Procès France Télécom : la peine enfin prononcée, retour sur une affaire hors-norme

Procès France Télécom : la peine enfin prononcée, retour sur une affaire hors-norme FRANCE TELECOM - L'affaire avait éclaté à la fin des années 2000, suite au suicide de plusieurs employés de France Telecom. Dix ans plus tard, le jugement a été rendu ce 20 décembre : les dirigeants de l'entreprise ont été condamnés pour harcèlement moral.

[Mis à jour le 20 décembre 2019 à 19h28] Ce 20 décembre, la justice a rendu son jugement dans l'affaire de harcèlement moral au sein de l'entreprise France Telecom, devenue Orange. A la fin des années 2000, dix-neuf employés de l'entreprise du CAC40 s'étaient suicidés. Michel Deparis était l'un d'entre eux. Avant de mettre fin à ses jours, il avait expliqué son geste dans une lettre, dénonçant "le management par la terreur" de ces employeurs, et incriminant France Telecom en ces termes : "Je me suicide à cause de France Télécom. C'est la seule cause." Ce vendredi a eu lieu le dénouement du procès qui s'est déroulé du 6 mai au 11 juillet 2019, pour harcèlement moral institutionnel. Sept dirigeants de l'entreprise comparaissaient alors devant la justice, et tous ont été jugés coupables.

Didier Lombard, président-directeur général de 2005 à 2010, mais aussi Louis-Pierre Wenès, alors numéro 2 de l'entreprise, et Olivier Barberot, directeur des ressources humaines au moment des faits, ont tous les trois écopé d'un an de prison dont huit mois avec sursis, et 15 000 euros d'amende, pour harcèlement moral sur la période allant de 2007 à fin 2008, mais relaxés pour la période 2009-2010. Les quatre autres responsables mis en examen ont été jugés "complices de harcèlement moral", ils ont été condamnés à quatre mois de prison avec sursis et 5000 euros d'amende. La personne morale France Telecom a quant à elle été condamnée à 75 000 euros d'amende, correspondant à la peine maximale.

Didier Lombard va faire appel

Le jugement rendu, d'une longueur de 345 pages, décrit sans concession la politique managériale de l'entreprise à cette période : "déflation des personnels passée d'élément de contexte à objectif prioritaire", "formation des managers instrumentalisée en soutien à l'objectif", "rémunération indexée sur la déflation", "choix d'une politique à marche forcée" ont été les mots prononcés par la présidente Cécile Louis-Loyant lors de l'énoncé du jugement. La journaliste d'Europe 1 Chloé Triomphe a rapporté sur Twitter des extraits du discours de la présidente : "La particularité de ce délit , le harcèlement moral, est le transfert de culpabilité sur les victimes". Dans le code pénal, le délit de harcèlement moral est défini comme "des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail".

Suite au jugement, l'avocat de Didier Lombard a immédiatement annoncé la volonté de son client de faire appel de cette condamnation. Me Veil a déclaré aux micros des médias présents : "Qu'est ce qu'un plan de licenciement raisonnable ? Est-ce que ça se joue aux dés, au loto ? Ça n'a pas de fondement juridique et c'est contraire à ce que dit le Conseil économique et social. Nous allons évidemment interjeter appel". Concernant l'état d'esprit de Didier Lombard, l'avocat déclare qu'il "ne se sent absolument pas coupable de harcèlement moral et le dira devant la Cour d'appel".

Des départs "par la fenêtre ou par la porte"

Les cas de 39 salariés, dont 19 se sont suicidés, 12 ont fait une tentative de suicide, et 8 ont subi une dépression ou un arrêt de travail, selon l'AFP, avaient été examinés lors du procès. Concernant les victimes, des dommages et intérêts ont été prononcés par la justice. Les quatre enfants de Rémy Louvradoux, qui s'était immolé par le feu en 2011, recevront chacun 30 000 euros au titre du préjudice subi. Les 118 personnes qui constituaient les parties civiles, recevront 10 000 euros au titre des dommages et intérêts. Me Topaloff, avocate des parties civiles, a exprimé sa "satisfaction pour l'ensemble des victimes".

Me Teissonnière, qui défend également les intérêts des parties civiles, avait parlé d'un "immense accident du travail organisé par l'employeur". A l'origine, les plans "NExT" et "Act", mis en place par France Telecom pour apporter des profondes modifications à l'entreprise de plus de 100 000 salariés, prévoyaient "22 000 départs naturels 10 000 mobilités" entre 2007 et 2010. Selon Le Monde, en 2006, les départs devaient avoir lieu, "par la fenêtre ou par la porte", selon les consignes de Didier Lombard aux cadres de l'entreprise. Or, la plupart des salariés étaient fonctionnaires et ne pouvaient être licenciés. Pour les pousser au départ, une pression a été exercée sur eux, avec des méthodes telles que de multiples e-mails incitant les salariés à quitter leur emploi, des mutations géographiques ou fonctionnelles forcées, ainsi que des baisses de salaires.