McKinsey : une deuxième enquête ouverte, où en est l'affaire ?

McKinsey : une deuxième enquête ouverte, où en est l'affaire ? MCKINSEY. Le cabinet de conseils américain McKinsey visé par enquête depuis mars, fait l'objet d'une seconde information judiciaire concernant ses liens avec Emmanuel Macron et d'éventuels financements politiques.

L'affaire McKinsey entame un deuxième chapitre avec l'ouverture d'une seconde enquête par le parquet national financier (PNF). Le jeudi 24 novembre, Le Parisien a laissé échapper que deux nouveaux chefs d'accusation, ceux de "favoritisme" et de "financement illégal de campagne électorale", étaient retenus dans les investigations menées sur le cabinet de conseils américain. Emmanuel Macron est aussi visé par l'information judiciaire pour les liens que lui et son entourage entretiennent avec l'entreprise privée. Les trois juges d'instruction chargés de l'affaire doivent déterminer, entre autres, si le nombre grandissant de contrats conclus par le gouvernement avec le cabinet de conseils entre 2018 et 2021 est une contrepartie à des financements politiques assurés par l'entreprise américaine, des financements qui auraient notamment pu servir à la campagne présidentielle du chef de l'Etat en 2017.

Les investigations sont toujours en cours mais des liens entre McKinsey et le président de la République sont déjà établis. Le Parisien rappelle que des consultants ou anciens salariés du cabinet occupent aujourd'hui des postes dans les cabinets ministériels ou travaillent en interne au parti macroniste La République en Marche. La nouvelle enquête s'ajoute à celle menée depuis le 31 mars, toujours par le PNF, pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale". A l'époque, c'est un rapport du Sénat faisant remarquer le recours de plus en plus important aux cabinets de conseils privés, dont McKinsey qui ne paierait pas d'impôts en France, qui avait justifié l'ouverture d'une enquête. 

Qu'est-ce que McKinsey France ? 

La société McKinsey & Company est une entreprise fondée en 1926 aux Etats-Unis et dont les missions sont de fournir des conseils en stratégie à des sociétés privées tout comme à des entités publiques. Présente dans 65 pays à travers le monde, elle est notamment installée en France. Deux bureaux sont ouverts : l'un à Paris, sur les Champs-Elysées, l'autre à Lyon. Dans l'Hexagone, la firme compte environ 600 salariés.

Quelles missions McKinsey a-t-il effectué pour l'Etat ? 

Sous le mandat d'Emmanuel Macron, le cabinet McKinsey a été chargé de plusieurs missions. Il a notamment, pendant deux ans et avec le cabinet Accenture, été chargé d'évaluer la stratégie nationale de santé (coût : 1,2 million d'euros). C'est lui qui a également été missionné pour contrôler la viabilité des solutions informatiques de la CAF dans le cadre de la réforme des APL (3,88 millions d'euros). Surtout, de novembre 2020 à février 2022, McKinsey a été chargé de la campagne vaccinale avec l'organisation logistique, la mise en place d'indicateurs et d'outils de suivi ou encore l'établissement d'un plan d'action pour la campagne de rappel pour la 3e dose de vaccin anti-Covid.

Pourquoi McKinsey est-il au cœur d'une polémique ?

Depuis le 16 mars, le sujet McKinsey est régulièrement évoqué dans les médias. Mais trois choses, résumée sous "l'affaire McKinsey", sont à distinguer : d'abord, la colossale augmentation en 2021, par l'État, des dépenses pour faire appel à des cabinets de conseils (voir graphique ci-dessous), dont McKinsey ; la conclusion du rapport sénatorial affirmant que McKinsey ne paie pas d'impôts en France depuis dix ans ; puis l'existence de liens apparentés à du "favoritisme" entre l'entreprise et Emmanuel Macron. C'est pour le deuxième aspect que le nom du cabinet américain est principalement ressorti du travail des sénateurs, le troisième point n'ayant été mis en évidence qu'un peu plus tard.

Évolution des dépenses de conseil des ministères selon un rapport du Sénat
© Rapport du Sénat

McKinsey paie-t-il ses impôts en France ? 

Au cours de leur travail d'enquête, les sénateurs ont interrogé les différentes parties prenantes du dossier, dont McKinsey. Karim Tadjeddine, directeur associé de la société à Paris et co-responsable de l'activité "secteur public", a répondu aux questions des parlementaires le 18 janvier 2022. Questionné notamment sur la situation fiscale française de l'entreprise, il avait alors affirmé : "Je le dis très nettement : nous payons l'impôt sur les sociétés en France." Une déclaration mise à mal par les investigations des sénateurs. Ces derniers affirment en effet que McKinsey n'a pas payé d'impôt sur les sociétés en France depuis dix ans. 

L'impôt sur les sociétés est établi à partir des bénéfices réalisés en France au cours d'un exercice annuel. Or, le rapport du Sénat n'évoque que le chiffre d'affaires de l'entreprise, c'est à dire le total des sommes perçues pour l'ensemble des prestations réalisées durant l'année. Il ne prend pas en compte les dépenses. Difficile tout de même d'imaginer que l'entreprise affichant 329 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2020 soit déficitaire.

Les sénateurs émettent donc des doutes sur une éventuelle optimisation fiscale grâce au "prix de transfert" avec la maison-mère de McKinsey. Il s'agit de facturations d'actifs de cette dernière auprès de sa filiale française. Ces dépenses sont considérées, par la législation française, comme des charges, entraînant donc une baisse du résultat net de l'entreprise à la fin de l'année, diminuant ainsi son impôt. C'est par ce biais, légal, que McKinsey France parviendrait à ne pas payer d'impôts sur les sociétés, dont il est ici uniquement question.

En mai 2022, l'enquête du PNF a conduit à une perquisition dans les locaux du siège de la branche française de la société, situés sur les Champs-Elysées. L'entreprise a alors réaffirmé "respecter les règles fiscales et sociales françaises qui lui sont applicables". La cabinet a également insisté sur sa pleine collaboration avec les autorités et promis de fournir toutes les informations demandées. Un discours qui avait déjà état tenu un mois plus tôt dans un communiqué : "L'approche fiscale appliquée par McKinsey est similaire dans les pays où il est présent et constante depuis des années. Cette approche est conforme avec les principes directeurs de l'OCDE, et a été partagée avec l'administration fiscale française."

Combien l'État a-t-il versé à McKinsey ?

Selon une liste publique de missions confiées par l'État au cabinet McKinsey et consultée par Le Monde, la société a, au moins, empoché 27 333 410 euros entre 2018 et 2021. Au moins, car il s'agit là d'une liste non-exhaustive. Par ailleurs, McKinsey a été co-missionné dans toute une série de contrats, dont seul le coût global est donné, sans précision sur la répartition entre les divers cabinets.

A titre d'exemple, en 2018, cinq cabinets se sont partagés un juteux contrat à 82 millions d'euros pour des prestations de conseil auprès du ministère des Armées, ce qui, en cas de répartition égale, aurait permis à chaque cabinet, dont McKinsey, d'empocher 16,5 millions d'euros.

Sans donner de chiffre précis, Olivier Dussopt, à l'époque ministre des Comptes publics, a déclaré mercredi 30 mars : "Les dépenses engagées par l'Etat avec McKinsey en 2021 représentent 5% en matière de conseils en stratégie." Si "les dépenses engagées en matière de conseil en stratégie" englobe la totalité des dépenses comptabilisées par les sénateurs (893,9 millions d'euros), cela correspond à 44,7 millions d'euros. Si cela ne concerne que les prestations à "forte composante stratégique", le montant serait de 22,2 millions d'euros, pour la seule année 2021.

McKinsey est-il le seul cabinet de conseil missionné par l'État ? 

Non. Surtout, c'est loin d'être le principal. Le rapport du Sénat indique qu'entre 2018 et 2020, au moins 2070 cabinets de conseil ont signés des contrats avec l'État. Cependant, 20 d'entre eux ont concentré… 55 % des marchés attribués. Et McKinsey n'a concentré que 1 % de ces contrats. C'est Eurogroup qui en a amassé le plus (10%), devant Kior Talent et Capgemini (5 % chacun) ou encore Ispsos (4%).

Des liens étroits entre McKinsey et LREM

Si McKinsey est l'un des cabinets de conseil utilisé par l'État, la société était déjà très proche d'Emmanuel Macron lorsque celui-ci s'est présenté à l'élection présidentielle de 2017. Officiellement, la firme n'a joué aucun rôle dans la victoire de l'ancien ministre de l'Economie. Pour autant, le chef de l'État a pu compter sur l'aide de plusieurs membres du cabinet, tels que Karim Tadjeddine, Eric Hazan ou encore Guillaume de Ranieri, comme l'indiquait Le Monde. Par ailleurs, deux autres salariés de McKinsey s'étaient même engagés à La République en Marche, dont Paul Midy, désormais directeur général de LREM,  et Ariane Komorn, chargée du pôle engagement jusqu'en 2021.

Un conflit d'intérêt entre Laurent Fabius et son fils Victor, directeur-associé chez McKinsey ? 

En France, la gestion de la crise sanitaire du Covid-19 a fait l'objet de nombreuses critiques. A l'époque du début de la vaccination et de la mise en place du pass sanitaire, le nom du cabinet McKinsey avait déjà été sorti. Non sans créer de polémique. Car un certain Victor Fabius y est directeur associé ; ce dernier est à la tête de l'un des pôles français de la société. Victor Fabius n'est autre que le fils de Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, chargé, à cette période de valider ou non la mise en place de l'outil de contrôle de la vaccination. Pour certains, cela ne faisait aucun doute : les Sages avaient donné leur feu vert pour faciliter les affaires du fils Fabius. Des questions de conflits d'intérêts avaient alors été soulevées. 

Or, ce n'est pas le Conseil constitutionnel qui a passé le marché, mais la Direction générale de la Santé. Et il s'agissait de missions logistiques. D'autres cabinets avaient par ailleurs été mandatés pour d'autres aspects du déploiement de la vaccination. Par ailleurs, Victor Fabius est chargé du pôle "Marketing et Ventes". C'est Karim Tadjeddine qui est responsable de l'activité "Secteur public".

Le recours aux cabinets de conseil, c'est nouveau ?

Là encore, ces cabinets de conseil ne sont pas une nouveauté. Tant sous le quinquennat d'Emmanuel Macron que lors des précédentes mandatures. A titre de comparaison, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, pour 1000 euros de dépenses de fonctionnement, entre 2 et 4 euros étaient des dépenses de conseil, contre autour d'1,50 euros avec François Hollande. Un montant qui s'est stabilisé jusqu'en 2018 avec Emmanuel Macron.