Corrida : ces jeunes qui défendent la tauromachie

Corrida : ces jeunes qui défendent la tauromachie Alors qu'une proposition de loi visant à interdire la corrida est débattue à l'Assemblée nationale ce jeudi 24 novembre 2022, de nombreux jeunes se passionnent pour la tauromachie. Six d'entre eux nous en expliquent les raisons.

"Ça a changé ma vie entière." Entre Mélanie et la tauromachie, c'est un véritable coup de foudre qui s'est produit en 2016. Pourtant, cette jeune gardoise était loin d'être branchée corrida, elle qui a grandi loin des arènes. "Avant, je me disais : 'mon dieu, mais ils tuent un taureau: qu'est-ce qu'il se passe ?'" Depuis, son regard a bien changé. Le déclic ? "J'ai fait la rencontre de certaines personnes qui étaient de ce milieu. J'ai passé du temps avec eux et, à les entendre parler du taureau avec autant de passion, je me suis dit que mes idées étaient fausses." A 30 ans aujourd'hui, la néophyte d'alors qui a découvert le monde taurin depuis son village de Vergèze, à 20km au sud de Nîmes, est devenue une professionnelle du secteur, accompagnant désormais des matadors. Un "parcours un peu différent" par rapport à la plupart des aficionados, comme elle le reconnaît elle-même.

Une transmission générationnelle

Jean, 24 ans, va lui aux arènes depuis qu'il a "deux ans.". Une histoire de famille. "Ce sont mes grands-parents qui allaient voir des corridas. J'ai pu aller avec eux et je n'ai jamais arrêté", raconte-t-il. A Pau, où il habite, aucune course n'est organisée. Qu'importe, les "plazas" du sud-ouest lui sont familières, lui qui les arpente tout au long de la saison tauromachique, organisée entre le printemps et le début de l'automne. La transmission générationnelle, c'est aussi ce qui a emmené Marie-Anaïs dans les gradins. "Chez nous, près de Mont-de-Marsan, on a un petit concours réputé et le gagnant de la journée obtient des contrats pour les grandes arènes. Chaque année, c'était le rendez-vous." Aujourd'hui encore, cette Landaise de 25 ans va voir des corridas en famille, notamment pour les fêtes de la Madeleine.

Du côté de Nîmes, principale place de la tauromachie française, Corentin a connu la même histoire. "C'est mon arrière-grand-père qui a commencé à m'emmener aux arènes. J'avais 3-4 ans. Ce sont les rares souvenirs que j'ai avec lui", se remémore cet aficionado de 32 ans. Depuis, la tradition se perpétue : "Aîné de quatre garçons, j'ai transmis ma passion à mes trois frères. Pour mon père, qui y va aussi, c'est un moment de partage avec ses fils."

A l'image de Mélanie, d'autres jeunes qui garnissent aujourd'hui les tribunes des arènes sont arrivés tout seul (ou presque) dans la tauromachie. "Petite, je passais souvent devant les camions des toreros à cheval pendant les férias et j'adorais les regarder se préparer et travailler leurs chevaux. Jusqu'au jour où ma mère m'a proposé de m'y amener, elle qui était aficionada depuis longtemps. Elle ne m'a jamais forcé à y aller", se souvient Manon, 20 ans, de Montpellier. Quant à Matthieu, 31 ans, c'est la curiosité qui l'a poussé à franchir la porte d'une des plus importantes arènes de France, celles de Béziers. "Comme tout bon Biterrois, je fais la féria. Donc je me suis greffé à des amis par souci de découverte, étant très attaché aux traditions et au sentiment d'appartenance."

"Voir comment le torero contient la sauvagerie du taureau"

Ces jeunes de tous horizons ne veulent pas croire aux dernières heures de la corrida. Ce jeudi 24 novembre 2022, son avenir sera pourtant remis en question par Aymeric Caron (député Nupes de Paris) lors de l'étude, par l'Assemblée nationale, d'une proposition de loi visant à interdire sa pratique. Toutefois,  d'aucuns ne veut croire à la fin de ce qu'ils décrivent comme un moment "très spécial, un mélange d'esthétisme, mais aussi d'émotions comme la peur, le tout dans une sorte de communion qui est propre à la pratique" ainsi que l'explique Manon, "l'impression d'être dans une bulle" pour Mélanie. "On est dans une société aseptisée. J'aime bien avoir un rituel avec des codes, une présidence, une multitude de choses à respecter", poursuit Matthieu.

A commencer par le taureau, selon leurs récits. Aux yeux de ces passionnés, l'animal prime sur le reste. "Ce qui me plaît le plus, c'est le taureau. Le premier choix que je fais quand je choisis une corrida, c'est de regarder les élevages qui seront combattus", explique Corentin.  "La partie intéressante, c'est de voir à quel moment le torero parvient à contenir la bravoure et la sauvagerie du taureau et réussit à ne faire qu'un avec un animal qu'on ne peut pas apprivoiser", développe Jean, de façon à ce que le combat "se transforme en quelque chose de doux dans la cape du torero", dépeint Corentin.

"On ne vient pas voir la mort du taureau"

Si la corrida est aujourd'hui remise en question, c'est notamment en raison de la mise à mort de l'animal. Argument entendable pour ces aficionados bien qu'il soit réfuté par les défenseurs de la pratique. "Ça peut paraître barbare et impensable", reconnaît Manon, avant de poursuivre : "Or, cette mort vient d'un véritable combat, dans le respect total de l'animal. Le taureau est admiré par tous les acteurs de la corrida. On ne vient pas voir sa mort mais son combat, sa bravoure, sa force, mais aussi sa noblesse." Comme Mélanie, ces aficionados appellent à "voir au-delà de cette mort." "Il y a tout l'amour de vouloir faire briller ce taureau, de réussir à tirer le meilleur de lui-même et de tout ce qu'il y a autour avec sa vie au campo (élevage, ndlr)", décrit Marie-Anaïs.

"Je ne conçois pas un anti qui n'est pas végétarien. Ça ne lui dérange pas d'aller manger de la viande bovine qui vient des abattoirs." (Matthieu, aficionado de Béziers)

Pour certains, ce sujet de la mort du taureau va au-delà des arènes. "Aujourd'hui, on a tendance à être dans une société qui refuse la mort. Mais une partie, à majorité rurale, ne se cache pas la mort. Quand on voit une barquette de viande, on sait qu'il y a un animal qui a été tué. Or, pour beaucoup, ce n'est pas un animal mort. Des cuisses de lapin dans une barquette, tout va bien ; un lapin entier, ce n'est pas possible. Il y a une question de cacher la mort", argumente Corentin. Même ligne défendue par Matthieu : "Je conçois les antis, mais je ne conçois pas un anti qui n'est pas végétarien. Je ne supporte pas le mec qui va aller manger au McDo le lundi et aller manifester le mardi. Ça ne le dérange pas d'aller manger de la viande bovine qui vient des abattoirs. Pour être un anti, va jusqu'au bout", réclame le Biterrois.

Et Jean de rappeler : "Pour la corrida, il y a un cadre qui doit être respecté. La mise à mort doit être effectuée d'une manière précise. Respecter ce cadre pour respecter le taureau, c'est la chose la plus importante. Il ne faut pas croire que les gens laissent faire le torero comme il l'entend !" La tauromachie est en effet régentée par une multitude de règles, non décryptables au premier coup d'œil. Sans chercher à convaincre, tous préconisent d'être accompagné pour une initiation et mieux comprendre la pratique. "Il faut faire comprendre ce qui est fait, qu'il y a un règlement et qu'on ne fait pas ce qu'on veut", explique Marie-Anaïs.

"M. Caron aborde la corrida avec une vision de Paris, et non locale"

Une initiation à laquelle le député Aymeric Caron ne s'est jamais plié. "J'en ai vu beaucoup en vidéo", a-t-il simplement indiqué dans une interview au Huff Post. De quoi s'attirer nombre de critiques. "Quand on propose une loi, on est censé être pointilleux et compétent sur le sujet. Or, on se rend bien compte que ce n'est pas le cas", cingle Jean. "M. Caron aborde la corrida avec une vision de Paris, et non locale", attaque Manon.

Alors que la proposition de loi a reçu un avis défavorable en commission, elle sera discutée à l'Assemblée nationale ce jeudi. Dans le monde taurin, les états d'esprit divergent avant cette échéance. Corentin est persuadé que les pro-corrida vont "enfoncer le clou", Jean n'est "pas inquiet", Mélanie est "confiante, mais jamais à 100%", quand Marie-Anaïs concède que "la crainte est toujours là" et que Manon se dit "inquiète". Matthieu, lui, fustige "de la démagogie pure et dure" avec cette proposition de loi. Une opposition qui, si elle venait à se confirmer dans l'hémicycle, lui permettrait d'assister, à l'été 2023, au retour espéré de l'ancien numéro 1 français, sur ses terres de Béziers, Sébastien Castella.