Affaire des assistants du RN : tout comprendre au procès de Marine Le Pen et de son parti
Marine Le Pen et 24 autres membres du Rassemblement national sont jugés à partir du lundi 30 septembre 2024 car soupçonnés d'avoir pris part à un système d'emplois fictifs au Parlement européen. Le point sur l'affaire des assistants du RN.
C'est un procès décisif et à hauts risques pour le Rassemblement national (RN). Le parti d'extrême droite, sa cheffe de fille Marine Le Pen ainsi que 24 autres élus et cadres de la formation politique doivent comparaître devant la justice à partir de ce lundi 30 septembre et pendant deux mois dans le cadre de l'affaire des emplois fictifs des assistants au Parlement européen.
Marine Le Pen, présidente du RN (dénommé Front national avant 2018) jusqu'en 2021, ainsi que 9 personnes élues au Parlement européen, 12 assistants parlementaires et 4 collaborateurs du parti seront jugés par le tribunal correctionnel de Paris pour détournement de fonds publics et complicité de détournement de fonds publics. Ils sont accusés d'avoir, entre 2004 et 2016, utilisé les fonds alloués par le Parlement européen aux eurodéputés du parti d'extrême droite pour financer le fonctionnement du RN. Le préjudice est estimé à près de 7 millions d'euros.
Qu'est-il reproché à Marine Le Pen et aux membres du RN ?
Les éléments d'enquête et les témoignages de plusieurs témoins suggèrent que le RN aurait mis en place un vaste système d'emplois fictifs dans le but de rentabiliser le financement alloué par le Parlement européen. C'est en 2014, après l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti et lorsque le RN passe de 3 à 24 élus au Parlement européen que l'affaire prend de l'ampleur. Chaque député peut alors recevoir une enveloppe de 21 000 euros par mois pour financer le recrutement d'assistants parlementaires. Une manne financière grâce à laquelle le parti, qui connait de grosses difficultés à l'époque, a voulu se remettre à flot à moindre coût.
Selon les accusations, lors d'une réunion du 4 juin 2014, ordre aurait été donné à chacun des 24 eurodéputés du RN de recruter un assistant parlementaire chargé de l'épauler et de laisser tous les autres assistants parlementaires pouvant être recrutés à disposition du parti. Ladite consigne est rapportée par Nicolas Franchinard, un ancien assistant parlementaire auprès de trois anciens élus du RN qui a témoigné auprès de Médiapart, et est mentionnée par des élus.
Les soupçons d'emplois fictifs éclatent en 2015 avec la publication d'un nouvel organigramme du RN sur lequel figure une vingtaine de noms d'assistants parlementaires à des postes à responsabilité au sein du parti. Un cumul de fonctions à l'origine des soupçons sur des emplois fictifs qui pousse le président du Parlement européen de l'époque, Martin Schulz, a signalé la situation. L'enquête commence alors et il s'avère que les assistants parlementaires travaillant effectivement au Parlement européen ne connaissent ne connaissent pas plusieurs autres assistants soupçonnés d'emploi fictif comme l'indique Nicolas Franchinard à Médiapart.
Quelles sont les preuves contre le RN et Marine Le Pen ?
Plusieurs éléments permettant de confirmer la consigne initiale donnée par la direction du parti concernant le recrutement d'assistants parlementaires et à quelles fins ont été obtenu, notamment des comptes rendus de réunion ou encore les déclarations de plusieurs anciens eurodéputés. C'est le cas d'Aymeric Chauprade qui a témoigné auprès de Médiapart et Complément d'enquête en 2017 avant de se rétracter et de remettre en cause ses déclarations. Sophie Montel, qui a été députée européenne du RN de 2014 à 2019, a également révélée cette consigne émanant de la direction du parti d'extrême droite dans son live paru en 2019, Bal tragique au Front national. Trente ans au cœur du système Le Pen. Elle a même cité une déclaration de la direction du parti : "Je vous indique que vous aurez le choix de recruter par vous-même un assistant et que le reste de votre enveloppe d'assistance parlementaire sera mis à disposition du parti".
Des documents obtenus lors de différentes perquisitions, notamment des échanges de mails tendent à montrer qu'un "système de détournement" des fonds publics a été mis en place "de manière concertée et délibérée" selon les juges d'instruction. Il y a par exemple un échange dans lequel le trésorier du FN de l'époque, Vallerand de Saint-Just indique à Marine Le Pen que le parti "[ne s'en sortira] que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen et si nous obtenons des reversements supplémentaires".
Des mises en garde émanant de certains eurodéputés contre le caractère illégal de cette organisation comparable à un système d'emplois fictifs ont été adressées au cabinet de Marine Le Pen et au trésorier selon des mails consultés par Médiapart. Lesquels semblaient, d'après ces mêmes mails, au courant de l'aspect frauduleux du système. Marine Le Pen a toujours nié être impliquée dans la gestion des fonds parlementaires et a simplement indiqué avoir été informée des recrutements effectués par les eurodéputés ainsi que de la gestion centralisée des fonds parlementaires censés, selon la défense du parti, faciliter la tâche aux parlementaires et aux assistants.
Quelles condamnations encourent Marine Le Pen et les prévenus au procès du RN ?
L'ancienne patronne du RN risque gros avec ce procès : elle encourt jusqu'à dix ans de prison, un million d'euros d'amende et une peine d'inéligibilité pouvant aller jusqu'à 10 ans conformément à l'article 131-26-1 du Code pénal. Cette condamnation la priverait de candidature à la présidentielle dans trois ans. L'ensemble des prévenus encourt les mêmes peines.
Le Rassemblement national se dit toutefois confiant et certain de son innocence avant le début du procès, Marine Le Pen en tête. "Nous n'avons pas peur de ce procès. Nous y allons la tête haute avec des arguments" a déclaré le porte-parole du parti Laurent Jacobelli sur Franceinfo le 30 septembre. Quant au risque d'inéligibilité de Marine Le Pen "nous n'y croyons pas" ajoute le député.
Que sont les faux documents fournis par le RN pour se défendre ?
Pour contrer les soupçons sur les emplois fictifs du RN au Parlement européen, des documents censés prouver l'effectivité du travail des assistants parlementaires ont été apportés par certains membres du parti, dont Jordan Bardella. Le journaliste de Libération, Tristan Berteloot, revient sur ces faux documents dans un livre enquête et avance que "pour camoufler cet emploi fictif, l'actuel président du RN a aidé à produire de fausses preuves de travail", notamment "agenda bidon" et une "revue de presse antidatée et paraphée de sa main".
Le président du RN est accusé d'avoir occupé de manière fictive un emploi et d'avoir été rémunéré par le Parlement européen alors qu'il travaillait au profit du parti, mais il n'est pas poursuivi dans le cadre du procès. A l'époque, il était employé pour un CDD à mi-temps contre le rémunération de 1 200 euros mensuel. Selon Libération, Jordan Bardella n'a pas été poursuivi pour "ne pas alourdir un dossier déjà conséquent".
L'eurodéputé Nicolas Bay, mis en cause dans le procès qui s'ouvre le 30 septembre, a également fourni des documents à la justice pour prouver son travail effectif de parlementaire, ainsi que celui de son assistant de l'époque, Timothé Toussaint, selon une enquête de Franceinfo et Complément d'enquête. Les documents soulèvent certaines incohérences, notamment liées à des dates ou la mises en avant de contenus et de sujets ultérieurs à la période ciblées alors que les revues de presse ont été présentées comme des éléments réalisés entre 2014 et 2015. Nicolas Bay se défend en assurant n'avoir "jamais prétendu auprès de la justice ni auprès de quiconque que ces documents, dans leur forme fournie à la juge, dataient de 2014" et maintient qu'il "n'y a aucune fausse preuve de travail" rapporte Franceinfo.