Avec Teburu, les jeux de société 2.0 se démocratisent

Avec Teburu, les jeux de société 2.0 se démocratisent Réalité augmentée, intelligence artificielle, "phygital"… Ces mots clés, associés aux start-up et au monde numérique de demain, sont aujourd'hui utilisés par un fabricant de jeux de société : Xplored. Alors que ce dernier vient de lancer une campagne ambitieuse sur Kickstarter, Davide Garofalo, son dirigeant, répond aux questions de Linternaute.com.

The Bad Karmas est un jeu de société de type combat de boss en coopératif. Une équipe hétéroclite de personnages modernes se retrouvent propulsés héros de l'humanité et doivent faire face à la menace des Zodiaques. Ces demi-dieux titanesques sont sortis de leur longue torpeur et souhaitent annihiler l'humanité…

Si le pitch du jeu et sa réalisation graphique s'avèrent fort sympathiques, le plus surprenant est son système de jeu Teburu, le tout nouveau concept de la société Xplored qui permet de mettre en place des plateaux de jeu connectés et intelligents. Intelligence artificielle, narration, monstres qui s'adaptent aux profils et comportement de joueurs… Ce sont les principales promesses de ce nouveau mode de jeu 2.0. Comment et pourquoi Xplored a décidé de faire passer le jeu de société dans le monde semi-numérique, celui du "phygital" ? Réponses de Davide Garofalo, CEO de Xplored.

Linternaute.com : Pourquoi avoir créé un plateau de jeu connecté ?

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Avant tout, nous ne sommes pas une jeune start-up qui teste une nouvelle technologie. Nous sommes un laboratoire de recherche et d'innovation et nous développons – en marque blanche – des produits depuis des années, du jeu vidéo au "smart toy". Nous souhaitions développer notre propre produit, et comme la majorité des employés adorent les jeux de plateau, nous nous y sommes naturellement intéressés. On s'est demandé quelles valeurs notre société pouvait apporter à ce médium, et avons très vite décidé de nous intéresser à un gameplay qui réagirait à la position des jetons sur le plateau physique. Nous avons utilisé un système de capteurs que nous avons créé en 2014 pour un jouet connecté distribué par GameStop. Que nous avons adapté à ce nouveau paradigme, "un jeu de plateau intelligent qui réagit aux positions des pions des joueurs".

En parlant de jeux physiques et de capteurs, le succès du partenariat Lego x Mario vous a-t-il conforté dans votre choix ?

Oui, pour deux raisons. Premièrement nous travaillons dans le "phygital" (physical & digital) depuis plus de dix ans et avons créé des produits pour Hasbro, Bandai et consorts. Voir que le marché s'est non seulement habitué à ce genre de produits mais qu'il en est même devenu friand est une bonne chose pour nous. Et la seconde raison est cette frustration qui est née de cette adaptation. Pour moi, il faut aller au-delà quand on croise une technologie déjà existante et un gameplay lui aussi existant. On ne peut pas forcer la rencontre entre le monde physique et le monde numérique. Il faut adapter ces deux points de vue pour que chacun apporte une plus-value. Et c'est en ayant l'expérience utilisateur en premier critère de qualité que l'on peut réaliser un projet satisfaisant.

Qu'apporte votre solution en termes d'expérience utilisateur ?

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Aujourd'hui, il y une certaine friction avec la découverte d'un jeu de plateau. Plus le jeu est complexe, plus ses règles peuvent être lourdes et indigestes. Avec Teburu, les joueurs apprennent les règles en jouant, il n'y a aucune règle à lire en amont de votre première partie. De plus, le jeu permet de plus facilement concevoir des modes solos, vu que le système incarne les "mobs" (NDLR : les monstres) et le narrateur pour vous. L'expérience de jeu solitaire entre dans une nouvelle dimension. Enfin, ce système permet de jouer à distance avec vos amis, ce qui est malheureusement très pratique avec le Covid, mais aussi si vos amis habitent loin de chez vous, tout simplement. Nous avons même publié une vidéo montrant une session de Bad Karmas en distanciel.

Est-ce que vous avez songé à utiliser un plateau en écran Amoled ?

Pas du tout. Pour moi, la différence entre le jeu de société et le jeu vidéo est la place laissée à l'imagination. Les artistes du monde du jeu de société illustres des tuiles, des plateaux, sculptent des figurines, et c'est notre imagination qui rend vivant le travail de ces artistes.

Le mélange de ces pièces statiques dans l'univers dynamique d'une partie de jeu est ce qui fait le charme d'un jeu de plateau. Si l'on met un écran dans notre système, alors autant jouer à un jeu vidéo, qui sera plus immersif, proposera des visuels en HD, etc. Sans compter l'impact sur le budget pour l'achat d'un tel système. Aujourd'hui, tout le monde possède un smartphone ou une tablette, donc télécharger l'appli compagnon d'un jeu ne grève pas le budget des joueurs. On ne vend que ce qui est le strict minimum nécessaire pour offrir cette nouvelle expérience de jeu.

Le prix était un facteur important lors de la conception du jeu ?  

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Tout à fait. Notre promesse tout au long de la phase de conception était d'arriver à un prix du kit de base sous la barre des 200$. Le kit de base contient le système de communication numérique, un plateau connecté, des dés connectés et un jeu de base. C'est un effort très important, on se situe dans la gamme de prix des jeux de plateau de haute qualité modernes. Sauf qu'ici, les joueurs peuvent garder la plateforme pour les prochains jeux qui, eux, auront un coup similaire à un jeu analogique de base, variable selon le type et la complexité du jeu.

Le monde ludique est un monde qui fourmille de créateurs. Avez vous pensé à un système à la Mario Maker ou à mettre votre code en open source ?

Nous avons trois étapes en tête pour la plateforme Teburu. Dans un premier temps, nous lançons le système avec Karma et les 12 Zodiaques. Puis nous annonçons d'autres partenaires. Chacun avec leur propre "pipeline" de production, mais que nous supervisons pour assurer un contrôle qualité à chaque étape. La seconde étape découle de ces créations tierces: nous leur avons mis à disposition un SDK (NDLR: Software Developer Kit, suite d'outils mise à disposition des dévellopeurs) que nous allons améliorer au fur et à mesure de leurs demandes de personnalisation et debug. Enfin, la troisième étape, qui arrivera dans plusieurs années, est de publier un éditeur pour que les joueurs puissent en effet créer leurs propres jeux sur notre système.

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On a parlé de la plus-value pour les joueurs, mais pour les éditeurs, comment les avez-vous convaincus de rejoindre l'aventure ?

Très facilement. Quand un game designer conçoit un nouveau jeu, il fait énormément de parties de test pour ajuster le game design. Les éditeurs ont tous un réseau de beta testeurs à qui ils envoient des prototypes de jeux et qui remplissent des fiches de retour suite à leurs parties de tests. Mais quand on remplit une fiche, on peut ne pas être exhaustif, on peut aussi minorer ou majorer un feedback selon le phrasé d'une question. Et si l'on veut des retours complets, il faut poser beaucoup de questions, ce qui peut être rébarbatif pour le joueur-testeur. Avec Teburu, cette étape disparaît complètement. Nous suivons et enregistrons toutes les intéractions dans le jeu : les lancés de dés, les déplacements de figurines sur le plateau, la durée d'une session de jeu, quand le joueur arrête de jouer, etc. Toutes ces données, anonymisées, permettent d'ajuster le game design de son jeu de manière bien plus efficiente. On peut même ajuster certains paramètres du jeu à distance, comme par exemple les fiches de certains personnages ou monstres, pour mieux calibrer la difficulté d'un jeu.

Avez vous consulté la Cnil concernant ces statistiques ?

Tout à fait, nous ne trackons aucune donnée par défaut, tout est par opt-in (NDLR: les utilisateurs peuvent activer volontairement le suivi). Et surtout aucune donnée n'est personnalisée. Ce qui nous intéresse, ce sont les interactions avec le jeu d'un point de vue de game design. Nous ne sommes pas une start-up qui prend les données des utilisateurs pour les revendre.

On parle de jeu intelligent, mais est-ce un modèle prédéterminé ? Ou bien un système avec du "machine learning" ?

C'était un des postulats au départ. Pour le moteur de combat de boss, nous avons songé à mettre en place un système de "machine learning" qui apprendrait des combats de tous les joueurs du monde entier. Mais, de part sa complexité, cela reste un projet dans le projet. Un jour nous y arriverons, mais pour l'instant nous avons une gestion intelligente et complexe pour les 12 boss, qui vont réagir avec une intelligence artificielle simple selon leurs caractéristiques, leurs états, leurs personnalités et les positions des joueurs. Nous avons mis en place un système qui va attribuer des scores à la position de chaque joueur et à l'historique de leurs actions, pour déterminer qui est le plus dangereux, qui est le plus agressif, etc. Et en fonction de ces pondérations, chaque boss réagira. Bien sûr nous avons conservé une partie aléatoire dans la prise de décision. Nous sommes très contents de la profondeur et la complexité de nos arbres décisionnels et avons hâte que les joueurs s'y confrontent.

Qu'est-ce qui a été le plus dur à développer ?

Je vais distinguer le système de base Teburu et le jeu The Bad Karmas. Le plus difficile pour Teburu est l'incroyable nombre d'itérations que nous avons faites pour mettre au point la meilleure expérience utilisateur possible. Trouver l'équilibre idéal entre le monde physique et le monde numérique et proposer une expérience immersive avec le moins de friction possible. Nous avons passé trois années juste à réaliser des prototypes et à itérer dessus.

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Pour The Bad Karmas, le plus gros challenge est que nous avons tout produit de A à Z en interne. Nous avons travaillé avec un designer néo-zélandais de génie, Andrew Baker, qui a, entre autres, travaillé sur le Gollum des films de Peter Jackson, mais aussi conçu Le Bon Gros Géant et même été impliqué sur le remake américain de Godzilla. Superviser un tel géant donne le vertige. Mais le résultat est au-delà de nos attentes.

Quand on entend les 12 Zodiaques, on ne peut s'empêcher de penser aux Chevaliers du Zodiaque. Avez-vous considéré la licence ?

Nous avons discuté avec Bandai (qui possède la licence d'exploitation ludique des Chevaliers du Zodiaques, NDLR) dès le lancement de cette plateforme. Mais, s'il y a des discussions avancées, elles ne concernent pas ce jeu. Les similitudes ne vont pas au-delà du nom. Si on devait faire un parallèle avec le monde de l'animation et du manga, alors notre jeu est plus proche de la licence Evangelion. Nous sommes à la fin d'un cycle cosmique et des entités semi-divines souhaitent mettre fin à la civilisation humaine…

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Quelle est la première évolution du système déjà planifiée ?

Nous sommes en train de développer un système qui facilitera les parties de type jeu de rôle. Chaque balise connectée est unique, ce qui fait que chaque "meeple", chaque figurine est identifiable. Nous allons nous baser sur cette signature pour permettre d'enregistrer des fiches de personnages pour les figurines des joueurs. Et ainsi garder en mémoire les informations de temps passé à jouer, d'expérience gagnée, d'objets collectés. Et quand on part jouer chez un ami, on ne doit juste penser à prendre sa figurine, rien d'autre.

D'autres interactions sont-elles à venir ?

Nous pouvons en effet ajouter de la réalité augmentée, de la reconnaissance de voix, de la reconnaissance de mouvement, toutes ces choses que nous maîtrisons. Mais avant tout il est nécessaire de construire un système de base solide.

Plus d'informations sur le kickstarter du jeu The Bad Karmas.