (enfin) parvenus à un accord historique sur le Brexit. "Un accord équilibré", selon la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen.

[Mis à jour le 24 décembre 2020 à 19h22] L'accord se faisait attendre ces derniers jours, et c'est chose faite : les négociateurs ont finalisé les modalités de libre-échange entre le Royaume-Uni et l'Union Européenne. Un accord qui vient entériner le Brexit : le divorce entre les Britanniques et l'UE est enfin scellé. Un soulagement de chaque côté de la Manche : un no-deal aurait eu des conséquences économiques graves, en entraînant par exemple une hausse des frais de douane. Les autorités britanniques ont d'ailleurs fait d'énormes concessions sur des points liés à la pêche notamment. Les Français en Grande Bretagne pourront y rester s'ils s'enregistrent (d'ici la fin de l'année) avec un statut de résidant. Rien à craindre dans l'autre sens, les Britanniques bénéficient de la réciprocité.

Le Royaume-Uni quittera donc le marché unique d'ici le 31 décembre 2020 après un long feuilleton politico-médiatique de quatre ans. "Le chemin a été long et semé d'embuches, mais nous sommes parvenus à un accord équilibré, dans l'intérêt des deux parties", réagit Ursula Von Der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui précise que c'est un accord "pour lequel il fallait se battre". "Cet accord commercial va permettre de protéger les intérêts européens, dans l'intérêt du Royaume-Uni, ajoute l'ancienne ministre de la Défense allemande. Il posera les fondations solides d'un nouveau départ avec un ami de longue date. Nous pouvons finalement laisser le Brexit derrière nous, l'Europe continue d'avancer." Dans quelques jours, de grands changements sont à prévoir pour les entreprises et les citoyens. Cet accord de libre-échange repose sur de nouvelles règles, dont un partenariat économique et social "sans précédent" (transport aérien, énergie, pêche, climat...). À noter que le Royaume-Uni ne participera plus au programme Erasmus, un système propre au Royaume-Uni doit être instauré pour permettre aux étudiants d'étudier en Europe et dans le monde entier. 

Un accord "bon pour tout le monde" assure Boris Johnson

Rapidement, les autorités britanniques ont réagi et exprimé leur satisfaction. En conférence de presse, le Premier ministre Boris Johnson évoque "un accord bon pour tout le monde" et une "liberté retrouvée". "Nous avons repris le contrôle de nos lois et de notre destin" s'est-il réjoui. Ses prédécesseurs, Theresa May et David Cameron, qui ont eux aussi joué un rôle dans le Brexit, ont salué sur Twitter un accord commercial "vraiment bienvenu", "une étape indispensable pour construire une nouvelle relation avec l'UE comme amis, voisins et partenaires" qui apportera "de la confiance aux entreprises" et contribuera à "maintenir le flux des échanges". De son côté, la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon, opposée au Brexit, a rappelé son mécontentement face à cet accord. "Il est temps de tracer notre propre avenir en tant que nation européenne indépendante" a-t-elle affirmé. Emmanuel Macron, a de son côté salué "l'unité et la fermeté européennes". "L'Europe avance et peut regarder vers l'avenir, unie, souveraine et forte" a-t-il conclu sur son compte Twitter. 

Qu'est-ce que le Brexit ?

La définition théorique du Brexit est simple : il s'agit de l'option d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ("British exit"). Cette idée est présente depuis des décennies dans une large frange de l'opinion britannique, eurosceptique voire clairement europhobe. La Grande-Bretagne, qui n'a jamais fait partie de l'espace Schengen et n'a jamais adopté l'euro, a d'ailleurs toujours gardé ses distances avec certains traités de l'UE, et ce depuis sa création. Margaret Tatcher a longtemps incarné cette méfiance vis-à-vis des instances européennes utilisant même une phrase restée célèbre en 1979 : "I want my money back" ("je veux récupérer mon argent"), pour dénoncer le fait que la Grande-Bretagne payait plus qu'elle ne recevait de l'UE à l'époque.

Plus récemment, en 2007, David Cameron, alors leader de l'opposition conservatrice, promettait qu'un référendum serait organisé sur le traité de Lisbonne si la droite arrivait au pouvoir. Le traité de Lisbonne venait alors d'être signé par le Royaume-Uni et son Premier ministre travailliste Gordon Brown en vue de remplacer le projet de Constitution européenne. En 2010, David Cameron remportera finalement les législatives, puis il sera réélu, à la surprise générale, lors des élections de 2015, avec la même promesse de campagne. Et celle-ci lui a ensuite été régulièrement rappelée, notamment par la frange la plus conservatrice de son parti politique, les "Tories". La succession de crises européennes, sur les dettes souveraines comme sur l'accueil des réfugiés, aura poussé le Premier ministre à concrétiser son engagement lors de son second mandat.

Quel a été le résultat du référendum sur le Brexit ?

Le 10 novembre 2015, manifestement poussé dans ses derniers retranchements, le Premier ministre britannique a d'abord présenté dans une lettre les exigences de la Grande-Bretagne pour rester dans l'UE. Des exigences qui ont été discutées et qui ont fait l'objet d'un accord lors d'un sommet européen les 18 et 19 février 2016. C'est fort de cet accord que David Cameron est revenu à Londres, défendant dès lors ouvertement le maintien de son pays dans l'Union européenne. Mais politiquement, il semblait acrobatique voire suicidaire de renier sa promesse de consultation publique. Le locataire du 10 Downing Street a donc annoncé, dès le 20 février 2016, à la sortie du conseil des ministres, un référendum pour le 23 juin 2016, tout en militant pour le "non" au Brexit. Face à une presse et à des conservateurs sceptiques sur l'accord obtenu, David Cameron a admis avoir "quatre mois pour convaincre".

Le 23 juin 2016, le référendum sur le Brexit a finalement donné raison aux partisans du "leave". Quelque 33,5 millions de Britanniques d'Angleterre, d'Ecosse, du Pays de Galles et d'Irlande du Nord ont voté et parmi eux, 17,4 millions se sont prononcés en faveur du Brexit, soit 51,9% des suffrages. Ils étaient 16,1 millions à se prononcer pour rester dans l'UE, soit 48,1% des votants. Le vote pro-Brexit va provoquer une secousse dans toute l'Europe, à commencer par Londres, où David Cameron, favorable au référendum, mais aussi au maintien dans l'Union européenne, va annoncer sa démission.

Qu'est-ce que le "hard Brexit", scénario longtemps redouté ?

Le "hard Brexit" est le scénario imaginé depuis le départ par les tenants d'un Brexit "dur", autrement dit négocié avec l'Union européenne, mais sans concessions ou presque. Il s'agit pour ces militants, dont Theresa May faisait partie à l'origine ainsi que Boris Johnson, de sortir du marché unique, de mettre fin à l'union douanière et à la libre circulation des citoyens européens au Royaume-Uni et de ne plus connaitre la compétence de la Cour de justice de l'UE.

Le credo des tenants du "hard Brexit" à l'origine : "Pas d'accord vaut mieux qu'un mauvais accord". Cette position radicale, qui était encore celle du 10 Downing Street en janvier 2017, mais elle a depuis progressivement évolué. De sommets en négociations, cette perspective s'est éloignée.

Comment se sont déroulées les négociations sur le Brexit ?

Le Brexit a toujours été une affaire de dates.  Si les Britanniques ont voté pour la sortie de leur pays de l'Union européenne le 23 juin 2016, le processus de sortie de l'UE n'aura pas été facile pour autant. D'innombrables séquences de négociations ont été menées mais se sont heurtées à chaque fois à des différents, d'un côté comme de l'autre : 

Le 13 juillet 2016, Theresa May prend officiellement la place de David Cameron au poste de Premier ministre britannique. Ce dernier avait lui-même souhaité un référendum pour une sortie de l'UE, mais avait fini par se rallier au maintien. Désavoué, il a donc été contraint à la démission. Entre le 13 juillet 2016 et le 2 octobre 2016, Theresa May définit les contours de son programme pour mener à bien ce Brexit. La cheffe du gouvernement s'oriente clairement vers un "Brexit dur", avec un discours resté dans les mémoires en janvier 2017 ("Pas d'accord vaut mieux qu'un mauvais accord", dira-t-elle à cette occasion).

Le 29 mars 2017 Theresa May active l’article 50 du traité européen, qui lance officiellement les négociations de sortie de l’Union européenne. C'est donc le point de départ des négociations entre Londres et Bruxelles... mais aussi de leurs désaccords. La ligne dure fixée par May ne convient pas aux européens. La question de la frontière nord-irlandaise pose immédiatement problème, Bruxelles comme Londres souhaitant à tout prix éviter le retour d'une frontière dure, qui fragiliserait la paix dans la région. Cette première vague de négociations aboutit à un fléchissement de Theresa May.

Le 8 juillet 2018, la Première ministre est affaiblie après des législatives anticipées qui renforcent les unionistes nord-irlandais et le Parti travailliste. Elle opère alors un virage qui lui coûtera cher au sein de son parti : elle s'oriente clairement vers un Brexit plus doux, entraînant de multiples défections chez les conservateurs, dont celle d'un certain Boris Johnson, alors secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Pire : alors que May croit se plier aux exigences des Vingt-sept, ces derniers la désavouent en refusant son plan le 20 septembre 2018.

Le 13 novembre 2018, de nouvelles négociations aboutissent à un accord à Bruxelles. Il sera même validé le lendemain, le 14 novembre 2018, par le gouvernement britannique avant un sommet de chefs d'Etat européens le 25 novembre 2018 qui fait encore avancer le Brexit avec une date de sortie fixée au 29 mars 2019. Reste à Theresa May de convaincre les députés de son pays, mais de crainte de ne pas avoir de majorité pour valider l'accord, elle décide, le 11 décembre 2018, de reporter le vote au mois de janvier 2019. Le 15 janvier 2019, c'est un camouflet pour elle : 432 voix contre 202 rejettent l'accord à la chambre des Communes.

Entre le 29 et le 30 mars 2019, le Brexit est officiel à minuit. Le Royaume Uni perd certains de ses droits au sein de l'UE, mais une période de transition est alors entamée pendant laquelle le Royaume Uni reste dans l'union douanière et le marché intérieur. La sortie effective est d'abord fixée au 22 mai 2019, puis au 31 octobre 2019 suite à de nouveaux rejets du Parlement britannique et à un échec d'entente avec Jeremy Corbyn, le chef du principal parti d'opposition. Le 24 mai 2019, Theresa May annonce sa démission les larmes aux yeux, consciente de n'être pas parvenue à mener à bien le Brexit.

Le 24 juillet 2019, c'est naturellement Boris Johnson, le chef du parti conservateur, qui lui succède officiellement, annonçant sa volonté de faire respecter le vote de juin 2016 et promettant une sortie au 31 octobre 2019 coûte que coûte. Ses manoeuvres à la tête du gouvernement pour tenir ses engagements provoqueront des tollés. D'abord, l'ancien maire de Londres annonce sa volonté de suspendre le Parlement britannique pendant un mois et jusqu'à deux semaines avant la date fatidique.

Le 3 septembre 2019, rentrée parlementaire des députés et nouveau camouflet pour Johnson avec des défections dans son propre camp, jusqu'à sa perte de la majorité aux Communes. Une loi est alors votée pour forcer le chef du gouvernement à demander un énième report du Brexit si aucun accord n'est trouvé avec Bruxelles d'ici au 31 octobre 2019.

Le 17 octobre 2019, lors d'un sommet européen, un accord est conclu entre l'UE et l'exécutif britannique. Deux jours plus tard, les parlementaires d'outre-Manche refusent de se prononcer sur cet accord, usant de plusieurs stratagèmes pour ne pas procéder au vote... avant de finalement voter une première validation, mais d'exiger plus de temps (au-delà du 31 octobre donc) pour examiner le texte. Un report au 31 janvier 2020, conforme à la demande contrainte de Johnson à l'UE, intervient officiellement le 28 octobre, après l'annonce de Donald Tusk, le président du Conseil européen. Des législatives anticipées ont donc été organisées le 12 décembre 2019 par un vote le 29 octobre 2019 (438 voix pour, 20 voix contre). Boris Johnson, vainqueur du scrutin, est naturellement parvenu à faire passer son accord à Westminster, ne laissant plus rien sur le chemin d'un Brexit au 31 janvier 2020.

Le 24 décembre 2020, à une semaine de la fin de la période de transition et après de longues et complexes négociations, l'Union Européenne et le Royaume-Uni sont parvenus à un accord, "un accord équilibré" selon Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne.

Quelle est la date officielle du Brexit ?

Le 31 janvier 2020, le Brexit devient donc effectif. Le Royaume-Uni quitte l'Union européenne. L'UE a alors vu partir 66 millions de ses habitants et son territoire diminué de 5,5%. Le Royaume-Uni est devenu par la même occasion un pays tiers politiquement : les 73 eurodéputés qui siégeaient jusqu'alors au Parlement européen ont quitté l'hémicycle. Par ailleurs, les Britanniques ne peuvent plus prétendre à des postes de fonctionnaires à Bruxelles, comme par exemple de haut-commissaire. Le Premier ministre Boris Johnson n'est plus invité aux sommets européens.

Pour le reste, rien ou presque n'a changé à cette date : les expatriés, qu'ils soient Européens vivant au Royaume-Uni ou Britanniques vivant dans l'UE, les droits de travailler et de résider sont restés les mêmes. Pour les touristes, la libre circulation est aussi restée en vigueur et il n'était donc pas nécessaire de prévoir autre chose qu'une simple carte d'identité pour passer d'un côté ou de l'autre de la Manche. Les contrôles aux accès de l'Eurostar, de l'Eurotunnel, aux ferrys ou aux avions sont restés identiques, comme le permis de conduire, les frais d'itinérance pour les mobiles...

Ce statuquo s'explique par l'extrême difficulté pour l'UE et la Grande Bretagne de trouver un accord. Le 31 janvier 2020, le Brexit est en réalité entré dans une nouvelle période "de transition", qui devait courir jusqu'au 31 décembre 2020. Pendant ces onze mois, l'UE et le Royaume-Uni devaient encore négocier leurs relations futures (relations commerciales, sécurité, renseignement, accès aux eaux internationales, aviation civile...) et c'est peu de dire que ce nouveau round de négociations aura été complexe.

Parmi les principaux points d'achoppement, se trouvait la question lancinante de la pêche. L'UE voulait conserver un accès aux eaux poissonneuses britanniques, mais le Royaume-Uni, qui en a fait un symbole de sa souveraineté retrouvée, préférait un maintien de la situation actuelle pendant trois ans seulement, délai après lequel il aurait voulu décider des droits de pêche qu'il accorderait. Une situation précaire inacceptable pour le négociateur en chef de l'UE Michel Barnier qui réclamait "rien de plus qu'un équilibre entre les droits et les obligations, et la réciprocité s'agissant de l'accès aux marchés et aux eaux". "Il ne serait ni juste ni acceptable que les pêcheurs européens n'aient dans les eaux britanniques que des droits transitoires qui s'évaporeraient un jour alors que tout le reste de l'accord notamment pour les entreprise britanniques, lui, resterait stable", avait-il résumé à la mi-décembre.

Les deux autres sujets qui bloquaient les discussions, les conditions de concurrence équitable et la gouvernance du futur accord, ont été plus rapidement dépassés. Si Boris Johnson a plusieurs fois fait savoir qu'il excluait tout report de la fin de cette période de transition en 2021, Bruxelles a plusieurs fois évoqué la possibilité que ce scénario intervienne.

XXIe siècle