Emilie Dequenne (actrice) "Mon personnage dans "Divin Enfant" est une femme bien de son temps"

L'actrice interprète une mère de famille nombreuse bien décidée à passer le réveillon de Noël avec ex-maris et nouveau conjoint dans "Divin Enfant". Une comédie chorale déjantée, au cinéma le 15 janvier 2014, dont elle nous parle avec enthousiasme.

"Interview Emilie Dequenne"

Linternaute.com : Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?
Emilie Dequenne : C'était le côté décalé de la comédie, qui n'est pas que dans le gag. Je trouvais qu'il y avait un côté un peu anglo-saxon à la comédie, le côté déjanté des personnages, le fait que toutes les catastrophes s'amoncellent... Je suis très attirée par ces grands moments de la vie où c'est censé être une fête de retrouvailles, de joie, d'amour, de famille et où les trois quarts du temps ça part quand même très vite en sucette. Je trouvais que, oui, c'était très intéressant à faire. Et puis de jouer aussi un personnage qui me ressemble un peu, j'avoue : un peu dans le contrôle, dans l'envie de recevoir, de bien faire, etc. Ça, ça m'amusait aussi.

Dans le film, votre personnage organise donc un réveillon de Noël où elle invite tous ses ex, ainsi que les ex de son conjoint. Pensez-vous que ce soit possible dans la réalité qu'une telle soirée ne tourne pas au pugilat ?
Alors ça. Je n'en sais rien. Elle a quand même beaucoup d'ex-maris. Je pense que c'est possible avec un ex-mari. Ou avec une ex-femme. En revanche, lorsqu'on a autant d'ex-maris, qui ont des nouvelles femmes, qui elles aussi sont des ex du nouveau mari, il y a un moment où il y a forcément des secrets, des rancœurs que chacun retient. Je pense que la crise est inévitable. Je la comprends parce qu'elle fait ça pour ses enfants et je pense que, quand on est parent, n'importe qui a envie de faire bien pour ses enfants. Ses filles sont très contentes de passer Noël avec leur papa. Elle le fait dans cette idée et, puis, son mari est psychologue, adepte de la "neutralité bienveillante", donc c'est faisable. Selon elle, c'est faisable.

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Un réveillon de Noël pas comme les autres © B.Pettovich

Votre personnage est un peu une super-woman. Est-ce ce qui vous a convaincu d'endosser ce rôle ?
Oui, ça me plaisait parce que c'est une épicurienne. On sent qu'elle a ce côté mère au foyer et, en même temps, elle gère une entreprise. Je me sentais proche de ce personnage parce que j'adore être en famille, faire de bons repas, bien manger, bien boire et, en même temps, faire le travail que j'aime. Donc, oui, il y avait quelque chose qui me plaisait beaucoup chez cette femme. Pour une fois, je n'avais pas d'effort particulier physiquement à faire pour elle. J'ai pu manger normalement pendant les fêtes, parce que je trouvais que ça devait être une vraie femme. Elle représente la mère, l'amante, la femme qui dirige cette entreprise. Je trouvais que c'était une femme bien de son temps et c'était presque des vacances, ce tournage, pour moi.

Avez-vous l'impression que ce genre de personnages féminins manque dans le cinéma actuel ?
Je pense qu'en règle générale, des personnages de femmes, il en manque de toute façon. Je sais qu'il m'est arrivé régulièrement de recevoir des scénarios où on me propose le premier rôle féminin, oui, mais je me dis : "Pourquoi ils ne l'ont pas fait dans l'autre sens ? Je préfèrerais jouer le rôle principal masculin". J'ai l'impression que le cinéma est encore un peu en retard par rapport aux personnages féminins. Souvent, le personnage féminin est "la copine de"... J'ai parlé avec des réalisatrices que j'ai rencontrées récemment qui disaient qu'il y avait une liste de critères pour définir si oui ou non le film était moderne ou encore complètement arriéré avec les femmes (NDLR : le Test de Bechdel). Je ne me souviens plus de quels étaient ces critères, mais il y a encore très peu de films qui échappent à la liste des critères qui rendent le film un peu vieux jeu par rapport à le femme en tout cas.

Le réalisateur Olivier Doran compare d'ailleurs votre personnage avec Betty Draper dans la série "Mad Men". Etes-vous d'accord avec cette analogie ?
C'était un peu notre credo, on voulait qu'elle soit très années 1960, avec ce petit brushing parfait. Et c'est vrai que Betty Draper a ce côté, où sous toutes les apparences, il faut que ce soit parfait, mais au fond on sent qu'il y a des failles bien costaudes. Donc, oui, je pense que c'est moi qui ai dû parler de ça la première à Olivier parce que je suis une grande fan de cette série et j'adore ce personnage. Je trouve ce personnage tellement intéressant, cette envie comme ça d'être dans le contrôle absolu et parfaite sous toutes les coutures, mais bon on voit très bien que la faille est quand même très grande.

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Sami Bouajila et Emilie Dequenne © B.Pettovich

C'est la première fois que vous tournez avec Sami Bouajila. Comment avez-vous travaillé pour rendre crédible votre couple à l'écran ?
Ce n'était pas très compliqué en fait. C'est un acteur plutôt excellent, plutôt généreux. On était content de travailler ensemble. Evidemment, il y a une histoire de confiance, d'enfant à naître... Bon, il y a quelques soucis dans le couple, mais au fond l'histoire n'est pas portée que sur le couple. Il y a vraiment un travail aussi qui s'est fait avec tous les autres acteurs. La mayonnaise a pris quand même très vite et très facilement. On a fait une grande lecture tous ensemble et puis on est parti à l'aventure comme ça, au Luxembourg. Les journées étaient très longues parce que, qui dit dix personnages principaux, dit à chaque fois presque dix axes à couvrir, mais on s'est bien amusé vraiment tous. Je trouvais que dans les costumes, dans les décors, nous deux dans cette grande maison bourgeoise, ça marchait.

C'est l'un de vos premiers films chorals. Qu'est-ce que cela change sur le tournage par rapport aux films avec peu d'acteurs principaux ?
C'est moins calme. Le tournage est beaucoup moins calme quand on est autant de comédiens. La concentration est plus difficile, le silence est plus difficile à obtenir. Le premier assistant a des petits soucis de nervosité au bout d'un certain temps, mais l'ambiance était bonne. C'est vrai que si on avait fait ce film avec des comédiens qui ne s'entendaient pas, avaient des egos tous plus grands les uns que les autres, je pense que là, ça aurait été une souffrance. Pour le coup, ça a vraiment roulé avec tout le monde. Je le dis à la rigolade, mais, au niveau de la concentration, c'est quand même un plateau qui est moins évident à tenir parce que, quand il y en a un qui commence, après c'est rare que ça ne passe pas de l'un à l'autre.

Le film rappelle aussi le théâtre avec son unité de lieu (une grande maison), ses portes qui claquent, ses éclats de voix... Comment avez-vous appréhendé cet aspect ?
Je n'y ai pas pensé particulièrement, si ce n'est qu'il était nécessaire que le texte soit connu comme au théâtre, parce que, si on veut qu'il y ait du rythme, il faut qu'on soit bien tous ensemble et que ça fuse. C'est vrai que, quand il y a beaucoup d'intervenants, il faut connaître son texte et celui de ses partenaires. Il faut être vraiment réactif. Si on arrive déjà à mettre du rythme dès l'instant où on joue tous ensemble, après Olivier peut encore en rajouter au montage. C'est comme ça que les choses marchent.

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Avec Guillaume De Tonquédec et Géraldine Pailhas © B.Pettovich

Après votre interprétation formidable d'une mère qui tue ses enfants dans "A perdre la raison", vous avez privilégié les seconds rôles et revenez aujourd'hui avec un film choral. C'est une façon de prendre du recul après ce rôle difficile ?
J'avoue, c'est vrai que ça m'allait très bien d'être dans des seconds rôles. C'était pas innocent comme choix, mais parce qu'aussi les choses qu'on me proposait en premier rôle ne me plaisaient pas particulièrement. Parfois je trouve qu'il est plus intéressant d'être dans un second rôle intéressant sur un projet intéressant... Mais, oui j'en avais besoin. J'avais besoin de me reposer un peu. Le choix du film choral, c'est autre chose. Cette comédie me faisait envie parce que je la trouvais quand même différente. Après, quand je ne suis pas que dans l'émotion, j'ai toujours énormément de doutes, très peur de ne pas être à la hauteur. Je trouve que c'est plus facile avec les personnages qui sont très chargés. On a une façon de s'appuyer parce qu'on est dans sa dimension intérieure. Les personnages en comédie, il y a parfois moins à creuser. Moi, c'est un univers que je connais assez mal au cinéma, enfin dans lequel je me suis aventurée assez peu. On est touché différemment par une comédie, donc forcément, je trouve que d'y aller à plusieurs, j'ai l'impression que notre risque est partagé. Je ne suis pas toute seule à prendre le risque et, effectivement, il n'y a pas ce côté "personnage qui porte le film". Quand on a eu aussi la chance de connaître des personnages très forts, c'est vrai que plus le temps passe, plus je suis en demande de personnages très forts tout le temps.

Vous avez été révélée par le drame "Rosetta", et depuis on vous a vue dans des thrillers ("La Traversée"), des films d'époque ("Le Pont du roi Saint-Louis") et aujourd'hui dans la comédie "Divin Enfant". C'est une volonté de votre part de ne pas vous enfermer dans un seul registre ?
Je suis comédienne, ça serait dommage que je fasse tout le temps la même chose. Et j'adore quand les personnages sont différents. J'adore quand il faut changer de couleur de cheveux, de longueur de cheveux. Il faut maigrir, il faut grossir. Je trouve qu'on a un corps et, tant que je suis en âge de l'utiliser comme j'en ai envie, j'en profite. Donc, oui, d'aller dans des univers différents, avec des metteurs en scène différents tout simplement. Mon idée n'est pas de cantonner le cinéma à un genre particulier, je pense que chaque metteur en scène a son point de vue. Ce que j'aime, c'est travailler avec des metteurs en scènes qui ont un point de vue. Evidemment chacun a son propre point de vue, donc je vais forcément aller dans des univers différents, mais je suis curieuse.

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